Alexis Ferrand - Université des Sciences et Technologies de Lille 1 – Clersé-CNRS [3]
L’article s’intéresse aux relations qui permettent des cycles d’échanges cognitifs où les acteurs confrontent des manières de penser et de définir le monde pour parvenir – souvent , pas toujours – à un accord. Les relations « de discussion sur tel sujet » peuvent constituer un terrain empirique privilégié. Mais les interprétations théoriques doivent tenir compte d’une part du fait majeur que représentent les réseaux « zéro », l’impossibilité de parler, d’autre part de la complexité des principes de régulation qui rendent des discussions possibles dans tel ou tel type de relation. Le modèle du « triangle des régulations » suggère que toute relation est soumise à une combinaison de régulations. Ces combinaisons peuvent fonctionner dans un contexte culturel homogène, mais un acteur appartenant à des contextes hétérogènes peut-être conduit à avoir des opinions ou des pensées contradictoires sur le même objet. Un modèle théorique de marquage relationnel des cognitions est proposé pour expliquer comment ces incohérences cognitives demeurent tolérables. Des propositions méthodologiques sont avancées pour étudier ces contextes.
Mots-clefs: Réseaux de discussion - multi-appartenance - savoirs partagés.
Abstract
This article deals with relationships that allow cognitive exchange cycles where actors confront their thinking and ways to define the world in order to -often but not always- achieve consensus. Discussion relations about a specific topic can be a privileged empirical field. But theoretical interpretations must take into account, on the one hand, the fundamental fact that represent “zero” discussion networks, that is, when it is impossible to discuss a certain topic, and on the other hand, the complexity of regulation principles that allow discussion in a specific type of relation. The “regulation triangle” model suggests that all relation is constrained by a combination of regulations. These combinations can function within a homogeneous cultural context, but an actor belonging to heterogeneous contexts could end up having contradictory opinions or thoughts on the same object. A theoretical model of relationship labeling of cognitions is proposed to explain how cognitive inconsistencies remain tolerable. Methodological propositions are exposed to study these contexts.
Key words: discussion networks - multiple belongings - shared knowledge.
1. Introduction
Aborder l’effet des réseaux sur les cognitions des acteurs, c’est se confronter à l’immense littérature de la psychosociologie expérimentale qui a très longuement étudié différents processus cognitifs au sein de groupes ou de structures de communications contrôlés. Sans porter de jugement sur les apports scientifiques de ces travaux, nous devons simplement dire que ce n’est pas notre domaine de recherche. En utilisant principalement des enquêtes par sondage, nous étudions, et nous tentons de formaliser théoriquement, quelques dynamiques relationnelles « spontanées » entre acteurs. Et nous nous intéressons particulièrement aux dynamiques où l’acteur se trouve au croisement de réseaux hétérogènes. Cet article comporte trois points principaux.
Le premier point rappelle différents effets cognitifs des réseaux de relation et permet de définir le type particulier de processus auquel nous consacrons la suite de l’article. Il s’agit, en bref, d’un modèle où des cycles d’échanges entre acteurs réalisent des confrontations cognitives qui peuvent produire des interprétations partagées des situations sociales.
Le second point propose d’étudier cet effet cognitif de certains réseaux à partir d’un objet empiriquement accessible : les relations de discussion formant des réseaux plus ou moins informels. Ce n’est évidemment pas le seul type de relation qui aurait des effets cognitifs, mais c’est un type en tout cas important qui mérite qu’on en comprenne bien le fonctionnement comme prolégomènes à des explorations plus sophistiquées. Avant de se demander dans quels types de relations peuvent se développer tels ou tels types de discussions, nous insistons sur le fait structural majeur que constitue l’absence de tout partenaire de discussion. Toute réflexion théorique sur l’effet cognitif des réseaux me semble devoir commencer par la prise en compte du « réseau zéro », des situations où la pensée de l’acteur se voit interdite de partage et où la discussion est forclose. L’interdit, le tabou, ou l’impossible, est le premier principe social au fondement des structures relationnelles. Ce rappel étant fait, nous suggérons que l’analyse des types de relations dans lesquels des discussions particulières sont possibles nécessite sans doute de changer d’approche. Nous avons, comme beaucoup de chercheurs sur les réseaux personnels, recherché des correspondances statistiques entre des types de discussions et des types de relations, souvent définis en termes de rôles relationnels, parfois en termes de « proximité ». Les variations empiriques des résultats de ces approches laissent penser que nous ne prenons pas en compte les processus réellement fondamentaux. En réponse à cette insatisfaction nous proposons d’analyser les relations à partir de leurs principes de régulation, et nous proposons pour cela un modèle dit du « triangle des régulations ».
Dans un dernier point, nous cherchons à prendre en compte le fait que les acteurs appartiennent à des cadres sociaux qui sont souvent cognitivement et normativement hétérogènes, différents les uns des autres. À partir d’exemples empiriques, on commence par montrer que l’appartenance d’un acteur à des cercles ou des réseaux hétérogènes est un fait central, massif, et non pas marginal. Si nous admettons que cet acteur « pense en relation avec autrui », mais que ces autrui ont des pensées différentes les uns des autres, comment concevoir la manière dont l’acteur aurait plusieurs manières différentes de « penser avec » sur le même objet ? Nous proposons une solution théorique à cette difficulté en supposant qu’une pensée qui émerge dans une relation n’est pas enregistrée par l’acteur comme un simple contenu cognitif, mais, de manière indissociable, comme un contenu cognitif marqué par la relation où il a pris forme et sens. Nous présentons ensuite deux procédures empiriques qui permettent plus ou moins mal d’approcher ces processus.
2. Trois effets cognitifs des réseaux
2.1. Les structures des réseaux déterminent les circulations des informations
La psychosociologie de laboratoire s’est intéressée à la manière dont différentes structures de communication dans un groupe limité de participants modifient la circulation des informations et l’usage qui peut en être fait. L’analyse des réseaux tels qu’ils sont observables dans la vie sociale spontanée s’est également intéressée très tôt à la question de la circulation des informations. Dès les années 1930, quand Moreno (1934,1970) observe les relations entre les pensionnaires d’une maison de redressement qui fuguent en série, et lorsqu’il propose ses premières généralisations théoriques sur « les réseaux psychosociaux de communication », il imagine que ces réseaux permettent une forme particulière de circulation des informations.
Plus tard, lorsque l’analyse des réseaux connaît des développements importants, les effets de différentes structures des réseaux sur la circulation des informations constitueront un domaine important de recherche. L’observation de l’accès à l’information sur les emplois disponibles et la controverse théorique sur les avantages structuraux « des liens faibles » en est une illustration (Granovetter 1974, 1982, Langlois 1977, Requena 1991, Forsé 1997). En considérant des informations comme des ressources, la tentative de synthèse théorique sur le capital social proposée par Nan Lin (1995, 2001), réaffirme l’importance des structures des réseaux comme déterminant des accès différenciés à des informations plus ou moins pertinentes.
Il y a donc une tradition significative qui explore comment des informations sont plus ou moins accessibles selon les réseaux utilisés, et qui montre donc comment des « cognitions » peuvent en être modifiées. Ce domaine de recherche n’est pas celui qui nous intéresse dans cet article.
Une relation, et plus globalement des relations formant un réseau, peuvent non seulement apporter une information – que l’acteur serait totalement libre de prendre en compte ou d’ignorer – mais peuvent aussi appuyer cette information par une force qui pousse l’acteur qui la subit à accepter cette information comme pertinente et donc à modifier son système cognitif. On parle ainsi d’influence lorsque la relation entre deux acteurs comporte à la fois la circulation d’un contenu et l’exercice d’une force visant à imposer ce contenu à l’un des acteurs. Ces processus d’influence, qui déterminent notamment l’adoption des innovations, ont été examinés dès les premiers pas de l’analyse des réseaux. Les travaux de Coleman Katz et Menzel (1966) sur la diffusion d’un nouveau médicament ont constitué un point de départ pour une longue tradition de recherche dont Valente (1995) synthétise les apports récents. Dans le domaine politique, le réseau peut aussi exercer une influence (Knocke 1990, Nieuwbeerta P., Flap H., 2000) .
