REDES- Revista hispana para el análisis de redes sociales
Vol.18,#8, Junio 2010
http://revista-redes.rediris.es

La « mondialisation » de la culture et la question de la diversité culturelle: étude des flux mondiaux de traductions entre 1979 et 2002

Germain Barré – Université Paris Dauphine - IRISSO[1]

Resumé

Cet article propose un questionnement sur la diversité culturelle à travers l’étude des flux de traductions de 1979 à 2002. A l’aide de l’analyse de réseaux ou méthode « structurale », des indicateurs sont utilisés pour mesurer la diversité culturelle et évaluer la reconnaissance des langues. Nous observons par exemple une nette baisse de la diversité des échanges de traduction à partir de 1989.

Grâce à cette méthode, nous appréhendons également l’évolution de la structure des flux de traductions et par conséquent la dynamique de ces flux. Nous constatons que la structure des flux de traductions est très stable dans les années 1980 : en particulier, deux grands ensembles s’opposent autour de l’anglais et du russe. Après la chute du mur de Berlin, les relations préférentielles de traduc­tion entre les langues officielles des anciens pays commu­nistes disparaissent alors que la centralité de l’anglais devient plus importante. Plus généralement, le choix de la langue des ouvrages qui seront traduits se fonde avant tout sur des considérations géographi­ques et politiques.

Au final, l’analyse de réseaux apporte une autre vision de la mondialisation. Aussi, il nous semble important que de tels outils soient intégrés dans les études futures des phéno­mènes liés à cette problématique.

Mots clés : Mondialisation – Culture – Diversité culturelle – Traductions – Analyse de réseaux sociaux.

Abstract

The article presents a challenge to cultural diversity through the study of translation flows between 1979 and 2002. With the help of network analysis or method "structural" indicators are used to measure cultural diversity and assess the recognition of different languages. For example, there is a clear decline in the diversity of exchange translation from 1989.

Using this method, we also understand the changing structure translation flows and, consequently, the dynamics of these flows. Thus, it is possible when the structure flows translations are stable in the 80's: around opposing English and Russian languages, two major groups. After the fall of the Berlin Wall preferential translation relations between the official languages of the former communist countries disappear, while the centrality of English becomes more important. In general, the choice of language works to be translated is based, above all, on geographical and political considerations.

In summary, network analysis provides a different vision of globalization. Thus, it seems important that tools like this to be integrated in future studies related to this issue.

Keywords: Globalization - Culture - Cultural Diversity - Translation - Social Network Analysis.

I. Traductions et diversité culturelle

1.     Traductions, culture et Etats

La traduction est « une pratique très ancienne à laquelle il a fallu recourir en raison de la multiplicité des langues. Henri van Hoof, dans son Histoire de la traduction en Occident, en note l’existence dès l’Ancien Empire (2640-2040 avant J.–C.) » (Cachin et Bruyère, 2002, page 506). Avec la formation des états – nations, les langues se sont progres­sivement codifiées : l’activité de traduction est dorénavant liée aux nouvelles relations (de conflit et de coopé­ration) entre les états (Heilbron, 1999)[2].

La traduction permet notamment le contact entre deux cultures (la trans­mission d’un mes­sage), mais elle est aussi le reflet de l’ouverture d’une culture à une autre culture (une forme de compréhension de l’autre) : « [La traduction] reflète les fluctuations de l’intérêt porté aux cultures étran­gères suivant les périodes et les nations. Elle met en évidence les fossés culturels parfois difficiles à franchir, elle désigne les pays réfrac­taires à l’introduction des cultures étran­gères. La place et le nombre des traductions dans la production éditoriale d’un pays à une époque donnée sont donc des indices signi­ficatifs de son ouverture à d’autres cul­tures » (Cachin et Bruyère, 2002, pp. 506-507). Marie-Françoise Cachin et Claire Bruyère citent Lieven d’Hulst, auteur de Cent ans de théorie française de la traduction, qui conçoit la traduction comme « un document - clef sur la façon dont l’étranger – ou l’étrange – est défini, assimilé ou repoussé ».[3]

Néanmoins, comme le souligne Lévi-Strauss, le rapport entre langage et culture est l’un des plus compliqués qui soit : la langue et la culture sont étroitement liées dans un rap­port d’interdépendance. Le langage est à la fois un produit de la culture (il la reflète), une partie de celle-ci (un élément parmi d’autres) et il la conditionne puisque l’individu acquiert la cul­ture de son groupe au moyen du langage (Lévi-Strauss, 1958). Ainsi, une traduction nécessite souvent une adaptation, une acclimatation qui cherche à réduire les écarts cultu­rels entre pays d’origine et pays d’accueil. De ce fait, la rhétorique, certains schémas d’argumen­tation ou certains mots posent des problèmes de traduction : c’est le cas de la traduction en français du mot anglais people, « peuple » étant chargé de références politi­ques à la fin du 18ème siècle ou encore de la traduction du lexique freudien.

2.     Quatre axes d’étude de la diversité culturelle

Dans l’idée de culture est incluse l’idée de diversité au contraire de la nature qui est partout et toujours la même (abstraction faite du problème de l’évolution biologique). La question de la diversité culturelle est complexe : on peut distinguer quatre axes d’étude pour l’étude des biens culturels.

Un premier axe consiste à étudier la diversité des échanges de biens culturels (1). Par ailleurs, selon un auteur de l’école de Francfort, « la liberté humaine ne se mesure pas selon le choix qui est offert à l’individu, le seul facteur décisif pour déterminer [la liberté humaine] c’est ce que peut choisir et ce que choisit l’individu » (Marcuse, 1968, pp. 32-33)[4].

Dans le cas des biens culturels, « ce que peut choisir l’individu » dépend de la diversité des producteurs (pays ou entreprises) et de la production des biens culturels (2). Un article disponible sur le site de l’UNESCO révèle des taux élevés de concentration dans le commerce international des biens culturels qui ne semblent pas avoir beaucoup évolué au cours des années 1990. Par exemple, en 1990, le Japon, les Etats-Unis, l’Allemagne, et la Grande-Bretagne représentent 55,4 % du total des exportations de biens culturels dans le monde et 47 % des importations ont été réalisés par les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France[5]. Les auteurs en concluent que la plus grande partie de ces échanges s’est effectuée entre un nombre réduit de pays sans apporter davantage de précisions. Ces chiffres montrent que la croissance du commerce international des biens culturels ne semble pas être liée à une plus grande diversification des pays producteurs de biens culturels[6]. Des phénomènes de concentration ont également été observés au niveau des entre­prises productrices de biens culturels, ainsi qu’au niveau de la diffusion – distribution[7].

Par ailleurs, « ce que choisit l’individu » peut être lié au comportement des autres individus. Il se pourrait que l’offre des biens culturels se diversifie, tandis que les « produits » achetés soient identiques (ce qui pourrait se manifester par des achats accrus de best-sellers). La diversité des choix des consommateurs (3) constitue donc un troisième axe d’étude de la diversité culturelle.

Enfin, nous pouvons ajouter la réception de l’œuvre culturelle (4) (ici, l’interaction entre le texte et le lecteur) comme quatrième et dernier axe de l’étude de la diversité culturelle. Cette réception peut engendrer des phénomènes de « créolisation », de réap­propriation et d’adaptation d’éléments d’une autre culture. Les philosophes de l’école de Constance ont cherché à com­prendre le processus d’interaction texte – lecteur. Citons en par­ticulier Wolfgang qui a analysé « l’effet du texte », le processus qui va du texte au lecteur. Le texte comporte des « blancs » suscitant le travail imaginaire du lecteur[8] et sa coopé­ration active. Pour Hans Robert Jauss, la manière dont le lecteur s’approprie le texte et l’interprète dépend de ses attentes littéraires (qui dépendent notamment de ses lectures antérieures), de ses attentes concrètes, des codes socioculturels, des valeurs, des normes, des goûts qui constituent l’univers du lecteur et les niveaux de compétences spécifiques acquis (niveaux de formation, savoirs acquis dans l’institution scolaire et/ou imprégnation dans le milieu fami­lial). En outre, de nombreux éléments d’un livre permettent d’exercer une contrainte sur cette lecture : des codes, des valeurs, des références communes aux textes et au lecteur orientent la lecture, tout comme la langue ou le style. De surcroît, le texte est inscrit à un moment de l’histoire littéraire et appartient à un genre qui obéit à des codes orientant et conditionnant la lecture[9] : l’œuvre agit en retour sur les horizons d’attentes du public.

Précisons d’emblée que la diversité des choix des consommateurs et la réception de l’œuvre culturelle ne sont pas le fait d’individus isolés des autres individus : leurs relations ont également une incidence sur leur réception des œuvres culturelles. En outre, les quatre axes cités plus haut peuvent être liés et recouvrir des dimensions multi­ples (so­ciologique, économique, politique, symbolique, psycho­logique …etc.). Dans le cas des échanges culturels transnatio­naux, ce type d’ap­proche permet d’échapper à l’é­conomisme et au culturalisme (Bourdieu, 1979 ; Heilbron, 1999)[10].  