On peut considérer que le contrôle exercé par des membres du réseau sur l’un d’entre eux met également en jeu un contenu cognitif et normatif (la définition de ce qu’il est bien de faire) et une force (l’anticipation de sanctions négatives). Le contrôle par le réseau a été étudié dans des domaines aussi variés que les organisations non hiérarchiques (Lazega, 1992, 2001), ou les réseaux sexuels (Ferrand Snijders 1997). Des processus de ce type existent, et les efforts pour les décrire et les théoriser sont tout à fait légitimes. Cependant ce ne sont pas non plus ces réalités qui nous intéressent dans cet article.
2.3. Les structures des réseaux permettent la production de contenus cognitifs nouveaux et partagés
Nous retiendrons ici quelques hypothèses très générales pour définir les propriétés de certains processus de communication particuliers. Les hypothèses que nous présentons sont massivement inspirées par l’ouvrage de Rogers et Kincaid (1981) où ils définissent leur modèle de « convergence communicationnelle ».
1. La communication fonctionne mal. Pour qu’une signification soit comprise, il faut non pas un échange, mais un cycle d’échanges entre deux acteurs.
2. Dans un cycle, chaque acteur est successivement émetteur et receveur. On ne conçoit pas a priori une dissymétrie durable de la relation.
3. L’objectif de toute communication est d’abord de parvenir à un accord sur la définition d’une situation. Un tel accord est une pré-condition pour toute action. L’accord sur la définition de la situation n’a pas besoin d’être parfait.
4. Le processus d’échange peut produire des contenus cognitifs nouveaux : ceux-ci peuvent être irréductibles aussi bien à l’opinion initiale d’un des acteurs qui aurait influencé l’autre, qu’à un compromis entre des opinions initiales [4] .
5. Les significations sont contenues dans le système des relations, et non dans l’esprit de chaque acteur particulier [5] .
Cette dernière propriété d’un système de relations où des significations sont échangées est particulièrement importante, mais délicate à définir. On dira que la signification est partagée entre les membres du réseau. Pour expliciter cette idée on peut reprendre une formulation de Willem Doise lorsqu’il écrit que les représentations “ sont en quelque sorte autonomes par rapport à la conscience individuelle ” dans la mesure où “ ce sont des individus qui les pensent et les produisent, mais au cours d’échanges, d’actes de coopération, non pas de manière isolée. C’est-à-dire qu’il s’agit de réalités partagées. ” (Doise et Palmonari 1986, p.15). Cette citation indique bien l’ubiquité théorique attribuée aux représentations partagées : elles sont à la fois des contenus des consciences individuelles des acteurs et à la fois des contenus des interactions entre ces acteurs.
L’ubiquité des représentations pose un problème : celui de la fugacité des interactions. On conçoit assez facilement que l’interaction soit le processus où une idée nouvelle émerge par confrontation entre les protagonistes. Et l’on est prêt à penser que l’idée est « dans » l’interaction, qu’elle est partagée. Par contre que se passe-t-il lorsque la discussion cesse ? Que devient l’idée ou la représentation ? Nous pouvons formuler une hypothèse qui est finalement assez simple et, en tout cas, très cohérente avec certaines théories des relations interpersonnelles. Ces théories – comme le sens commun d’ailleurs - admettent qu’une relation « existe » durant les intervalles qui séparent les rencontres et les interactions effectives des acteurs. Même pour des intervalles parfois importants. On peut alors concevoir que la fin d’une discussion implique d’un côté une suspension de la forme active de la conversation et de l’échange d’arguments, et d’un autre côté le maintien de la « présence » du partenaire dans la conscience de l’acteur (« en mémoire »). La fin d’une interaction n’est pas la fin de la relation. Plutôt que de dire que les pensées sont à la fois dans la conscience des acteurs et dans l’interaction, on peut dire de manière plus générale que « les pensées sont à la fois dans les consciences des acteurs et dans les relations qui les unissent ». L’acteur ne pense jamais dans la pureté d’un cogito solipsiste : dès qu’il pense quelque chose, c’est normalment à un autrui.
Cette hypothèse est très différente de ce que suggère une approche « holiste » dans la mesure où le siège des pensées partagées, l’entité qui les fait exister, n’est pas une hypothétique conscience collective propre à un groupe ou un collectif dont il conviendrait de savoir identifier les contours et la composition. Le siège des pensées est un réseau de relations qu’on peut décrire et typifier comme système particulier à partir de quelques propriétés remarquables.
Cette hypothèse ouvre un débat complexe en ce qui concerne les pensées « institutionnalisées », celles qui sont inscrites dans des supports matériels, dans des livres et des codes dotés d’une légitimité collective (les savoirs scientifiques, les doctrines religieuses, etc.). Peut-on dire que ces pensées sont « dans un réseau de relation » ? On peut adopter la solution de M.Callon (1989) et inscrire des supports matériels de la pensée comme « membres » d’un réseau. On peut aussi décider de limiter nos analyses aux échanges entre acteurs sans introduire dans nos modèles les processus de « mise en mémoire matérielle » et « d’extraction, réactivation » de pensées collectives. Ces processus sont tout à fait importants, mais nécessitent une formulation théorique spécifique. Pour illustrer cette limitation, nous dirons que nous ne tiendrons pas compte de ce que contient la bibliothèque de l’Université de Lille 1, mais uniquement de ce qu’utilisent les enseignants dans leurs discussions avec des collègues ou dans leurs publications.
3. Les régulations des relations de discussion
3.1. Un objet empiriquement accessible : les relations de discussion
Ces propositions suggèrent donc que les acteurs pensent en étant en relation avec autrui et invitent alors à analyser simultanément les cognitions des acteurs et leurs relations. Mais quelles relations ? Peut-on dire que toutes les relations permettent le partage des pensées, ou bien que seules certaines relations seraient le support de ce processus ?
Les définitions adoptées plus haut concernant la symétrie de la relation et les cycles d’échange permettent de limiter le domaine d’analyse retenu : sont exclues toutes les situations impliquant un orateur et une audience, un émetteur et un public (sermon religieux, meeting politique, cours magistral…), un medium et son lectorat.
Pour des raisons qui tiennent assez fortement à des facilités d’observation empirique, nous avons surtout retenu des relations « de discussion » entre acteurs sur des sujets précis. Ces facilités empiriques ont été reconnues depuis longtemps, et l’on dispose donc d’une certaine accumulation de données et de quelques propositions théoriques sur ces types de relation (Fischer 1982, Wellman 1985, Bernadas 1994, Requena 1994, Bidart 1997, de Federico 1998, Ferrand y Mounier 1998, Lazega 2001, Thierry 2005, Grosseti 2005, Molina 2005, García Faroldi 2005). Ce n’est peut-être pas un « objet idéal », mais c’est un objet qui permet la corroboration empirique de certaines hypothèses.
3.2. L’impossibilité de parler
Les travaux disponibles permettent d’affirmer que les relations sont le plus souvent spécialisées (entre autres, Wellman B. Carrington P.J. Hall A. 1988). Dès lors la question « y a-t-il des relations qui permettent des discussions en général ? » n’a aucun sens, et seule une question spécifique du genre : « y a-t-il des relations qui permettent des discussions sur tel sujet particulier ? » est pertinente. Mais avant toute analyse fine des types de relations permettant plus ou moins des discussions sur un sujet particulier, il faut s’intéresser au fait sociologique majeur que représente pour certains acteurs l’impossibilité pure et simple d’avoir un quelconque interlocuteur pour le type de discussion considéré.
La signification théorique de ces cas d’impossibilité de parler peut parfois être recherchée dans l’absence totale de relations de discussion pour n’importe quel sujet. Je suggère que ces cas sont rares. De même convient-il de s’assurer que les acteurs auraient quelques raisons de vouloir discuter du sujet considéré, pour éliminer les cas où le sujet examiné est simplement non pertinent pour eux. Mais le plus souvent l’impossibilité de discuter d’un sujet doit être comprise théoriquement comme la manifestation d’un interdit social spécifique. J’en donnerai deux exemples : Dans l’enquête « Analyse des comportements sexuels en France » réalisée par une vingtaine de chercheurs sous la direction d’A. Spira et de N. Bajos (1993), A. Ferrand et L. Mounier ont introduit un générateur de nom, inspiré de celui du « General Social Survey » du NORC (Marsden 1987, Burt 1985, 1989), formulé dans les termes suivants : « "... en dehors de la personne avec qui vous vivez, avec combien de personnes discutez-vous d'aventures amoureuses, de problèmes ou de maladies sexuelles, ou de votre vie en couple ?". Le tableau ci-dessous indique la proportion d’hommes et de femmes dans chaque catégorie socioprofessionnelle (actuelle ou ancienne pour les retraités et les chômeurs) qui n’ont cité aucun confident en réponse à cette question (Ferrand Mounier, 1993).