3.     Nos deux axes d’étude : la diversité des échanges des biens culturels dans le cas des traductions et l’étude de la dynamique des flux de traductions entre 1979 et 2002

Si le deuxième axe de la diversité culturelle a déjà été largement étudié, la question de la diversité des échanges des biens culturels (notre premier axe d’étude) reste entière. Les traductions au niveau international entre 1979 et 2002 vont constituer notre objet d‘étude. Nous nous intéresserons à la question de la diversité culturelle et nous testerons en particulier l’hypothèse de la concentration des flux de traductions durant cette période. Nous chercherons ensuite à expliquer les évolutions de la diversité culturelle entre 1979 et 2002 en analysant la dynamique des flux de traductions en deux temps. Dans un premier temps, on montrera l’importance du sens des traductions et on mesurera la reconnaissance des langues à l’aide d’un nouvel indicateur.

Dans un second temps, on décrira de façon détaillée la dynamique des flux mondiaux de traductions. Ce travail constitue l’essentiel de cet article qui se veut avant tout un article à visée exploratoire. Compte tenu de l’aspect novateur de notre approche, on a plutôt cherché à obtenir des mesures, à établir des constats et non pas à s’inscrire dans un cadre théorique précis.

II. Méthodologie

1.     1)  Les « membres » du réseau

« Aider à reconnaître les propriétés structurales des ensembles sociaux est une des contributions de la sociologie. Pour ce faire, la méthode dite « structurale » part de l’obser­vation de relations et de l’absence de relations entre les membres d’un ensemble social. A partir de ces constats, elle cherche à reconstituer un système de relations et à décrire l’influence de ce système sur le comportement de ses membres. Les systèmes de relations sociales étant d’habitude complexes, elle les représente de manière simplifiée, délibérément réductrice, mais pratique pour la compréhension et l’explication. Dans son langage, une « structure » est donc une représentation simplifiée de ce système social complexe. Cette simplification permet d’identifier des régularités dans la composition et l’agencement des relations » (Lazega, 1999, page 3)[11].

Dans notre étude, les « membres » du réseau sont les langues vivantes traduites au moins une fois entre 1979 et 2002, les « relations » entre ces « mem­bres » étant bien sûr les traductions[12]. L’Index Translationum, qui répertorie les flux internationaux de traductions, nous a servi de base de données. Celle-ci est en appa­rence assez complète (nous y revien­drons) et disponible sur le site Internet de l’UNESCO[13].

Afin de créer des matrices, nous avons distingué dans un premier temps les langues vivantes des autres langues parmi l’ensemble des langues traduites entre 1979 et 2002. Les principales langues vivantes figurent dans un fichier qui distingue plus de 16000 catégories de population, caté­gories éta­blies à partir du lieu où résident ces populations, leur langue, leur religion… etc.[14]

Certaines langues ne figuraient pas dans ce fichier. Nous trouvons parmi celles-ci des langues mortes (on en dénombre 76 dont le latin, le grec ancien et le sanskrit), des langues « construites » (on en dénombre 3 dont l’esperanto), mais aussi des langues vivantes qui ne portaient pas le même nom dans les données de l’Index Translationum de l’UNESCO et dans ce fichier.[15] Seules les langues vivantes ont été conservées dans nos matrices.

Nous avons ensuite supprimé les traductions qui concernaient plusieurs langues[16] des langues non spécifiées[17], ainsi que les dialectes des langues dont le nombre de traductions est fortement négligeable par rapport à la langue dont ces dialectes sont issus[18]. Pour les autres dialectes, des regroupements ont été effectués avec la langue dont ils sont issus[19].

En utilisant cette base de données, une matrice représentant les flux de traductions entre les 665 langues vivantes traduites a été créée pour chaque année de la période 1979-2002.

La fiabilité des données de l’Index Translationum est sujette à caution. D’une part, la définition d’un livre est variable d’un pays à l’autre : les livres scolaires ou les documents administratifs, par exemple peuvent correspondre ou non à cette définition selon le pays considéré. D’autre part, la fiabilité des données est variable d’un pays à l’autre et d’une année sur l’autre. Nous avons tenté de les améliorer pour une trentaine de pays dont les données ne nous semblaient pas fiables sur une ou plusieurs années : nous avons remplacé les données non fiables par les données les plus récentes qui paraissaient fiables[20]. Ces faiblesses soulignent la difficile comparaison des données au niveau in­ternational. Néanmoins, les données fournies par l’Index Translationum sont les seules disponibles sur les traductions au niveau international.  

2.     « Langue originale » et « langue cible »

On utilisera par la suite le terme de « langue originale » pour désigner la langue dans laquelle un ouvrage a été écrit. Le terme de « langue cible » désigne la langue dans laquelle est traduit un ouvrage. Exemple de la traduction de La veuve Couderc de Georges Simenon en 1982 :

Langue originale                                    Langue cible

Français (La veuve Couderc)                             Allemand (Die Witwe Couderc)

Chronologiquement, l’ouvrage a d’abord été écrit en français, puis traduit en allemand. En analyse de réseaux, le sens des flux est important : on distingue choix « émis » et choix « reçus ». Nous avons considéré ici que la langue choisie était la langue originale, soit dans l’exemple précédent : Allemand Français ( signifie « a choisi »).

Ainsi, un lien existe si au moins une traduction est réalisée d’une langue originale A (l’anglais, par exemple) vers une langue cible B (le français). Si on dénombre au moins une traduction de la langue originale B (français) dans la langue cible A (anglais), un autre lien est comptabilisé.

III. Résultats

1.     La concentration des flux de traduction entre 1979 et 2002

Au niveau mondial, le nombre de traductions augmente chaque année depuis 1989 (à l’exception des années 2000 et 2002), passant d’environ 50000 en 1989 à plus de 90000 en 2001. En outre, depuis 1989, nous assistons à une concentration des flux de traductions : non seulement le nombre de traductions a augmenté de façon quasi constante, mais le nombre de liens a diminué de 17 % entre ces deux dates.

Figure 1. Évolution du nombre de traductions et de liens dans le monde entre 1979 et 2002..

Cette concentration des flux de traductions va à l’encontre de la définition usuelle du terme « mondialisation ». Mauro Guillen (2001) a recueilli des centaines de citations utilisant le terme « globalization », chacune d’entre elles apportant souvent une nouvelle définition de ce terme[21]. Il retient néanmoins trois éléments récurrents : la « compression » du temps et de l’espace mondial, l’interdépendance et l’intégration. On constate dans le cas des traductions qu’il n’y a pas d’intégration croissante des langues, mais plutôt une baisse de la densité des échanges.

Entre 1979 et 2002, le nombre de langues traduites a baissé de 17 % (on en dénombre 208 en 1979 et 172 en 2002). Cette diminution se concentre sur la période 1999-2002. Auparavant, le nombre de langues traduites varie de façon très irré­gulière autour de 200 (voir figure 2).

 

Figure 2. Evolution du nombre de langues vivantes traduites dans le monde entre 1979 et 2002.

La chute brutale du nombre de langues traduites pourrait être le signe d’un début de monopole de la langue anglaise, hypothèse évoquée par Mélitz (Mélitz 1998, cité par Heilbron, 1999)[22]. Selon un document de l’Unesco[23], il existe environ 6000 langues dans le monde mais seulement 4 % des lan­gues sont utilisées par 96 % de la population mon­diale. De surcroît, 50 % de ces 6000 langues sont en voie d’extinction. Sur Internet, 90 % des langues dans le monde ne sont pas représentées…

Suivant Mélitz, nous pouvons émettre l’hypothèse suivante : l’anglais serait respon­sable de la chute brutale du nombre de langues traduites. Autrement dit, les langues disparues entre ces deux dates seraient majoritairement des langues traduites à partir de l’anglais ou en anglais en 1998. Afin de tester cette hypothèse, une comparaison des données des années 1998 et 2002 a été effectuée. On dénombre 217 langues traduites en 1998 et 172 en 2002, soit une diffé­rence de 45 langues (86 langues traduites en 1998 ne l’ont pas été en 2002, alors que 41 langues non traduites en 1998 l’ont été en 2002).

Quatre langues permettent d’expliquer 79 % de la baisse constatée : le russe (25 %), l’anglais (24 %), l’espagnol (18 %) et le français (13 %). La chute du nombre de langues originales n’est pas due majoritairement à l’anglais, mais plutôt à une concentration des traductions en Russie. Si cette concentration est faible en Espagne et en France (ces deux pays étant des gros traducteurs, la diminution cons­tatée représente seulement 10 % des langues traduites), elle est beaucoup plus forte en Russie. On notera en particulier la diminu­tion du nombre de langues dans laquelle le russe a été traduit (« les langues cibles »). Alors qu’en 1989, on dénombre 107 langues cibles traduites en URSS, on en compte 98 en 1990, 72 en 1991. En Russie, 41 langues cibles ont été traduites en 1994, 36 en 1995, 21 en 1996 et 4 en 1999. L’URSS puis la Russie ont progressivement restreint leurs tra­ductions aux seuls livres traduits en russe.

2. Différencier langues « originales » et langues « cibles » pour expliquer la dynamique des flux de traductions

Pour expliquer la diminution de la diversité culturelle que nous avons pu constater à travers la baisse de la densité des liens de traductions, nous avons cherché à étudier de façon dynamique la reconnaissance des langues. On le verra, mettre à jour cette dynamique nous permet d’expliquer la diminution de la diversité culturelle.

Différencier les « langues originales » des « langues cibles » est primordial pour évaluer la reconnaissance d’une langue au niveau international. L’exemple de l’anglais est frappant : c’est de très loin la langue originale la plus traduite. En 1979, les traductions réalisées à partir d’ouvrages écrits à l’origine en anglais représentent 43 % des traductions. Cette part augmente pro­gressivement jusqu’en 1988, attei­gnant 48 %. La période 1989-1992 est une période de transition au niveau mondial : elle l’est aussi pour l’anglais, qui représente près de 60 % des traductions en 1992, puis 62 % en 1996. Depuis cette date, la part de l’anglais s’est stabilisée entre 62 et 63 %.

Néanmoins, les traductions en anglais ne représentent que … 5 % des traduc­tions en 2002 : parmi les langues cibles, l’anglais n’a jamais été majoritaire, attei­gnant un maxi­mum de 9 % des traductions en 1989. En résumé, l’anglais est forte­ment reconnu au ni­veau international (beaucoup de pays traduisent à partir d’ou­vrages écrits en anglais), mais les pays anglo-saxons traduisent peu en anglais.

1979

1989

1992

2002

1

Anglais

43,2%

1

Anglais

46,6%

1

Anglais

59,6%

1

Anglais

62,3%

2

Russe

12,0%

2

Français

11,0%

2

Français

12,5%

2

Allemand

9,3%

3

Français

11,8%

.

Russe

11,0%

3

Allemand

8,9%

3

Français

9,2%

4

Allemand

9,9%

4

Allemand

9,2%

4

Italien

2,8%

4

Italien

3,2%

5

Italien

2,9%

5

Italien

2,9%

5

Russe

2,4%

5

Espagnol

2,9%

6

Suédois

2,3%

6

Espagnol

2,3%

6

Espagnol

2,3%

6

Suédois

1,7%

7

Tchèque

1,6%

7

Suédois

2,1%

7

Suédois

1,7%

7

Russe

1,3%

8

Espagnol

1,5%

8

Tchèque

1,4%

8

Danois

1,0%

8

Danois

0,9%

.

Hongrois

1,5%

9

Hongrois

1,0%

9

Néerlandais

0,9%

.

Japonais

0,9%

10

Polonais

1,2%

10

Danois

0,9%

10

Arabe

0,7%

10

Néerlandais

0,8%

11

Danois

1,1%

.

Néerlandais

0,9%

.

Tchèque

0,7%

11

Portugais

0,7%

12

Néerlandais

0,9%

.

Polonais

0,9%

12

Japonais

0,6%

12

Catalan

0,6%

13

Serbo-croate

0,8%

13

Arabe

0,8%

.

Polonais

0,6%

.

Norvégien

0,6%

14

Roumain

0,7%

14

Serbo-croate

0,7%

14

Chinois

0,5%

14

Polonais

0,5%

15

Norvégien

0,6%

15

Norvégien

0,6%

.

Hébreu

0,5%

.

Tchèque

0,5%

 

 

 

.

Japonais

0,6%

.

Norvégien

0,5%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Portugais

0,5%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Serbo-Croate

0,5%

 

 

 

 Tableau  1.  Les 15 langues les plus reconnues en 1979, 1989, 1992 et 2002 (le critère utilisé ici est le pourcentage de traductions réalisées à partir d’ouvrages écrits dans cette langue).

Le nombre de traductions réalisées à partir d’une langue (qualifiée alors de « langue originale ») permet de mesurer sa reconnaissance au niveau inter­national. En 1979, trois langues représentent entre 10 et 12 % des traductions, alors que la cinquième langue (l’ita­lien) ne compte que pour 3 % des traductions.

Figure 3. Evolution de la part des traductions realices à partir d’ouvrages écrits en anglais et en russe entre 1979 et 2002 (base 100 en 1979).

Le tableau 1 et la figure 3 nous montrent que si 12 % des ouvrages traduits l’étaient à partir du russe en 1979 (ce pourcentage se stabilisant jusqu’en 1989 à 11 %), le russe ne représente que … 2,4 % des traductions au niveau mondial en 1992, ce pourcentage ne faisant que décroître jusqu’en 2002 pour atteindre 1,3 %. Si la part de l’allemand est assez stable, fluctuant entre 9 et 10 %, la part de la langue française qui s’élevait à 12,5 % des traductions au niveau mondial en 1992, ne représente plus que 9,1 % en 1997, se stabilisant ensuite.

Les trois langues les plus reconnues sur le plan international représentent donc 81 % des flux mondiaux de traductions en 2002 (contre 67 % en 1979), les sept langues les plus reconnues 90 % en 2002 (contre 84 % en 1979), les quinze lan­gues les plus reconnues 95 % en 2002 (contre 92 % en 2002)…etc. Ces chiffres montrent clairement que la concentration des flux de traductions, déjà très forte en 1979, s’est renforcée, ce renforcement s’opérant surtout entre 1989 et 1992.

Pour décrire les flux mondiaux de traductions, Johan Heilbron (1999), s’inspirant des tra­vaux d’Immanuel Wallerstein, utilise le concept de « système - monde ». Dans cette structure hiérar­chique, Heilbron distingue une langue hypercentrale (l’anglais), quelques langues centrales (allemand, français et pendant un temps le russe, chacune de ces langues représentant autour de 10 % du marché mondial), les langues périphériques (ayant entre 1 et 3 % du marché mondial de traduction) et les langues semi - périphériques (moins d’un pourcent du marché mondial). Les résul­tats que nous avons observés confirment la domina­tion de la langue anglaise et son rang dans la hiérar­chie des langues au ni­veau mondial[24].

Parmi ces langues « semi - périphériques » ou « périphériques », certaines ont vu leur part nettement progresser entre 1979 et 2002 : l’espagnol (respectivement 1,5 % et 2,9%), le catalan (0,1 % et 0,6 %), et depuis 1995, le portugais (0,4 % ; 0,7 %) et le japonais (0,5 % ; 0,9 %). D’autres langues ont connu une évolution contraire entre 1979 et 2002 : le suédois (2,3 %, 1,7 %), le danois (1,1 %, 0,9 %) et l’arabe (0,8 % ; 0,4 %).

Surtout, nous remarquons que la chute brutale des traductions réalisées à partir d’ouvrages écrits en russe coïncide avec la chute du mur de Berlin. Nous constatons également que la part de la quasi-totalité des langues des pays de l’ex-URSS a chuté fortement à partir de 1989. Seul l’estonien a retrouvé son niveau de 1979 en 2002 (0,3 %), après une chute à 0,1 % en 1991. Ajoutons à ce constat les langues officielles des pays d’Europe centrale : à partir de 1989, la part des traductions réalisées à partir des langues officielles des anciens pays communistes d'Europe cen­trale et d’Europe de l'est (bulgare, hongrois, polo­nais, roumain, slovaque, tchè­que) a fortement chuté (5,7 % en 1979, contre 1,4 % en 2002).

Par ailleurs, le serbe et le croate repré­sentent à eux deux, en 2002, 0,4 % des traductions alors que le serbo-croate représentait 0,5 % en 1992. Il est probable que certaines relations puissent expliquer que les langues serbes et croates n’aient pas connu une baisse d’influence sur la scène internationale aussi impor­tante que les langues des anciennes républiques soviétiques. Rappelons que, suite à sa rupture avec Staline et son exclusion du Kominform en 1948, la Yougoslavie de Tito a abandonné le modèle sovié­tique de dévelop­pement pour devenir un pays « non aligné » qui se réclamait du communisme tout en affir­mant son indépendance vis-à-vis des deux blocs et en entretenant des relations avec les pays développés. Dans un premier temps, nous faisons donc l’hypothèse que la dimen­sion politique est en grande partie responsable de la recon­naissance des langues, la baisse de la qualité des ouvrages des auteurs écrivant en russe ne pouvant expliquer cette chute qui serait trop brutale, se déroulant uniquement durant les années 1990-1992[25].           

3.     Le nombre de liens, nouvel indicateur de la reconnaissance des langues

Les langues appartenant à la périphérie du « système - monde » selon Heilbron (1999), sont nombreu­ses et très hétérogènes. Toutefois, il ne s’aventure pas à différen­cier les langues « péri­phériques » les unes des autres. Il souligne cependant que cer­taines d’entre elles comptent bon nombre de locuteurs : Heilbron (1999) remarque ainsi que la taille de la popu­lation qui parle une langue « périphérique » (comme le chi­nois, le japo­nais, l’arabe ou le portugais) et la centralité de cette langue dans le sys­tème international ne sont pas toujours corrélés[26].