Globalement les hommes sont plus nombreux que les femmes à n'avoir cité aucun confident « en dehors de la personne avec laquelle ils vivent » (46,7 % contre 30,6 %). C'est parmi les hommes appartenant ou ayant appartenu à la catégorie des "cadres et professions intellectuelles supérieures" qu'on trouve la plus forte proportion d'individus réservés (aucun confident, 61,4 %). Chez les cadres supérieurs, connus par ailleurs pour avoir de nombreuses relations personnelles de discussion (Heran, 1988) et dont les activités professionnelles sont souvent très sociables, cette proportion importante d’acteurs qui ne citent pas de confident ne traduit ni des limitations psychologiques, ni une faible disponibilité de relations, mais bien une impossibilité spécifique. Je laisse à chaque lecteur, après avoir soigneusement relu le générateur de nom, la liberté de proposer sa théorie explicative de ce constat empirique.
|
Hommes |
Femmes |
||
|
% |
N |
% |
N |
Agriculteurs |
38,8 |
25 |
- |
5 |
Artisans, commerçants, chefs d’entreprise |
42,3 |
55 |
58,0 |
24 |
Cadres, professions intellectuelles supérieures |
61,4 |
235 |
32,1 |
86 |
Professions intermédiaires |
54,0 |
275 |
28,3 |
226 |
Employés |
42,3 |
146 |
26,4 |
398 |
Ouvriers |
47,7 |
353 |
47,0 |
92 |
Inactifs |
17,1 |
206 |
21,7 |
206 |
Total |
46,7 |
1295 |
30,6 |
1037 |
Tableau 1. Distribution des enquêtés n’ayant cité aucun confident selon le sexe et la catégorie socioprofessionnelle. Source : Enquête ACSF. Lire 47 % de femmes ouvrières n’ont cité aucun confident.
Ce qui importe ici, c’est de mettre en évidence que l’absence de parole peut être un fait social, et un fait massif, et que toute théorie de la production des cognitions dans des structures relationnelles doit commencer par examiner s’il y a des sujets qui ne sont discutables avec personne, et quel statut théorique particulier on doit donner à des questions dont on ne peut jamais parler. Elles ne sont pas forcément refoulées dans l’inconscient au sens psychanalytique. Elles ne sont pas forcément dénuées d’effets cognitifs individuels et collectifs, il suffit pour s’en convaincre de rappeler comment les non-dits sur des atrocités guerrières ont empoisonné la conscience de milliers de gens.
Le deuxième exemple concerne l’enquête, déjà évoquée dans un précédent numéro de REDES (Ferrand, 2002, 2006), normal aux discussions sur des questions de santé. Encore une fois, sachant que les relations sont spécialisées, et que la citation de partenaires pour tel ou tel sujet de discussion est une affaire sensible (Requena 1996, de Federico 1999, Ferrand et de Federico 2005), il faut présenter explicitement les trois générateurs de noms qui ont été utilisés (Ferrand 2001) :
a) Il peut vous arriver de discuter de votre propre santé avec des connaissances personnelles, famille, collègues, amis... Par exemple de discuter d'une maladie que vous venez d'avoir, de médicaments que vous prenez, ou d’un régime que vous suivez avec des gens qui ne sont pas vos soignants.... Au cours des six derniers mois, vous est-il arrivé de discuter avec quelqu'un de votre propre santé ?..
Si non => question suivante
Si Oui =>[L’enquêteur tend une feuille sur laquelle l’enquêté indique une série de prénoms ou d’initiales]
b) Il peut aussi vous arriver de discuter d'un médecin, des traitements qu'il prescrit ou des soins qu’il donne... Au cours des six derniers mois, vous est-il arrivé de discuter avec quelqu'un d'un médecin, des traitements qu’il prescrit, de ses consultations ?
Si non => question suivante
Si Oui =>[l’enquêté inscrit de nouveaux noms ou coche une case ad hoc pour ceux déjà cités]
c) Enfin je vais vous demander s’il vous arrive de discuter de maladies particulières… Au cours des six derniers mois, vous est-il arrivé de discuter avec quelqu'un d’une des trois maladies suivantes, 1) le cancer 2) les maladies cardiaques 3) la dépression nerveuse ?
Si non => question suivante
Si Oui =>[idem]
Le réseau de discussion sur sa propre santé comporte en moyenne 1.3 personnes, celui sur les médecins presque moitié moins (0.7 personnes), et celui sur les maladies à peu près autant (0.8). Si on examine la proportion d’individus qui ne citent aucun partenaire de discussion, on voit qu’elle passe en gros de un sur quatre pour les discussions normals à sa propre santé, à un sur deux pour les discussions normals à son médecin [6] .
Les trois sujets de discussion proposés |
Nombre de personnes citées |
N=516 |
||
|
0 |
1 |
2 et + |
|
Discuter de sa propre santé |
28 |
38 |
34 |
100 |
Discuter “ d’un médecin, des traitements qu’il prescrit, de ses consultations ” |
57 |
25 |
18 |
100 |
Discuter “ d’une des trois maladies suivantes : du cancer, des maladies cardiaques, de la dépression nerveuse ” |
55 |
25 |
20 |
100 |
Tableau 2. Proportions d’enquêtés ayant cité 0, 1, ou 2 et plus personnes, selon les sujets de discussion
Le générateur de nom sur les discussions normals à un médecin renvoie très explicitement “ aux traitements qu’il prescrit ” et à “ ses consultations ”. Il est exclu que les enquêtés aient perçu la question comme se rapportant à un personnage social, vague et général. Il ne peut s’agir que d’une discussion normal à un médecin connu de l’enquêté. En ce sens, nous supposons que la discussion sur “ un ” médecin est une discussion sur « son » médecin. Ainsi qu’il s’agisse de « sa » santé ou de « son » médecin, ces deux générateurs concernent de la même manière la vie personnelle de l’enquêté. Alors le fait que deux fois plus de personnes ne peuvent parler de leur médecin apparaît pleinement significatif : nous y voyons l’effet d’une censure spécialisée, spécifique. Notons que presque tout le monde (92 % des enquêtés) a au moins un médecin généraliste consulté lors des 6 derniers mois, et qu’ainsi tout le monde pourrait parler d’un médecin particulier en référence à une expérience effective. Or ce n’est pas le cas, et de loin, il existe bien un interdit portant sur les discussions avec un tiers normals aux pratiques de son soignant, ou un tabou sur la transmission d’informations normals à ses manières de faire. On sait que le silence professionnel du médecin protège les secrets du patient. On constate ici que le silence très fréquent des patients rend secrets les comportements professionnels des praticiens (forme des consultations, disponibilité, prescriptions, examens, etc.). Comme contrepartie du devoir de secret professionnel auquel est soumis le médecin, nous avons suggéré « qu’il conviendrait d’élaborer théoriquement la notion de devoir de secret profane auquel serait soumis le patient. » On peut y voir un effet de la domination symbolique des professions médicales qui interdirait à beaucoup d’acteurs toute discussion, et donc potentiellement toute évaluation, de leur praticien. En tout état de cause, c’est la spécificité de ce qui ne peut être discuté que nous voulons mettre en évidence, pour bien marquer que des processus particuliers font échapper certains sujets à tout échange dans des réseaux de discussion.
Il serait intéressant, mais ce n’est pas le propos de cet article, d’identifier systématiquement dans les enquêtes comportant des générateurs du type « discuter de » quelles sont les catégories d’acteurs dont on peut penser que, d’une part, ils ont des relations disponibles, et que d’autre part ils ne discutent avec aucun partenaire de tel ou tel sujet. On tracerait ainsi une sorte de topologie socio-relationnelle des sujets tabous, non-dits, non discutés, interdits de cité parce qu’interdits d’être cités.
3.3. Le choix des partenaires possibles : une théorie des régulations des relations
Revenons maintenant à la question initiale des correspondances entre types de relations de discussion et sujets de discussion : avec qui peut-on parler de quoi ? Là encore une revue de la littérature permettrait de dresser un panorama des canaux relationnels que certains contenus empruntent plus volontiers que d’autres. Mais je crains que – comme pour les nombreuses enquêtes empiriques sur le « soutien social » et les « échanges d’aides » - nous n’aboutissions à des résultats qui convergeraient sur quelques évidences massives et divergeraient sur beaucoup de points, aboutissant finalement plus à un sentiment de brouillage intellectuel que de clarification.
Ces variations empiriques ne tiennent pas seulement à des questions de sensibilité des outils d’enquête, ou carrément à des biais non contrôlés. Je suggère que, pour pouvoir interpréter correctement les résultats des enquêtes, il faut disposer d’une théorie des régulations des relations. Celle-ci doit comporter deux chapitres principaux.
Le premier concerne la simultanéité dans toute relation de trois principes de régulation, dont on admettra qu’ils forment ensemble une somme constante, la part normal de chacun étant plus ou moins forte selon les relations [7] . Il s’agit de reprendre les idées avancées par Clyde Mitchell (1973) dans l’introduction de l’ouvrage qu’il a édité avec Jeremy Boissevain :
[8] Il y a quelques années Epstein (1962) et moi (1959, 1966), de façon indépendante, nous avons suggéré la distinction conceptuelle de trois types d’ordres de relations sociales qui étaient significatifs dans l’analyse du comportement des gens dans la ville. Tel qu’exprimé plus récemment (Mitchell 1969 :9) celles-ci étaient :
A. L’ordre structural par lequel le comportement des gens est interprété en termes d’actions pertinentes pour la position qu’ils occupent dans un ensemble de positions ordonnées, comme une usine, une famille, une mine, une association volontaire, un syndicat, un parti politique ou une organisation semblable.
B. L’ordre catégoriel par lequel le comportement des gens dans des situations non structurées peut être interprété en termes de stéréotypes sociaux comme la classe, la race, l’ethnicité…
C. L’ordre personnel par lequel le comportement des gens dans des situations structurées ou non structurées peut être interprété en termes des liens personnels que les individus ont avec un ensemble de personnes et les liens que ces personnes ont entre eux et avec d’autres comme les réseaux sociaux des familles dans l’étude de Bott (1957).
Dans le troisième « ordre », le réseau apparaît comme une forme sociale, un cadre et un principe de régulation, et l’on conçoit que les relations sont l’objet d’un contrôle et d’un encadrement interpersonnel. Pour ma part je retiendrai la différence entre un encadrement des comportements par des relations interpersonnelles et les deux autres ordres (catégoriel et structural) qui impliquent des normes de rôles institutionnalisées ou des stéréotypes, c’est-à-dire des principes de régulations généraux, qui correspondent à des contextes sociaux plus ou moins structurés. Je retiendrai également qu’il s’agit de trois manières de comprendre une même relation, mais je m’éloignerai de C.Mitchell en disant qu’il ne s’agit pas seulement de trois « conceptualisations » d’une même relation, mais bien de trois dimensions constitutives de la régulation de cette relation.
J’ajouterai un autre mode de régulation, souvent invoqué : il s’agit de la confiance que deux partenaires peuvent éprouver l’un à l’égard de l’autre. Selon P.Blau (1964), la confiance est nécessaire dans l’échange social parce que les obligations ne sont pas fixées au départ. Mais également la confiance est générée par l’histoire même des échanges, histoire qui autoriserait une sorte d’apprentissage mutuel autorisant des investissements de plus en plus importants. Que l’on explique théoriquement l’émergence de la confiance dans une dyade par les apprentissages, par l’accumulation des investissements non récupérables (Sprecher, 1988), ou de manière plus interactionniste par des conventions interpersonnelles (Allan, 1979), l’important est d’admettre qu’il puisse exister une régulation du contenu d’une relation qui résulte principalement de son histoire singulière.
Si on admet les prémisses ci-dessus, on peut donc caractériser trois principes de régulation
La régulation par la confiance. Elle concerne une relation qui peut être cachée aux réseaux des partenaires, qui peut être soustraite au contrôle des relations interpersonnelles ; comporte des anticipations fondées sur une expérience interpersonnelle passée, des investissements non récupérables, la réduction des alternatives. Un exemple peut être l’utilisation d’une relation amicale pour régler, sous le sceau du secret, une difficulté qui mettrait en péril la respectabilité de l’acteur dans le réseau.
La régulation par le réseau interpersonnel : concerne une relation qui est encadrée par les réseaux des partenaires et soumise au contrôle direct des connaissances communes ou indirect de « relations de relations » ; se fonde sur des normes partagées ; implique l’existence d’alternatives particulières dans ce réseau. Un exemple peut être un échange d’aide entre amis, ici soumis au regard des autres amis du réseau. De la même manière, ce peut-être un échange d’aide dans la fratrie, un échange de conseil dans un service administratif, où les membres du micro-réseau sont les garants de la bonne fin de cet échange.
La régulation catégorielle : concerne une relation qui est soustraite au contrôle des relations interpersonnelles ; se fonde sur un rôle stéréotypé, un règlement, ou une norme générale ; dont l’application est garantie par des contrôles anonymes, qu’il s’agisse du public ou d’agents spécialisés. Un exemple peut être une relation occasionnelle d’échange marchand, tout type d’échange dans l’espace public. Mais ce peut aussi, en cas de conflit interpersonnel, être une remontée « en généralité » d’une relation amicale obligée d’en appeler aux règles catégorielles du rôle : « on ne séduit pas le compagnon de sa copine ».
Ces exemples suggèrent qu’une relation « amicale » peut changer de types de régulation en allant vers une inter-personnalité dyadique de plus en plus spécifique ou, à l’autre extrême, vers un fonctionnement plus adossé aux normes générales et aux stéréotypes du rôle. Par exemple, Ainhoa de Federico montre dans sa recherche sur les étudiants Erasmus comment une relation d’amitié établie entre deux personnes de pays différents fait que la régulation de leur comportement passe d’un ajustement fondé sur les stéréotypes nationaux, à une coordination dans un réseau diffus d’amitié entre étrangers (de Federico 1998) pour, dans certains cas, passer à la construction d’une sphère privée dyadique de confiance et solidarité dans laquelle on oublie l’étrangeté de l’ami (de Federico 2002, 2003). Mais ceci peut valoir pour d’autres « rôles relationnels » : un collègue peut n’être que « collègue », il peut être membre d’un petit réseau de travail plus ou moins coopératif, il peut aussi être un « collègue très proche », connu de longue date et porteur d’une confiance interpersonnelle forte.
Lecture : Une relation figurée en bas à droite du triangle (intersection des trois parallèles aux cotés qui ont été dessinées) serait définie comme étant principalement soumise à une régulation par le réseau (70 %), un peu par des normes générales (20 %) et presque pas par des conventions interpersonnelles propres à la dyade et à son histoire. (10 %). On peut imaginer par exemple une relation au sein d’un groupe de camarades, qui a ses manières propres de faire et de parler, mais sans attachements interpersonnels dyadiques particuliers.
Ayant postulé que ces trois modes de régulation ont une somme constante, on peut disposer toute relation dans un digramme triangulaire où sa position indique à quelles proportions de chaque principe de régulation elle est soumise.
L’utilité de cette formulation théorique est de nous obliger à définir la hiérarchisation particulière des régulations que nous pensons à l’œuvre pour les relations qui autorisent un sujet de discussion donné. Cette hiérarchisation gouverne directement les types de corrélations que l’on peut espérer trouver dans des données empiriques. Il faut décider si on met au premier plan des caractéristiques «catégorielles» (quel type de rôle relationnel?), réticulaires (quel type de réseau personnel l’acteur s’est-il constitué ?), ou des caractéristiques propres à l’histoire de la relation (ancienneté, réciprocité sur le long terme, etc.). Par exemple il semble bien que pour les gens enquêtés à propos de leurs confidents sur les questions sexuelles, c’est un impératif «catégoriel» qui interdit tout simplement les confidences entre voisins. Par contre certains types d’échanges de confidences seront conditionnés par l’histoire du lien (Petite, 2005). Dans d’autres cas, c’est la possibilité d’isoler une relation de l’ensemble de son réseau qui permet de la faire fonctionner de manière cachée, autorisant des choses que le reste « normal » du réseau ne tolérerait pas (Marquet et alii, 1977).