Or il nous semble que la définition même de l’indicateur de centralité d’une langue pose problème. Comme nous l’avons dit précédemment, la fiabilité des données de l’Index Translationum est incertaine notamment en raison d’un manque de consensus sur la définition du livre. Aussi, nous considérons que le nombre de traductions n’est pas un indicateur suffisant pour évaluer la reconnaissance des langues au niveau mon­dial (à l’exception de l’anglais, du français, de l’allemand et du russe avant 1989 et des trois premières langues citées après 1992) pour trois raisons : la qualité des données, les définitions du livre variables ainsi que la faible représentation des langues périphériques suivant ce critère. En effet, hormis l’italien, l’espagnol, le suédois et le russe, une langue périphérique ne représente au mieux que 0,9 % des traductions en 2002 (voir ci-dessus) : par conséquent, il est difficile de distinguer clairement les langues périphériques les plus reconnues.

Prenons un exemple : en 2002, le nombre de traductions réalisées à partir d’ouvrages écrits en catalan est huit fois plus important que celui du slovène. Pourtant le nombre de langues pour lesquelles une traduction a été effectuée à partir d’un ouvrage écrit en catalan est pratiquement égal à celui du slovène (17 contre 15). Cette différence peut s’expliquer par le fait que le catalan est traduit très majori­tairement dans un pays qui traduit beaucoup (l’Espa­gne), alors que la Slovénie tra­duit beaucoup moins d’ouvrages. Peut-on pour autant affirmer que le catalan est davantage reconnu que le slovène sur la scène interna­tionale ?

La méthode d’analyse des réseaux sociaux offre de nouveaux outils pour éva­luer la reconnaissance internationale des langues. Cette méthode permet de calcu­ler le nombre de liens de traduction pour chaque langue. En analyse de réseaux, le nombre de liens total d’un acteur est appelé centralité de degré. Cet indicateur peut se calculer pour les deux sens de traduction : les deux indices obtenus sont appelés demi - degré intérieur et demi – degré extérieur. L’exemple de l’anglais démontre qu’il est particulièrement utile de distinguer ces deux indices dans notre étude. Nous utiliserons ici le terme de demi - degré intérieur pour qualifier les choix « reçus » par une langue X, autrement dit le nombre de langues dans lesquelles a été traduit au moins un ouvrage écrit à l’origine dans la langue X.

1979

1989

1992

2002

1

Russe

107

1

Russe

109

1

Anglais

96

1

Anglais

72

2

Anglais

85

2

Anglais

96

2

Russe

59

2

Français

64

3

Allemand

67

3

Français

73

3

Français

54

3

Allemand

56

4

Français

65

4

Allemand

63

4

Allemand

47

4

Espagnol

49

5

Italien

43

5

Espagnol

43

5

Espagnol

40

5

Russe

44

.

Tchèque

43

6

Italien

41

6

Suédois

36

6

Danois

42

7

Espagnol

40

7

Suédois

37

7

Italien

35

.

Italien

42

8

Polonais

38

8

Polonais

36

8

Danois

33

8

Suédois

40

9

Suédois

37

.

Tchèque

36

9

Arabe

32

9

Arabe

36

10

Hongrois

35

10

Japonais

35

10

Japonais

30

.

Portugais

36

11

Danois

34

11

Arabe

34

11

Chinois

29

11

Japonais

34

12

Bulgare

33

12

Danois

33

.

Néerlandais

29

12

Néerlandais

33

.

Japonais

33

13

Norvégien

30

13

Finnois

27

.

Norvégien

33

14

Portugais

30

.

Ukrainien

30

.

Tchèque

27

.

Tchèque

33

15

Arabe

29

15

Lituanien

29

15

Hébreu

26

15

Hébreu

32

.

Serbo-Croate

29

.

Serbo-Croate

29

16

Norvégien

25

16

Polonais

31

17

Ukrainien

28

17

Portugais

27

.

Polonais

25

17

Hongrois

28

18

Néerlandais

27

18

Néerlandais

26

.

Portugais

25

18

Chinois

26

.

Persan

27

.

Hongrois

26

19

Hongrois

24

.

Finnois

26

20

Norvégien

26

20

Chinois

25

.

Serbo-Croate

24

20

Grec

25

 

 

 

.

Roumain

25

 

 

 

.

Persan

25

Tableau 2. Les 20 langues les plus reconnues en 1979, 1989, 1992 et 2002 selon le critère du demi - degré intérieur.

En 2002, les demi – degrés intérieurs du catalan et du slovène sont à peu près équivalents (17 pour le catalan, 15 pour le slovène) au contraire du nombre de traductions (les chiffres ont été cités précédemment). Si le catalan était la douzième langue la plus tra­duite en 2002 en utilisant le critère du nombre de traductions, cette langue n’est classée qu’en 26ème position en utilisant le critère du demi – degré intérieur. Au contraire, l’arabe dont le nombre de traductions est inférieur à celui du catalan en 2002, a un demi – degré intérieur plus de deux fois supérieur (36 contre 17).

Ces exemples montrent que le critère du demi – degré intérieur est complémentaire et même parfois préférable à celui du nombre de traductions pour étudier la reconnaissance des langues dites « périphériques ». La reconnaissance d’une langue ne peut être mesurée uniquement par rapport au nombre de traductions en raison notamment du manque d’harmo­nisation inter­nationale de la définition du livre qui pourrait sous- évaluer le nombre de traductions dans certains pays.

Notons par ailleurs que le russe est selon ce critère la langue la plus reconnue jusqu’en 1989. Or nous avons observé précédemment l’hégémonie de la langue anglaise, même avant 1989, ce qui nous amène à relever les insuffisances du critère du demi – degré intérieur.

Nous pouvons en déduire que, si le nombre de liens donne une estimation du prestige d’une langue, connaître les « membres » des liens et leurs places respectives dans le « système - monde » est tout aussi important. Aussi, nous allons tenter à présent de décrire et de comprendre la dynamique de ce « système – monde » entre 1979 et 2002.  

IV. Le « système – monde » entre 1979 et 2002

1.     Les liens « préférentiels » les plus fréquents

Pour comprendre le « système – monde », il est nécessaire de connaître les langues qui participent le plus à la reconnaissance de chacune des autres langues. Pour répondre au problème qui nous est posé, nous sommes confrontés à une densité trop importante en utilisant les matrices dont la construction est décrite plus haut[27]. Cela s’explique par notre choix de considérer qu’il existe un lien entre deux langues si au moins une traduction a été réalisée. Par exemple, on dénombre en 1979 environ 5000 traductions de l’allemand en anglais, ce qui constitue un lien entre l’allemand et l’anglais, mais aussi une vingtaine de traductions du catalan en anglais, ce qui constitue également un lien entre le catalan et l’anglais.

Pour réduire cette densité trop importante, nous avons choisi la méthode suivante. Dans un premier temps, nous avons uniquement conservé les 139 langues les plus traduites au cours des 24 an­nées étudiées (la somme des traductions de ces 139 langues représente … 99,9 % de l’ensemble des traductions). Précisons que sur les 24 années de l’étude, on dénombre seulement 6 traductions entre les 526 langues les moins traduites, ce qui justifierait l’utilisation du terme « périphérique » à cet ensemble de langues.

Ensuite, nous avons utilisé le critère de l’indépendance statistique. Plus précisément, nous avons comparé le nombre de traductions des matrices avec ce qu’il aurait dû être s’il n’y avait pas de préférences dans les flux de traductions. Par exemple, en 1979, on comptabilise 1400 traductions en espagnol à partir d’ouvrages écrits en français. Or, s’il n’y avait pas de préférences, nous aurions obtenu un total de 773 traductions[28]. Le nombre observé est donc 1,8 fois plus important que dans le cas l’indépendance statistique. Nous pouvons conclure que l’espagnol participe à une plus grande reconnais­sance mondiale du français (puisque 1,8 est supérieur à 1[29]) : il existe un lien préférentiel entre ces deux langues dans ce sens de traduction pour l’année 1979. Cette comparaison a été effectuée dans les 24 matrices composées des 139 langues les plus traduites.

Afin de simplifier davantage l’analyse, nous avons cherché les liens préféren­tiels les plus fréquents : seuls les liens préférentiels qui ont perduré sur une période de cinq années sont conservées dans quatre matrices, chaque matrice représentant une période de cinq ans (1980-1984, 1985-1989, 1992-1996, 1997-2001)[30]. Malgré ces simplifications, les descriptions qui suivent peuvent paraître assez lourdes. Néanmoins, celles-ci s’avèrent nécessaires, le « système-monde » n’ayant jamais fait l’oeuvre d’une description à ce jour.

2.     Description du « système-monde » pour la période 1979-1984

Légende[31] :

- La taille des points est proportionnelle au nombre de liens préférentiels de la langue, c’est-à-dire la somme des liens préférentiels « reçus » ou « émis ». Par exemple, l’italien et le français ont un lien préférentiel dans les deux sens de traduction. Le français et l’italien ont donc deux liens préférentiels.