Les flottements dans les résultats tiennent peut-être à la fragilité de certains générateurs de noms qu’il est utile de perfectionner, mais sans doute beaucoup plus à la recherche de régularités statistiques pas assez différenciées.
Le second chapitre théorique apporte des précisions sur des régulations, situées à la base du triangle, entre «encadrement par le réseau» et «contrôle catégoriel». Il s’agit : a) de tenir compte de l’organisation sociométrique du réseau en ce qu’elle offre ou non aux acteurs des alternatives ; b) et de tenir compte de l’existence de normes de rôle qui fonctionneraient sur un mode préférentiel : «pour telle discussion, si tel type de lien existe, alors il sera préféré à tel autre», et non pas sur un mode catégorique (cette discussion ne peut avoir lieu qu’avec tel partenaire, et dans tel type de lien).
Cette forme de régulation, intermédiaire entre effet de réseau et orientations normatives, a été étudiée par Bruckner et Knaup (1990) qui ont montré l’existence d’une hiérarchisation des préférences concernant les choix des relations pour différents types d’aide.
«Une hypothèse principale de notre recherche est que la hiérarchie des membres du réseau est modifiée par le potentiel des liens existants. C’est-à-dire que si des liens importants qui tiennent une place privilégiée dans la hiérarchie des responsabilités sont absents, on fait appel à d’autres membres secondaires du réseau».
Un des effets de la composition du réseau de l’acteur est évidemment de lui offrir ou de ne pas lui offrir les relations préférentielles normativement attendues. Mais en leur absence, il ne se passe pas n’importe quoi : des règles de substitution semblent exister.
L’intérêt heuristique de ce genre d’hypothèse est de permettre de considérer que c’est un même modèle de régulation qui fait qu’on trouverait telle discussion dans une catégorie de relation et aussi dans une autre catégorie, dans les cas où la première est manquante. Ceci complique les investigations empiriques, mais c’est en fait pour mieux tenir compte des bricolages que les pratiques inventent, bricolages qui ne consistent pas à faire n’importe quoi, mais qui maintiennent un ordre tout en en s’ajustant à la variabilité des situations.
Le détour théorique que nous venons d’effectuer est fondé sur le postulat – assez facilement admissible – que les effets cognitifs des relations de discussion et des réseaux qu’elles forment sont dépendants des formes de régulation de ces réseaux de relations. Aussi bien les contenus réels des discussions, que les formes de convergence des opinions, entre un agrément de façade et une conviction profondément « ancrée » (Doise, 1992) dans le système représentationnel de l’acteur, diffèrent selon les formes de régulation des relations. Kellerhals et alii (1988) avaient ainsi montré comment les règles de justice dans les couples varient selon les modèles de relation entre partenaires du couple qui peuvent aller des plus stéréotypés aux plus interpersonnels. Dans le même esprit, la recherche d’Ainhoa de Federico (2003, 2005) a ainsi montré comment des relations constituant un réseau local d’étudiants Erasmus et parfois des relations proprement amicales permettait d’aider au développement d’une identification à l’Europe partagée par les membres du réseau venant englober les identités catégorielles de leurs différentes nationalités.
Concernant cette perspective de recherche, je n’ai pas eu la possibilité de développer une enquête utilisant de manière systématique ce modèle, et donc je ne peux en montrer empiriquement l’intérêt.
4. L’hétérogénéité des réseaux dans lesquels l’acteur est inséré
Dans la présentation que nous venons d’en faire, le « triangle des régulations » est situé dans un univers culturel homogène : les normes catégorielles sont supposées communes ; la pression normative du réseau est supposée homogène ; quant à la dyade, presque par définition, son histoire génère des références communes. On peut dire que le triangle est inscrit dans un « plan » culturel unique et homogène. Dans un contexte de ce type, quelle que soit la combinatoire des régulations, deux acteurs qui dialoguent et cherchent à définir en commun une situation disposent tous les deux des mêmes références et se trouvent seulement devant les difficultés posées par l’incertitude intrinsèque de la situation et par les incertitudes des catégories cognitives qu’ils peuvent mobiliser. Ce type de contexte – qu’on peut nommer « homogène » - n’est pas universel, loin de là. Des relations de discussion peuvent chercher à s’établir dans deux autres types de contextes qui posent des problèmes un peu plus complexes d’ajustement des régulations.
Un second type de contexte peut être caractérisé par le fait que les deux acteurs ne disposent pas des mêmes références : pour faire simple, disons qu’ils appartiennent à des « sous-cultures » différentes. Une énergie considérable peut être consacrée à trouver un moyen de concilier les normes catégorielles ou les normes de réseau différentes, pour permettre d’abord que la relation de discussion existe, trouve un régime de fonctionnement à peu près satisfaisant, et ensuite permette d’élaborer des connaissances partagées. On peut nommer ce type «confrontation entre deux acteurs».
Un troisième type de contexte peut être caractérisé par le fait qu’un acteur appartienne simultanément à plusieurs « sous cultures » différentes. Il appartient à plusieurs « plans », et ses relations sont soumises à des régulations variées selon ces sous-cultures. On peut nommer ce type, « multi-appartenances d’un acteur ». Nous allons nous intéresser particulièrement à ce type qui permet de poser des problèmes importants relatifs à la manière dont les acteurs peuvent concilier de manière interne l’hétérogénéité « culturelle » de leurs appartenances.
4.1. L’hétérogénéité des cercles et des réseaux : une propriété massive
Les tout premiers travaux d’analyse de la vie urbaine par les sociologues de « l’Ecole de Chicago » ont bien montré a) la division de la société urbaine en « aires » marquées par des sous-cultures différenciées ; b) la possibilité que certains acteurs – pas tous – au cours d’une même journée, se déplacent d’une sous-culture à une autre ; c) la possibilité que certains acteurs, du fait d’une mobilité géographique et/ou sociale se trouvent appartenir simultanément à deux sous cultures différentes. Ces « appartenances » reçoivent des définitions plus ou moins précises, et s’en tiennent parfois aux autos affiliations identitaires des acteurs. La prise en compte micro sociale des cercles de sociabilité et des réseaux de relations interpersonnelles permet des formulations plus précises et opératoires. Et celles-ci confirment massivement les constats faits il y a trois quart de siècle. Donnons-en un exemple.
A.Degenne, dans l’enquête ACSF (Spira A. Bajos N. 1993, Bajos et alii, 1998) sur les comportements sexuels a examiné comment un acteur perçoit les orientations normatives en matière d’infidélité dans le couple parmi les membres de trois cercles auxquels il appartient : sa famille, ses amis, ses collègues. L’enquêteur demandait "d'après vous, que pensent vos amis et copains proches du fait qu'on ait des aventures amoureuses et sexuelles tout en ayant un partenaire stable les enquêtés pouvaient répondre par une échelle de consensus perçus : "ils sont tous d'accord", "certains sont d'accord, d'autres non", "ils sont tous contre", le même type de question étant réitéré pour la famille et les collègues. Les résultats montrent que ces cercles sont perçus comme des cadres sociaux porteurs de "climats moraux" contrastées en matière d’infidélités :
a) Les degrés d’hétérogénéité normative au sein de chaque cercle sont variables : le cercle des amis est perçu comme porteur d’opinions contradictoires par un enquêté sur deux. De même pour le cercle des collègues. Voici donc deux cadres sociaux importants où un acteur sur deux perçoit des divergences normatives parmi les membres d’un cercle auquel il appartient. Par contre le cercle de famille n’est perçu comme hétérogène que par un enquêté sur cinq (21,7 %).
b) D'autre part on doit aussi considérer l'hétérogénéité normative entre les différents cercles. Il n'y a que 15 % d'individus qui perçoivent chacun de ses cercles comme unanime, et tous les trois porteurs de la même unanimité. Ainsi, à l’inverse, les acteurs vont massivement se trouver membres de trois cercles dont les orientations divergent entre elles, et dont chacun comporte aussi des opinions hétérogènes. Et si on examine le contexte encore plus étroit et sélectif des relations de confidence (cf. ci-dessus) on trouve encore un acteur sur trois qui cite des confidents ayant des orientations hétérogènes.