- Les ensembles de langues qui sont fortement connectées entre elles ainsi que les langues qui ont des caractéristiques communes apparaissent dans la même couleur (voir les commentaires pour plus de précisions).

a) L’anglais et le russe sont les deux langues les plus centrales sur la période 1980-1984. L’opposition entre les deux blocs est très claire : l’anglais a des liens préférentiels de traductions avec toutes les langues officielles des pays occidentaux et le russe a des liens préférentiels de traductions avec toutes les langues officielles des pays du bloc communiste. A la différence du russe seulement connecté avec le finnois, l’anglais est connecté avec plusieurs membres de l’autre bloc (estonien, ukrainien, arménien, polonais, hongrois, roumain).

b) L’allemand et le français sont les deux autres langues importantes : elles sont fortement connectés avec les langues officielles des pays voisins. L’allemand est par exemple connecté avec le français, le néerlandais, le polonais, le hongrois et le slovène (pour rappel, la Hongrie et le territoire actuel de la Slovénie sont limitrophes de l’Autriche). Le français est davantage lié à des langues de pays méditerranéens (portugais, espagnol, catalan, italien, grec), même si des liens existent avec des langues des pays situés plus au nord de l’Europe (néerlandais, allemand).

 

Figure 4. Les liens préférentiels de traduction sur la période 1980-1984.

c) A la « périphérie », nous retrouvons plusieurs ensembles de langues.

* Des ensembles comprenant une grande majorité de langues des pays occidentaux :

En premier lieu, on peut remarquer que les langues du nord de l’Europe (l’islandais, le norvégien, le suédois, le finnois et le danois) sont très fortement connectées entre elles. Ces langues ont toutes un lien préférentiel avec l’anglais, mais très peu avec les autres langues, à l’exception de quelques liens préférentiels avec les langues germaniques (allemand, frison « occidental ») et des liens extérieurs du finnois (avec l’estonien et le russe notamment). Ce sont les langues officielles des Etats membres du Conseil nordique, fondé en 1952.

On retrouve également un bloc de langues réunies autour du néerlandais : le frison « occidental », langue parlée notamment au nord des Pays-Bas, mais aussi trois langues d’anciens pays colonisés par celui-ci (afrikaans, indonésien, malais).

Ensuite, nous pouvons relever la présence d’un bloc de langues dont font partie l’espagnol, le portugais et l’italien. Dans cet ensemble figurent également des langues comme le basque et le catalan. Ce bloc est particulièrement connecté avec l’anglais, le français, le roumain, mais aussi l’allemand ou le grec. L’italien a également des liens préférentiels avec deux langues parlées tout particulièrement dans le pays qui s’appelait à l’époque la Yougo­slavie (le serbo-croate et le slovène).

* Un ensemble composé dans une large majorité de langues officielles de pays commu­nistes :

Le serbo-croate, le slovène, le macédonien, le polonais, le tchèque, le slovaque, le hongrois, le bulgare, le roumain, l’albanais et le grec sont les membres de cet ensemble. Les langues officielles des pays limitrophes sont presque toutes reliées de façon préférentielle entre elles : le critère géographique est très clairement décisif ici. Ainsi, le polonais est relié au tchèque et au slovaque ; le slovaque au hongrois ; le hongrois au slovène, au serbo-croate et au roumain ; le serbo-croate au slovène, au macédo­nien et à l’albanais et le grec à l’albanais et au bulgare. Seuls les liens bulgare / serbo-croate et grec / macédonien font défaut. Les relations préférentielles de traduction à l’intérieur de cet ensemble dépassent les désaccords politiques entre pays communistes « rattachés » à Moscou à travers notamment le Pacte de Varsovie (la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Bulgare et la Roumanie, en jaune sur la figure 4), communistes mais davan­tage indépendants vis-à-vis de Moscou (la Yougoslavie – voir précédemment – et l’Albanie, pays qui a quitté la Pacte de Varsovie en 1968) et non communistes (la Grèce).

Cependant, on peut percevoir ces différends à travers les relations préférentielles de traduction avec l’extérieur de cet ensemble. Les langues des pays membres du Pacte de Varsovie (polonais, tchèque, slovaque, hongrois, bulgare, roumain) ont toutes une relation préférentielle avec le russe et avec des langues des républiques soviétiques à l’exception du roumain. Au contraire, les langues des trois pays plus indépendants de l’URSS (serbo-croate, slovène, macédonien, albanais, grec) n’ont pas de liens préférentiels avec les républiques soviétiques hormis le serbo-croate qui est connecté avec l’ukrainien et le russe. Le critère décisif pour expliquer les liens préférentiels de traduction est ici le critère politique, qui n’est toutefois pas indépendant du critère géographique (un pays est plus facilement indépendant politiquement d’un autre pays quand il en est éloigné géographiquement, ceteris paribus).

* Trois ensembles de langues des républiques soviétiques :

Nous venons d’évoquer l’existence de relations entre les langues des pays commu­nistes unis à l’URSS par le Pacte de Varsovie et certaines langues des républiques sovié­tiques. Ces langues sont l’estonien, le letton, le lituanien, le biélorusse, l’ukrainien, le mol­dave et le géorgien. On peut y ajouter l’arménien, connecté avec l’ukrainien, le lituanien et le géorgien. Elles sont fortement reliées entre elles et en particulier autour de l’ukrainien qui est connecté avec six des sept autres langues de cet ensemble, mais également (et c’est une tautologie) avec le russe.

Le deuxième ensemble est constitué de l’azéri, de l’abkhaze (langue de la république de Géorgie) et du turkmène. Ces langues ne sont pas reliées entre elles, mais elles ont la particularité d’être connectées avec une des huit langues citées ci-dessus en plus du russe. Il s’agit de l’ukrainien pour l’azéri et le turkmène et du géorgien pour l’abkhaze.

Le troisième ensemble est composé de cinq langues réunies autour de l’ouzbek qui est lui-même connecté avec l’ukrainien. Les quatre autres langues sont le kazakh, le karakalpak (langue parlée au nord de l’Ouzbékistan), le kirghize et le tadjik. Celles-ci sont parlées dans des républiques soviétiques du continent asiatique tout comme les langues de l’ensemble précédent. Ces deux derniers ensembles sont très isolés du premier, notamment parce que les pays dans lesquels ces langues sont parlées sont éloignés géographiquement des républiques soviétiques situées en Europe.

* Un ensemble de langues parlées en Russie :

Le russe a des liens préférentiels et exclusifs de traduction avec une vingtaine de lan­gues parlées dans la république soviétique de Russie qui ne sont pas connectées entre elles. Citons le tatar à titre d’exemple.

* Trois ensembles de langues asiatiques :

Le premier ensemble est composé de dix langues dont le lao et le vietnamien. Celles-ci sont exclusivement reliées au russe.

Le second ensemble est composé de quatre langues toutes reliées à l’anglais. Il s’agit du chinois, du thaï et du coréen qui sont toutes les trois reliées au japonais. Le chinois et le japonais ont des liens préférentiels de traduction avec le russe, le japonais avec le finnois (ce qui est ponctuel) et l’indonésien et le chinois avec l’allemand.

Le troisième ensemble est composé d’une dizaine de langues indiennes qui ont la particularité, pour huit d’entre elles, d’avoir des relations de traductions préférentielles quasi exclusives avec l’anglais et le russe en dehors de cet ensemble (font exception, l’ourdou et le bengali qui ont un lien préférentiel avec l’arabe). Elles sont toutes connectées au bengali et/ou à l’hindi. De Swaan (2001) a consacré un chapitre entier à ces langues qui ne sont pas unique­ment parlées en Inde[32]. Dans ce pays, on recense environ 800 langues, mais seulement 18 ont un caractère officiel[33] dont la dizaine de langues de notre ensemble. A l’intérieur de celui-ci, il existe certaines divisions linguistiques entre les langues du nord et du sud du sous-continent indien[34], divisions que l’on retrouve de temps à autre dans nos données. Par exemple, le telougou qui est la troisième langue en terme de locuteurs n’a qu’un seul lien avec l’hindi (la première) durant les quatre périodes considérées et aucun avec le bengali (la seconde).

* Un dernier ensemble de trois langues :

Il est composé du turc, du persan et de l’arabe. Si ces trois langues ont des liens pré­férentiels de traduction entre elles et avec le russe, leurs autres relations sont très diverses. Le turc est fortement relié aux langues de pays européens voisins (albanais, macédonien, grec, bulgare, roumain), ainsi qu’à l’allemand, ce qui est fort compréhensible compte tenu de la population turque ou d’origine turque vivant en Allemagne. Le persan est connecté aux langues des pays limitrophe (Azerbaïdjan) ou voisin (Ouzbékistan) de l’Iran et l’arabe à l’ourdou et au bengali. Le malais et l’indonésien entretiennent des relations de traductions préférentielles avec le persan et/ou l’arabe.

* Les autres langues :

Il y a d’abord des langues connectées exclusivement avec la langue (souvent offi­cielle) du pays où elles sont parlées. C’est le cas par exemple du breton et de l’occitan en France, du galicien en Espagne ou de l’inuktitut au Groenland (territoire danois). Il y a ensuite le cas de deux langues africaines, reliées exclusivement avec le russe (l’amharique et le swahili), de deux langues qui sont liées de façon préférentielle avec l’anglais pour des raisons évidentes (l’irlandais et le gallois) et du tibétain qui a un lien préférentiel exclusif avec l’anglais. Enfin, l’hébreu et le yiddish, deux langues parlées principalement par les commu­nautés juives, ont des relations de traductions préférentielles entre elles. Cependant, l’hébreu est également connecté à l’anglais et à l’allemand, alors que le yiddish est lié à l’ukrainien et au russe. Ces relations reflètent les mouvements migratoires des populations qui parlent aujour­d’hui ces deux langues.

Nous pouvons faire un premier bilan provisoire. Hormis le cas de l’anglais, ce sont surtout les langues des pays voisins qui participent le plus à la reconnaissance des langues. La dimension politique est également importante : les anciens pays de l’URSS ont des liens préférentiels de traduction entre eux. Autre exemple : les langues indiennes ne possèdent pas de liens préférentiels de traduction avec les langues de l’URSS (en dehors du russe) et avec les langues des autres pays asiatiques, pourtant aussi proches qu’eux géogra­phiquement. En outre, des spécificités coloniales demeurent. Par exemple, le néerlandais entretient des rela­tions de traductions préféren­tielles avec l’afrikaans, l’indonésien et le malais, langues des anciens pays colonisés par les Pays-Bas…etc.

3.     Les évolutions du « système-monde » entre 1979 et 2002

Nous constatons une très forte stabilité des liens préférentiels de traductions entre 1985-1989 et 1980-1984, alors que les données utilisées sont très largement différentes entre les deux premiè­res périodes considérées. 

 

Figure 5. Les liens préférentiels de traduction sur la période 1985-1989.

Sans entrer dans les détails, notons en particulier que huit liens préférentiels ont disparu entre les huit langues des républiques soviétiques les plus connectées aux langues des pays membres du Pacte de Varsovie[35]. Il en est de même pour le groupe de langues indiennes. De plus, le groupe de cinq langues réunies autour de l’ouzbek a éclaté : le tadjik et l’ouzbek se trouvent isolés des langues des républiques soviétiques, à l’exception bien évidemment du russe.

En outre, le turc a perdu des liens préférentiels de traduction avec quatre langues des pays méditerranéens. Enfin, notons les changements de liens préférentiels de certaines langues asiatiques comme le chinois ou le thaï qui ne sont plus connectées au japonais (ce qui est provisoire) ou le malais qui n’a plus de liens préférentiels avec le néerlandais. Les autres évolutions sont mineures.

Nous observons une « grande transformation » après 1989. De nombreux ensembles assez facilement identifiables avant 1990 ont éclaté.

En effet, si le russe garde des relations de traductions préférentielles avec de nom­breuses langues des pays de l’ex-URSS, ces dernières n’ont pratiquement plus de rela­tions de traductions préférentielles entre elles, à l’exception du letton de l’estonien. De surcroît, nous observons l’absence de relations entre les langues des anciennes répu­bliques soviétiques (hormis le russe) et les langues des pays de l’est sur la période 1992-1996. Enfin, nous constatons que le nombre de langues du territoire russe traduites de façon préférentielle a fortement diminué (d’une vingtaine à huit).

 

 

Figure 6. Les liens préférentiels de traduction sur la période 1992-1996.

Nous retrouvons ici l’explication de la baisse du nombre de liens déjà observée après 1989. La concentration des flux de traduction au niveau mondial pendant cette période s’explique par la chute de l’URSS : les liens préférentiels de traductions entre les républiques soviétiques, assuré par l’URSS, se sont progressivement atténués. En effet, à partir de 1991, les anciennes républiques soviétiques ont progressivement accédé à l’indépendance. Peu à peu, les données de l’Index Translationum apparais­sent dans la partie européenne de l’ex-URSS (1990 pour l’Estonie, 1991 pour le Belarus, 1993 pour la Lituanie et la Moldavie, 1994 pour la Lettonie, 1995 pour l’Ukraine, 2001 pour l’Azerbaïd­jan), les autres anciennes répu­bliques soviétiques n’ayant pas encore fourni de données. Comme nous le remar­quions précédemment, les langues parlées dans les pays de la partie asiatique de l’ex-URSS (Azéri, Kazakh, Kirghize et Ouzbek notamment) étaient déjà fortement isolées des autres langues parlées dans les républiques soviétiques avant 1989, à l’exception du russe et de l’ukrainien pour le kazakh ou le kirghize.

La chute de l’URSS a eu non seulement des répercussions négatives sur les liens préféren­tiels de traductions entre les langues des républiques soviétiques, mais aussi sur la reconnaissance mondiale du russe (la quasi-totalité des langues des pays d’Asie - dont les langues indiennes - n’ont plus de liens préférentiels de traduction avec le russe après 1989) et sur les relations préférentielles de traduction entre les anciens membres du Pacte de Varsovie. Ainsi, le roumain et le bulgare n’ont plus de liens préférentiels avec le tchèque, le slovaque, le polonais et le hongrois.

Ajoutons à cela l’éclatement des relations entre les langues de l’ex-Yougoslavie qui se sont divisées en plusieurs groupes : le croate et le slovène forment un sous-ensemble cohésif avec le « voisin » italien et ont les mêmes relations (à l’exception des relations préférentielles avec le français, exclusivité dans un premier temps de l’italien), le macé­donien a d’autres liens préférentiels de traduction et le serbe n’est plus présent pour des raisons évidentes.

Nous observons par conséquent une diminution spectaculaire de l’influence du russe à partir de la chute du mur de Berlin et une centralité dans le réseau des liens préférentiels de traduction encore plus importante de l’anglais. A titre d’exemple, le lituanien, le tchèque, le slovaque, le slovène et le bulgare ont désormais des relations préférentielles de traduc­tions avec l’anglais. Ces évolutions se reflètent dans la part des traductions réalisées à partir d’ouvrages écrits en russe (qui chute de 11,1 % à 2,4 % entre 1989 et 1992) et l’anglais (dont la part augmente de 46,6 % à 59,9 % entre ces deux mêmes dates, voir précédemment)[36].

Soulignons également l’extension de l’ensemble des langues des pays nordiques composé avant 1989 de l’islandais, du norvégien, du suédois, du finnois, du danois et de l’inuktitut parlé au Groenland. Il faut y ajouter, à partir de 1992, le kalaallisut (ou Groen­landais), le féroïen (des Iles Féroé, territoire danois), le sami (parlé en Norvège, en Suède et en Finlande) et le nynorsk[37]. Notons aussi la disparition définitive des relations de l’allemand avec le catalan, l’espagnol et le portugais. Enfin, l’appa­rition de nouvelles données nous fait découvrir un nouvel ensemble composé de langues d’îles de l’Océanie (le samoan ou le tongan par exemple). Celles-ci sont isolées des autres langues

Par rapport à la période précédente, nous remarquons une augmentation du nombre des relations préférentielles de tra­duction entre les langues des pays de l’Europe centrale, de l’Europe de l’est et de pays méditerranéens. La disparition du serbo-croate au profit de deux nouvelles langues distinctes (le serbe et le croate) est une des premières causes de cette augmentation des liens préfé­rentiels de traduction. Le croate est désormais connecté avec le slovaque et le polonais, alors que le serbe est relié aux langues officielles des pays limitrophes de la Serbie (albanais, macé­donien, bulgare, roumain, hongrois), ainsi qu’au grec, à l’ukrainien, au slovène, au français et bien entendu à l’anglais. D’autres relations disparues après 1989 sont réapparues comme celle de l’ukrainien avec le polonais et celle du lituanien avec le letton. Mais ce graphe nous montre qu’un ensemble de langues connectées avant 1989 pour d’évidentes raisons poli­tiques n’ont à ce jour plus de relations préférentielles après la chute du mur de Berlin.

En contrepartie, de nouveaux liens préférentiels se créent : on assiste en particulier au renfor­cement des liens entre les langues des trois pays baltiques et les quatre langues des pays nordiques très proches géographiquement. Avant 1989, le fin­nois était la seule langue connectée avec des langues des pays baltiques. Sur la période 1992-1996, parmi les trois langues des pays baltiques, seul l’estonien est relié avec trois langues des pays nordiques. Pendant la période 1997-2001, le norvégien, le suédois, le fin­nois et le danois sont tous connectés à au moins une des trois langues des pays baltiques.

Ce graphe confirme que presque toutes les relations préférentielles de traduction du russe se basent aujourd’hui sur des critères géographiques et non plus politiques. Le seul contre-exemple est particulièrement intéressant : il s’agit de l’exclusivité des relations préfé­rentielles du biélorusse. Cette relation va à contre-courant de la tendance interna­tionale qui est à la création de liens préférentiels avec l’anglais. Le régime totalitaire de la Biélorussie et son commerce extérieur entièrement tourné vers la Russie pourrait expliquer ce résultat

 

Figura 7. Les liens préférentiels de traduction sur la période 1997-2001.