Je pense que ce genre de constat pourrait être répété pour bien d’autres questions normatives. Il invite à admettre que, massivement, les acteurs ne vivent pas dans des contextes culturels homogènes. Cette idée est évidente, mais simultanément, et de manière un peu contradictoire, nous gardons à l’esprit l’importance de la sélection homophile des partenaires et l’idée que les acteurs se retrouvent au milieu de gens qui pensent comme eux. Cette proposition est extrêmement imprécise. Elle conduit facilement à penser qu’un acteur appartient à un (un seul) groupe de gens qui effectivement pensent comme lui. Nous allons renverser cette proposition et dire qu’un acteur pense comme ses proches, et que si cet acteur appartient à différents groupes de proches qui ont des idées hétérogènes, cet acteur aura tendance à penser comme ses différents groupes de proches, c'est-à-dire à qu’il aura tendance à avoir des idées hétérogènes.
4.2. La cohérence relationnelle de l’incohérence cognitive
Si nous admettons la possibilité du processus de discussion défini dans la première section de cet article, si nous admettons notamment que c’est dans les relations que des acteurs produisent progressivement des interprétations partagées des situations, ajustent des savoirs profanes et produisent des « sens communs », nous pouvons retrouver un modèle très classique dont nous pouvons, à titre d’exemple, retenir la formulation proposée par C.Guimelli (1994 :12-13) lorsqu’il définit les représentations comme « ensemble des connaissances, des croyances, des opinions partagées par un groupe à l’égard d’un objet donné. » Plus loin il précise qu’une représentation est sociale
«D’abord parce qu’elle est le résultat d’un ensemble d’interactions sociales spécifiques[…]elle est générée collectivement[…]elle est partagée par les individus d’un même groupe et, de ce fait, elle marque la spécificité de ce groupe et contribue à le différencier des autres »[9]
Si nous admettons cette définition circulaire qui énonce qu’appartenir à un groupe, c’est être en relation avec des gens qui pensent de la même manière, mais si nous admettons par ailleurs qu’un acteur peut appartenir à des groupes aux cultures variées, nous devons déduire que cet acteur pense de manière différente selon les groupes au sein desquels il entre en relation avec des partenaires chaque fois différents. Par exemple, on peut imaginer un acteur qui d’un côté est en relation avec des amis qui, face aux problèmes de certains jeunes, pensent « préventif », et il pense « préventif » avec eux, d’un autre coté il est en relation avec des membres de sa famille qui pensent « punitif », et il pense « punitif » avec eux. Il convient d’insister sur le fait que l’acteur a deux manières différentes de penser à la même chose, qu’il a deux manières de définir et de juger les mêmes événements. Du coup on doit se demander quelle organisation mentale socio-cognitive peut être compatible avec ce genre de double pensée. Pour simplifier la discussion, nous n’examinerons qu’un cas typique : celui où les groupes auxquels l’acteur appartient ne se recoupent pas, et donc où ses relations sont spécifiques à chacun des groupes concernés [10] . Nous admettrons par ailleurs que l’acteur type n’est ni débile, ni schizophrène, c'est-à-dire que rationnellement l’hétérogénéité de ses jugements devrait lui poser des problèmes. Nous avons vu que les discussions sont des interactions volatiles, mais que la relation qui les supporte est une réalité qui unit les acteurs au-delà des rencontres effectives. La relation est mémorisée par chacun des acteurs. Nous faisons l’hypothèse qu’une cognition particulière, un jugement, une représentation qui a été élaborée lors des échanges entre deux acteurs est mémorisée en étant attachée à la relation dans laquelle elle a été formée. Toute cognition est à la fois un contenu relatif à un objet et le marquage de ce contenu par la relation où cette cognition a été élaborée. Si nous reprenons notre exemple, l’acteur ne dirait pas « je pense préventif » et « je pense répressif », mais « je-avec-mes-amis pense préventif » et « je-avec-ma-famille pense répressif ». L’hypothèse que nous avançons dissout l’autonomie d’un « je » comme siège d’un cogito supposé unifié. « Je » pense toujours avec, et l’acteur socio-cognitif peut être défini théoriquement comme formé par la série « je pense avec X », « je pense avec Y », « je pense avec Z », etc. (si l’acteur est bien multi-appartenant).
4.3. Les marques relationnelles
L’idée de « marque relationnelle » peut être brièvement précisée.
a) Elle suppose d’abord que l’acteur « voit » ses relations comme des réalités différenciées (sinon elles se ressembleraient toutes, formeraient une catégorie indistincte, et elles ne pourraient donc pas supporter des contenus cognitifs différenciés sur le même objet). Ceci peut paraître évident, mais il faut prendre en compte ce qui a été avancé à propos du «triangle des régulations». Les formes de marquage sont dépendantes des formes de régulation : «je-avec-mes-amis pense préventif», est un marquage différent de « je-avec-mon-ami-Paul-connu-depuis-trente-ans pense préventif ». Le premier marquage fonctionne dans le cadre d’un type de régulation qu’on peut situer entre «régulation par le réseau» et «régulation catégorielle», le second marquage est typiquement dyadique, propre à une relation singulière entre deux acteurs fondée sur la confiance interpersonnelle. Le premier marquage est proche d’un consensus de groupe, avec tous les effets de stabilisation et de pression au conformisme que ceci peut impliquer. Le second marquage relève d’une convention entre deux acteurs, qui peut être très privée et idiosyncrasique, et qui est plus soumise à leur bon vouloir. Les dynamiques possibles de transformation de ces deux types de cognitions partagées ne sont pas les mêmes.
b) L’idée de marque relationnelle suppose que les relations ne sont pas simplement différenciées par des qualités (par exemple par des rôles relationnels : ami, collègue, membre de la fratrie, etc.) mais également qu’elles sont hiérarchisées en fonction de leur importance pour l’acteur. Cette importance peut être définie en termes d’investissements dans la relation, d’existence d’alternatives, ou de position structurale dans le réseau personnel. Dans les approches actuelles du capital social, l’importance normal d’une relation est bien définissable à partir de l’existence d’alternatives, d’investissements qui garantissent la possibilité de formuler des demandes d’aide (les «credit slips» de J.Coleman, 1988), et de positions structurales qui ouvrent sur des ressources de nature et d’intérêt variés.
Le marquage relationnel fait qu’une idée ou une représentation, n’est pas enregistrée comme l’idée de l’acteur, mais comme l’idée partagée par l’acteur et par des partenaires spécifiques. Dans la mesure où deux idées sur le même objet sont enregistrées comme partagées par deux ensembles de partenaires différents, ce sont ces ensembles d’acteurs qui sont enregistrés comme assumant les idées et comme pensant différemment. Dans les cas, envisagés jusqu’ici, où ces ensembles ne se recoupent pas, l’acteur peut mener une existence cognitive paisible en passant d’une idée à une autre idée sur le même objet selon le contexte relationnel dans lequel il se trouve à tel ou tel moment.