4.     D’autres aspects à prendre en compte pour expliquer la dynamique des flux de traductions

Au final, l’explication de la dynamique des flux de traductions à travers les nom­breux exemples cités précédemment nous permet de mieux comprendre la diminution de la diversité culturelle constatée après 1989. La baisse de la densité des relations de traduction est liée à la reconfiguration du « système-monde » dont la dynamique repose avant tout sur des considérations politiques et géographiques. C’est particulièrement le cas pour les langues qui sont dans des situations intermédiaires, c’est-à-dire les 139 langues les plus importantes à l’exception de l’anglais et - dans une moindre mesure - de l’allemand et du français qui conservent une reconnaissance mondiale assez forte.

Pour les trois langues citées ci-dessus, il ne faut pas négliger la dimension écono­mique pour expliquer la reconnais­sance des langues. Par exemple, l'hyper­centralisation de l'anglais a des origines politiques, mais aussi économiques (économie des frais de traduction, gain de temps, même si cette maîtrise de l’anglais doit s’entre­tenir en regardant des films ou en lisant des ouvrages)[38]. Par conséquent, les éditeurs seront moins enclins à traduire des textes dans des langues périphériques s’il y a plus de lecteurs en anglais[39], ce qui limite paradoxalement la croissance de la part des traductions réalisées à partir de l’anglais.

Par ailleurs, les langues des pays africains demeurent à de rares exceptions près dans l'ensemble des 526 langues les moins importantes : la capacité de production de ces pays empêche toute reconnaissance importante des langues parlées dans ces pays en dehors des langues des anciens pays colonisateurs. D’autres considérations comme la taille du pays permettent d’expliquer la reconnaissance de certaines langues. Ce facteur joue pour l'Inde : les langues indiennes ont énormément de liens préférentiels entre elles, mais il n’y a pratiquement aucun lien préférentiel entre les langues indiennes et les langues des pays asiatiques, hormis l'arabe et le japonais.

En utilisant le critère du lien préférentiel, on constate qu’il y a relativement peu d'évolutions entre les deux dernières périodes étudiées (hormis bien sûr les évolutions exceptionnelles liées à la chute de l'ex-URSS). Cet article propose en effet une vision à long terme et à une autre échelle que celle des producteurs, des traducteurs et des lecteurs : les évolutions ponctuelles (moins de cinq années) ou plus localisées (liées à un type d’auteur, à un type de livre, à un courant littéraire bien précis…etc.) sont mises de côté.

V. Conclusion

Confronter le concept de mondialisation à une étude empirique constituait notre objec­tif initial. La tentative de synthèse des définitions du concept de mondialisation ne cor­respond pas à ce que nous avons observé, en particulier sur l’intégration et l’interdépen­dance crois­sante : l’usage de ce concept semble donc inadapté à notre objet. En effet, notre étude apporte des éléments empiriques sur la concen­tration des éch­anges culturels et par conséquent sur la concentration de la production des biens culturels, qui s’illustre notamment par une diminution de la densité des flux observés alors que le nombre de traductions a presque doublé depuis 1989. En outre, le nombre de langues traduites semble avoir diminué à partir de 1999.

Peut-on pour autant craindre une diminution de la diversité culturelle ces prochaines années ? Si la question reste entière, celle-ci nous semble toutefois liée à la dynamique future des flux de traductions. Or cet article apporte également des éléments de réflexion sur ce thème. Par exemple, nous avons pu montrer l’aug­mentation de la part des traductions réalisées à partir de l’anglais qui a été très importante entre 1989 et 1992 notamment, alors qu’en parallèle, la reconnaissance du russe n’a cessé de décroître.

L’impor­tance de la place des langues plutôt que la qualité des ouvrages comme facteur explicatif de la reconnaissance des langues n’est pas une idée nouvelle. Ainsi, selon Pascale Casanova (2002, page 9) : « pour se donner une chance de com­prendre les enjeux véritables (et le plus souvent déniés) de la traduc­tion d’un texte, il est néces­saire de décrire au préalable la position qu’occupent la langue de départ et la langue d’arrivée dans l’univers des langues littéraires, de situer en­suite l’auteur tra­duit dans le champ litté­raire mondial (…) ; d’analyser enfin la position des divers agents consa­crants qui participent au processus de consé­cration de l’œuvre ». Johan Heilbron (1999) partage ce constat[40], même si Pascale Casanova (2002) insiste davantage sur le concept de domi­nation[41]. Comme Heilbron (1999) l’a précisé par ailleurs[42], il est nécessaire de relier la re­connaissance des langues au niveau international aux stratégies des maisons d’édition et à la dynamique de l’économie du livre.

Si nous partageons la nécessité d’un rapprochement entre ces deux échelles, mais égale­ment entre une vision de long terme et une vision de court terme, cet article remet en question la validité d’une approche de la reconnaissance des langues fondée unique­ment sur le concept de domination. Certes, l’anglais est la langue dominante au niveau inter­national : cette langue occupe aujourd’hui une place quasi hégémonique. Toutefois, le concept de domi­nation peut difficilement s’appliquer à d’autres langues : en effet, à de nombreuses reprises, nous avons pu expliquer la dynamique des flux de traductions par des considérations géogra­phiques, surtout après 1989.

Plus généralement, cet article montre que le processus de « mon­dialisation » ne peut être appréhendé qu’au moyen de travaux empiriques utilisant d’autres outils que ceux utilisés habituellement[43]. Ainsi, d’autres logiques feront surface et apporteront par conséquent une meilleure compré­hension des échanges internationaux.

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[1] Pour toute correspondance : barre.germain@gmail.com, membre de l'Observatoire des Réseaux Intra- et Inter-Organisationnels (ORIO ; Centre for Research on Intra- and Inter-Organisational Networks).

Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement Catherine Comet, Ainhoa de Federico et Abram de Swaan pour leurs commentaires.

[2] Heilbron (2001) rappelle le lien historique entre culture et Etat : « Un centre culturel rattaché à un État puissant et centralisé était amené à prendre peu à peu le dessus sur un centre relevant d’une cité ou d’une fédération. Vers 1700, la France et l'Angleterre pouvaient se prévaloir d’un réel ascendant sur les autres États et les autres formes étatiques; c’est aussi dans ces pays que l’on vit naître des institutions culturelles liées à un appareil d’État grandissant, institutions appelées à former le soubassement de leur culture nationale ».

[3] Cité par Cachin et Bruyère, 2002, page 506.

[4] A propos de la question de la standardisation de la production des biens culturels, voir aussi Adorno T.W. et Horkheimer M. (1974 [1947]).

[5] Voir la rubrique « questions » du site internet de l’Unesco :

http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=18670&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

[6] Cette concentration s’est produite alors que le commerce international des biens culturels a quadruplé au cours des deux dernières décennies. Entre 1980 et 1998, les échanges commerciaux concernant les livres, les revues, ainsi que les domaines de la musique, des arts plastiques, du cinéma, de la photographie, de la radio, de la télévision, des jeux et des articles de sport ont augmenté de 95 à 388 milliards de dollars. Cette augmentation concerne également les ventes des enre­gistrements sonores (27000 millions de ventes en 1990, 38671 millions de dollars en 1998).

[7] Voir par exemple l’article d’Arnault de Saint-Ange sur le monde de l’édition en France Le monde de l’édition 2003-2005. La fin d’une époque, disponible à l’adresse suivante :http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/Le-monde-de-l-edition-2003-2005.html. Voir aussi Schiffrin (1999).

[8] Par exemple, des chercheurs ont pu observer des interprétations diverses d’un même livre lors de la première lecture par des individus issus d’un même groupe social (Burgos, 1992), à deux époques différentes (L’éducation sentimentale de Flaubert est perçu différemment avant et après 1968 par le public étu­diant (Goulemont, 1985) : avant, ce livre se résume au récit des amours d’un adolescent et d’une femme mûre ; après, Frédéric est perçu comme un bourgeois réactionnaire et lâche qui préfère une aventure galante à l’action révolutionnaire) ou bien dans deux pays différents (l’étude de Leenhardt (1982) sur la réception en France et en Hongrie de deux ouvrages qui décrivent les sociétés des deux pays dans les années 1960, à savoir Les choses de George Pérec et Le cimetière de rouille de Fejes).

[9] La préface, les avertissements divers (y compris les com­mentaires des jour­nalistes), les avant – propos limitent freinent les dérives imaginaires du lecteur (Jouve, 1993). La dimension matérielle du livre oriente la lecture (première et quatrième de couverture, la typographie, la mise en pages, les illustrations) (Chartier, 1993 ; Mc Kenzie, 1981). La présentation des deux principaux auteurs de l’école de Constance ainsi que ces exemples sont tirés de Horellou - Lafarge & Segré (2003) à l’exception des ouvrages de Goulemont et McKenzie cités par Roger Chartier (1985, dir.).