4.4. Deux approches empiriques
Nous pouvons maintenant apporter quelques réflexions sur des procédures d’enquête qui tentent d’observer les processus définis plus haut. Une première procédure reste en partie classique dans la mesure où, pour un enquêté, elle ne recueille qu’une seule opinion sur un objet donné et non pas plusieurs comme le suggèrerait le modèle. Mais elle demande par contre à l’acteur de citer ses partenaires de discussion et de dire comment il perçoit l’opinion de chacun d’entre eux [11]. L’acteur peut ainsi avoir perçu des opinions plus ou moins hétérogènes dans son réseau de discussion. Le chercheur doit alors tenter de découvrir une correspondance empirique entre une opinion de l’acteur et la pluralité éventuelle des opinions qu’il a citées dans son réseau, et il se trouve face à une difficulté importante : comment tenir compte des convergences variées d’opinions dont nous supposons l’existence dans les différents cercles relationnels de l’acteur ? Si nous admettons qu’un acteur a potentiellement plusieurs opinions différentes sur le même objet marquées par des relations différentes, le sociologue ne sait pas quelle est l’opinion que l’acteur a choisi d’utiliser pour répondre, ni pourquoi il l’a choisie. Mais il sait – par hypothèse - que cette opinion doit correspondre à au moins un de ses partenaires de discussion sur le type de sujet considéré. Dès lors on peut utiliser comme indicateur cognitivo-relationnel l’existence ou l’absence dans le réseau personnel de l’acteur d’au moins un partenaire dont il perçoit les opinions ou les jugements ou les comportements comme ayant tel contenu spécifique. Et effectivement on constate empiriquement qu’un acteur qui a cité au moins un partenaire ayant telle idée a toujours beaucoup plus de chance d’avoir affirmé lui-même cette idée dans le questionnaire, que s’il n’a cité personne supposé défendre une telle idée. Au minimum des résultats de ce type montrent qu’un acteur a très peu de chance de penser seul.
Dans l’enquête sur les confidents en matière de santé, nous avons demandé l’opinion de l’enquêté normal à la qualité des services de soins locaux pour prendre en charge trois maladies : cancer, infarctus, dépression (Ferrand, 2001). Et nous avons demandé à chaque enquêté, après qu’il eut cité le petit réseau de personnes avec lesquelles il discute de questions de santé, comment il perçoit l’opinion de chacune d’elles sur le même sujet. Nous pouvons nous intéresser à la concordance entre les jugements négatifs des enquêtés et la citation par ceux-ci d’au moins un confident perçu comme ayant un jugement négatif.
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Opinion de l’enquêté sur la prise en charge |
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Enquêtés n’ayant cité aucun / ou au moins un confident ayant un jugement négatif |
Opinion positive |
Opinion négative |
Sans opinion |
CANCER X2 : 78 Prob : 0.00 |
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Aucun confident négatif |
56 |
25 |
19 |
Au moins un confident négatif |
24 |
67 |
9 |
INFARCTUS X2: 68 Prob: 0.00 |
|
|
|
Aucun confident négatif |
62 |
16 |
22 |
Au moins un confident négatif |
32 |
56 |
12 |
DEPRESSION X2:25 Prob:0.00 |
|
|
|
Aucun confident négatif |
62 |
13 |
25 |
Au moins un confident négatif |
45 |
34 |
22 |
Tableau 3. Distribution des opinions des enquêtés sur la qualité de la prise en charge locale d’une maladie, selon qu’ils discutent avec au moins un confident ayant un jugement négatif à ce sujet. Pourcentage en ligne. Lire: Parmi les enquêtés ayant cité au moins confident ayant un jugement négatif sur la prise en charge du cancer, il y en a 67 % qui ont une opinion personnelle négative sur la prise en charge locale du cancer (contre 25 % pour ceux qui n’ont pas cité de confident “ négatif ”).
Le tableau ci-dessus montre que les enquêtés qui citent au moins un confident ayant un avis négatif sont massivement plus nombreux à avoir eux-mêmes un avis négatif que les enquêtés qui n’ont pas cité de confident ayant un avis négatif : ils sont de deux à trois fois plus nombreux que ceux qui ne citent pas de proche insatisfait (Cancer : 67 % contre 25 % ; Infarctus : 56 % contre 16 % ; Dépression : 34 % contre 13 %). Cet indicateur simple montre donc un effet majeur de convergence des opinions entre l’enquêté et un membre de son réseau de discussion [12] . Cet indicateur permet de soutenir la proposition « qu’un acteur pense avec ». Par contre, tel que nous venons de le présenter de manière très simple, il n’apporte rien de distinctif sur les marquages différents des relations de discussion, et donc rien sur les « poids » différents que ces marquages relationnels pourraient introduire.
On peut refuser cette interprétation du constat empirique en supposant que c’est parce que l’enquêté sélectionne des confidents qui pensent comme lui que cette correspondance statistique est observée. Cette hypothèse de sélection homophile :
a) Partage avec notre modèle une forme «faible» de l’idée «un acteur pense avec», puisqu’elle admet qu’un acteur cherche à entretenir préférentiellement des relations avec des gens qui pensent comme lui. Mais c’est une version «faible» dans la mesure où la similitude d’opinons est extrinsèque à la relation. Les opinions sont des attributs séparés des acteurs et la qualité intrinsèque de la relation est purement formelle : «penser pareil», sans contenu.
b) Ne dit absolument rien sur l’origine des opinions ni sur leurs transformations.
c) Ne dit absolument rien sur les raisons qui font qu’un même enquêté peut citer des confidents ayant des opinons hétérogènes, ce qui est aussi empiriquement constaté, mais qui ne peut être présenté plus longuement ici.
Nous avons indiqué que le genre de questionnaire employé dans cette enquête est en partie contradictoire avec les hypothèses théoriques que nous formulons car, sur un sujet donné, il est fait – de la manière la plus traditionnelle – pour ne recueillir qu’une seule opinion de l’enquêté. Si un acteur a souvent plusieurs partenaires de discussion sur une question, et qu’ils ont souvent des opinions variées, ces différentes dyades vont faire que l’acteur enregistre des opinions différentes. Cette théorie interdit de concevoir une opinion homogène et compacte de l’acteur et invite à concevoir, comme je l’ai indiqué (Ferrand, 2000) que « l’opinion globale d’un acteur sur une question est la combinaison particulière de confrontations d’opinions correspondant à ses discussions avec ses différents partenaires ». Pour rendre compte de cette pluralité, une seconde procédure peut être présentée.
Sophie Tazé [13] réalise, avec le soutien de l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida, une recherche pour examiner les opinions, les savoirs et les croyances normals au Sida dans la conjoncture actuelle où les thérapies nouvelles ont modifié ces représentations de la maladie et de l’épidémie. L’enquête vise à capter comment l’opinion émise par un enquêté (que nous appellerons « acteur central ») peut être différente selon l’interaction et la relation dans laquelle elle est émise. Pour cela il faut que le protocole d’enquête fasse que l’acteur central formule une opinion dans une situation « naturelle » d’interaction. Il faut faire reculer en arrière plan l’interaction[acteur-central – enquêteur], et mobiliser une autre interaction plus habituelle. S.Tazé a créé un questionnaire sur un formulaire unique que l’acteur central remplit en face à face avec un ami qu’il a choisi, celui-ci ayant également à répondre à chaque item. L’interaction minimale est que chacun voit ce que répond l’autre, l’interaction maximale étant qu’ils discutent, mais l’enquêteur ne peut pas observer ces interactions (le questionnaire est auto-administré par l’acteur central, qui le soumet simultanément à son ami). Cette passation permet d’examiner, de manière instantanée, les domaines de convergences et de divergence. Le protocole comporte, quinze jours plus tard, une seconde passation du même questionnaire avec une autre personne que choisit l’acteur central, « aussi différente que possible de la première ». On enregistre ainsi une seconde fois, avec un partenaire différent, les possibles convergences et divergences, mais surtout on enregistre si l’acteur central, en fonction du changement de partenaire a changé d‚opinion. Sans rentrer dans le détail de résultats en attente de publication dans la thèse, on peut mentionner que, si on retient une liste de 16 opinions variées sur le sida, un acteur sur deux (51 %) change d’avis sur au moins trois items lorsqu’il change de partenaire pour répondre au questionnaire. Ce genre de protocole permet donc d’enregistrer le fait qu’un même acteur peut avoir plusieurs opinions, et que c’est notamment en fonction d’interactions cognitives qu’elles peuvent varier. Il introduit aussi quelques indications permettant d’explorer les « marquages relationnels différentiels » des opinons. C’est ainsi que dans les relations « intimes » (relations permettant de « discuter de questions très personnelles ») les partenaires sont beaucoup plus nombreux à n’exprimer qu’un tout petit nombre d’opinions divergentes, que dans les relations « distantes » (52 % contre 30 % d’acteurs qui sont au plus 4 fois en désaccord sur 16 items examinés). Globalement, cette innovation méthodologique permet de créer une meilleure concordance entre les hypothèses théoriques et les conditions de recueil des données.
Nous avons indiqué ces deux exemples pour insister sur les difficultés de validation empirique que peut introduire une théorie de la production des cognitions dans les interactions, mais en même temps sur le fait que des solutions, plus ou moins adaptées, peuvent être trouvées. Pour notre part, tout en restant fidèle aux canons classiques des enquêtes par sondage sur des réseaux personnels, nous plaidons pour le développement de tentatives méthodologiques prenant en compte la pluralité des opinions d’un acteur sur un même objet, conditionnées par des relations de discussion.
5. Conclusion
Le lecteur aura perçu que cet article est autant programmatique que conclusif. Étudiant depuis une quinzaine d’année les réseaux de discussion, je reste assez dubitatif devant certains flottements statistiques, et la proposition normal au « triangle des régulations » ouvre peut-être une voie pour donner les raisons de ces flottements.
Deuxièmement, je trouve que l’idée « l’acteur pense en relation avec », est une idée assez banale, assez facilement acceptée, mais dont les implications sont tout aussi facilement occultées ou oubliées aussitôt que la proposition est formulée. Prendre cette idée dans sa totalité conduit simplement à remettre en cause un des fondements idéologiques majeurs de notre société, à savoir le cogito caractérisant un individu atomisé responsable et surtout propriétaire de pensées élaborées dans sa tête. Deux difficultés existent.
La première consiste à pouvoir imaginer théoriquement cette chose pourtant simple et à pouvoir l’exprimer syntaxiquement : «une relation pense» ou «une relation produit de la pensée», niveau élémentaire permettant ensuite de concevoir «qu’un réseau produit de la pensée». Et permettez-moi de citer ici longuement S. Moscovici (1986 :71) dans un texte qui a vingt ans :
«Au lieu de nous concentrer sur la question de comprendre ce que signifie être «un individu engagé dans le fait de penser », nous devons essayer de comprendre ce qui constitue un «groupe ou une société engagés dans le fait de penser»[…]Quand nous pensons à la société, nous n'avons pas à l'esprit une entité qui sert seulement de toile de fond à l'individu, mais une entité sui generis […]Ceci signifie, de plus, donner la priorité aux liens intersubjectifs et sociaux plutôt qu'aux liens avec l'objet. En d'autres mots, le lien avec l'objet est une partie intrinsèque du lien social et doit donc être interprété dans ce cadre».
La seconde difficulté tient aux effets contraignants des traditions méthodologiques. Il nous faut créer des protocoles empiriques nouveaux en infraction évidente avec certains canons des sondages atomistiques qui supposent que l’individu a « une » opinion à exprimer. Kellerhals J. et alii (1986, 1988) avaient ainsi ouvert des voies nouvelles, il y a plus de vingt ans, en proposant la méthode des scénarios invitant des partenaires d’un couple – relation sociale préexistante et spontanée – à confronter leurs points de vue devant l’enquêteur pour arriver à une position commune.
Troisièmement ces efforts de l’interactionisme structural n’ont pas pour objectif central d’apporter des lumières nouvelles sur la compréhension des pensées et des actions des acteurs, mais plutôt sur certaines formes de régulation sociale. Si nous admettons notamment que des réseaux de discussion produisent de l’opinion, et si nous admettons qu’ils interconnectent des discussions subjectivement perçues comme « privées », ils créent un niveau spécifique du débat social « en dessous » des espaces et des « arènes » (Dodier, 1993) publiques ou institutionnelles[14].
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[1] La revue REDES publie des articles en espagnol et en portugais. Elle rend disponible également les textes originaux quand ils ont été reçus en anglais ou en français. Cependant la référence oficielle demeure celle en espagnol. Pour citer cet article utilisez, s'il vous plaît, la référence suivante: Ferrand, A. (2006). Redes de discusión heterogéneas y pluralismo cognitivo. Redes. Revista Hispana para el Análisis de Redes Sociales, 10 (2). Consulta[1-07-2006]en http://revista-redes.rediris.es.
[2] Cet article a été traduit et adapté à l’espagnol par Ainhoa de Federico, Maître de Conférences à l’Université des Sciences et Technologies de Lille 1 – Clersé-CNRS. La première version a été enrichie par les commentaires et élaborations apparus dans le processus de traduction. Celle-ci a également été l’occasion d’incorporer un certain nombre de références de la littérature des réseaux sociaux en espagnol, malheureusement inaccessibles directement pour moi.
[3]Pour contacter l’auteur au sujet de cet article : Alexis Ferrand (Alexis. Ferrand@univ-lille1.fr).
[4] Cette idée est plus systématiquement discutée par S.Moscovici et W.Doise (1992)
[5] Les auteurs reprennent ici une idée de Gregory Bateson (1972 :46). " Each individual exists only as part of a cybernetic (information) system, in which his/her behaviour is determined by behaviour at previous time. There is not a mind, but rather an ecology of the mind, for 'the mental characteristics of the system are immanent, not in some part, but in the system as a whole'../.. The unit which processes information (and think, decides and acts) is a system whose boundaries do not coincide with one person's body, mind, or consciousness."
[6] La proportion d’enquêtés n’ayant cité aucun confident mentionnée dans REDES 2002 (17,8 %) correspond à ceux qui n’en ont cité aucun simultanément pour les trois générateurs de noms.
[7] Ces idées ont fait l’objet d’une présentation intitulée « La régulation de l’échange » dans le cadre du séminaire « Réseaux et régulation » , organisé par Emmanuel Lazega et Lise Mounier (CNRS LASMAS et CNRS CLERSE, 1998), ainsi que lors de la 18 th. Sunbelt & 5 th European conference on social networks à Sitges, May 1998.
[8] Some years ago Epstein (1962) and I (1959, 1966) independently of each other suggested the conceptual separation of three types or orders of social relationships which were significant in the analysis of the behaviour of people in town. As set out more recently (Mitchell, 1969: 9) these were:
a. the structural order by means of which the behaviour of people is interpreted in terms of actions appropriate to the position they occupy in an ordered set of positions, such as in a factory, a family, a mine, a voluntary association, a trade union, a political party or similar organisation.
b. the categorical order by means of which the behaviour of people in unstructured situations may be interpreted in terms of social stereotypes such as class, race, ethnicity,...
c. the personal order by means of which the behaviour of people in either structured or unstructured situations may be interpreted in terms of the personal links individuels have with a set of people and the links these people have in turn among themselves and with others such as the social networks of the families in Bott's study (1957).
[9] C’est nous qui le soulignons.
[10] On trouvera un premier exposé de ces idées dans l’article intitulé « Des raisons relationnelles de l’incohérence des jugements », (A. Ferrand, 2004)
[11] C'est-à-dire des opinions – ou même des comportements - que l’acteur central peut imputer à ses partenaires lorsqu’un questionnaire ad hoc lui demande pour chaque membre de son réseau une question du genre « Et d’après vous que pense cette personne de … ? » ou bien « d’après vous est-ce que cette personne fait ceci… ? »
[12] Pour être précis, il conviendrait plutôt d’écrire « un membre d’un segment ou d’un sous ensemble » de son réseau de discussion, puisque le modèle suppose que ce réseau est à la fois hétérogène et sociomériquement segmenté.
[13] S.Tazé est Allocataire de Recherche ANRS, CNRS Clersé, à l’Université des Sciences et Technologies de Lille 1 (sophie.taze@univ-lille1.fr). On trouvera dans l’article Tazé S. Ferrand A., "Les savoirs profanes sur le sida : des incertitudes relationnelles aux certitudes relationnelles” (à paraître) Sociologie Santé N° 25, 2006, une présentation plus détaillée du protocole. Revue_socio_santé@yahoo.fr
[14] Les positions défendues ici devraient m’interdire de signer seul cet article. Que les différents collègues avec qui ces thèmes ont été discutés, et que celles qui au cours de leur doctorat ont dû les affronter à divers degrés, soient donc associés à cet écrit – « sans engager leur responsabilité » : Blandine Mortain, Ségolène Petite, Sylvie Denquin, Alexandra Thierry, Sophie Tazé, et naturellement Ainhoa de Federico qui a de plus traduit ce texte. Ajoutons qu’il arrive aussi de discuter de « réseaux et cognitions » en famille, ou entre ami(e)s…