[10] Bourdieu, 1979, page I : « Il y a une économie des biens culturels, mais cette économie a une logique spécifique qu’il faut dégager pour échapper à l’économisme. Cela en travaillant d’abord à établir les conditions dans lesquelles sont produits les consommateurs de biens culturels et leur goût, en même temps qu’à décrire les différentes manières de s’approprier ceux d’entre ces biens qui sont considérés à un moment donné du temps comme des œuvres d’art et les conditions sociales de la constitution du mode d’appropriation qui est tenu pour légitime ».

Heilbron (1999) : « Instead of conceiving the cultural realm as merely derivative of global economic structures, it is more fruitful to view transnational cultural exchange as a relatively autonomous sphere, as an international arena with economic, political and symbolic dimensions. (…) Such a view of avoids both the economism of certain varieties of world systems theory and the culturalism which trends to prevail in cultural studies ».

[11] A une perspective structuraliste, la méthode dite « d’analyse de réseaux » associe une théorie de l’action individuelle : l’individu agit dans un contexte déjà structuré qui lui offre des opportunités ou des contraintes. Il participe parfois à l’émergence ou au renforcement de ces structures. Dans notre étude, cette théorie de l’action individuelle est bien entendue mise de côté, puisqu’une langue n’« agit » pas.

[12] Nous avons pris en compte tous les « types » de livres. Les chiffres suivants sont les parts de chaque « domaine » en moyenne par année avant 1989 et après 1992. Le domaine littéraire représente 49 % des traductions pendant les deux périodes, les sciences dures 16 %. La rubrique « droit, sciences sociales et éducation » représente 11 % des traductions avant 1989 et 8 % après 1992. Les quatre autres catégories (« Histoire, Géographie, Biographies », « Religion, Théologie », « Philosophie, Psychologie » et « Arts, Jeux, Sports ») représentent chacune entre 5 et 7 % des traductions au cours des deux périodes considérées. La stabilité de ces pourcentages nous laisse supposer que le type d’ouvrages traduit n’est pas responsable des changements intervenus dans la reconnaissance des langues entre 1979 et 2002.

[13] http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=7810&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

[14] Ce fichier est disponible sur le site http://www.joshuaproject.net et  s’intitule « jpallpeoplesbyctry ». Il figure parmi la liste de documents en relation avec la mondialisation fournie par Miguel Angel Centeno. Je le remercie ici pour la mise à disposition de cette liste.

[15] Par exem­ple, « Filipino / Pilipino » (qui figure sous ce libellé dans l’Index Translationum) et « Tagalog » (qui figure sous ce libellé dans le fichier ci-dessus) sont en réalité la même langue. Cette distinction a été réalisée à partir des sites : www.wikipedia.com et www.ethnologue.com.

[16] Elles sont regroupées sous le libellé « Multiples languages ».

[17] « Not Supplied » ; « African languages, other » ; « Australian languages, other » ; « Central American Indian Languages (Other) »; « North American Indian Languages, other » ; « South American Indian Languages, other »

[18] « Croatian, dialects of » ; « English, dialects of » ; « French, dialects of » ; « German, dialects of » ; « Spanish, dialects of » ; « Tamil, dialects of » ; « Uighur, dialects of ».

[19] « Bavarian & Bavarian ; dialects of », « Comorian & Comorian ; dialects of & Comorian, Ndzwani & Comorian ; Ngazidja » (ces deux dialectes sont ceux des deux îles principales des Comores, mais qui ne sont pas distingués du comorien dans le fichier que je possédais) ; « Dakota & Dakota, dialects of » ; « Dargwa & Dargwa, dialects of » ; « Franco-Provençal & Franco-Provençal dialects of » ; « Kala Lagaw Ya & Kala Lagaw Ya, dialects of » ; « Khakas & Khakas, dialects of » ; « Maya, Yucatan & Maya, Yucatan, dialects of » ; « Mongo & Mongo, dialects of » ; « Picard & Picard, dialects of » ; « Romani, Vlax & Romani, Vlax, dialects of » ; « Schwyzerdütsch & Schwyzerdütsch, other dialects of ».

J’ai pris soin de vérifier si les traductions d’un ouvrage dans ces dialectes n’étaient pas identiques à une traduction de ce même ouvrage dans la langue dont est issu ce dialecte. Un exemple fictif : un ouvrage écrit en anglais, traduit en Picard et dans un dialecte Picard la même année. Dans ce cas, je n’aurai pas comptabilisé la traduction dans le « dialecte » Picard.

[20] Lorsque le nombre de traductions d’une année sur l’autre varie de façon anormale (on se rapproche le plus souvent d’une quasi-absence de données), les données des pays suivants ont été modifiées en respectant la règle de la dernière année fiable conservée : Arabie saoudite, Argentine, Australie, Bangladesh, Bulgarie, Colombie, République de Corée, Égypte, Finlande, Grèce, Inde, Indonésie, Islande, Italie, Jordanie, Malaisie, Myanmar, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Fédération de Russie, Sri Lanka, Suède, Syrie, Thaï­lande, Turquie, Ukraine, Vatican, Yougoslavie. Le Chili, les Pays – Bas et l’Iran font figure d’exception, puisque les données des années 1985 (pour les deux premiers pays) et 1986 (pour l’Iran) ont remplacé les données des années précédentes, faute de données fiables disponibles avant ces dates.

Les données du Royaume-Uni ont été remplacées à partir de l’année 1990 par les données de l’année 1989. L’anglais étant la langue la plus reconnue au niveau international, les traductions du Royaume-Uni ont une faible importance sur la reconnaissance de l’anglais.

Aucune donnée n’a été fournie par l’Iran entre 1988 et 1998. Toutefois, les traductions de cette période semblent être répertoriées dans les données de l’année 1999. En effet, lorsque nous divisons par 11 le nombre de traductions affichées en 1999 entre chaque langue, le nombre de traductions obtenu est très proche du nombre de traductions en 1986 et 1987. Les données obtenues à partir de cette opération ont été utilis­ées dans nos matrices pour les années 1988 à 1998.

Les données du Mexique et du Portugal ne semblent pas très fiables. Cependant, les langues officielles de ces pays sont également les langues officielles d’autres pays qui ont fourni des données beaucoup plus fiables. En outre, les traductions en Espagne ou au Brésil sont beaucoup plus nombreuses, ce qui compense en partie la qualité des données des pays cités ci-dessus.

Par ailleurs, la Chine n’ayant fourni des données que pour l’année 1997, les données de ce pays ont été supprimé. Enfin, avant 1989, les données fournies par « les pays de l’est » ne sont que les données officielles. Les traductions « interdites » ne sont donc pas comptabilisées.

[21] Guillen Mauro (2001). Is Globalization Civilizing. Destructive Or Feeble ? A Critique of Six Key Debates In The Social Science Literature. Annual Review Of Sociology. 27 (Cité par Hargittai et Centeno (2001). Le terme mondialisation, apparu en 1953, désigne alors le simple fait pour un évènement d’acquérir un caractère mondial, de concerner et d’intéresser le monde entier. Son sens a évolué dans les années 1990 au contact du terme anglais « globalization » inventé par Théodore Levitt : la mondialisation désignerait dorénavant « l’ensemble des phénomènes, qu’ils soient économiques, culturels ou technologiques conduisant à une intégration croissante d’espaces et d’hommes à l’échelle mondiale » (Allemand et Ruano - Borbalan, 2005). Pour d’autres, le concept de « mondialisation » ne serait qu’une rhétorique « qu'invoquent les gouvernements pour justifier leur soumission volontaire aux marchés financiers » (Bourdieu et Wacquant, 2000). Paul Krugman ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit que « la rhéto­rique de la compétitivité est un bon moyen pour justifier des choix politiques difficiles, ou au contraire pour les éviter ». Krugman, (2000, page 31).

[22] « Since the international translation system is so firmly dominated by one hyper-central lan­guage, one might presume that translations from other languages will decrease with the consequence of leading to a virtual monopoly for translations from English. In his economic model of the world book market, Jacques Mélitz has explicitly suggested such a possibility: `If the market in one particular language is sufficiently larger than any other, the total lack of technical barriers to diffusion can lead to the exclusive translation of imaginative works from that particular language into the rest ». Mélitz Jacques (1998). English-Language Dominance, Literature and Welfare. Paris : CREST. Document de Travail n°9832.

[23] Document disponible à l’adresse suivante : http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=8270&URL_DO=DO_PRINTPAGE&URL_SECTION=201.html

[24] Le terme « périphérique » est utilisé différemment par Heilbron, Wallerstein et De Swaan (2001). Par exemple, De Swaan distingue quatre niveaux différents et considère l’arabe ou le turc comme des langues supercentrales, alors qu’Heilbron les considère comme des langues périphériques.

[25] De Swaan (2001, p.10-11) a souligné l’importance de cette dimension politique : « A map of the present global language system looks quite like a composite of political maps from the eighteenth, nineteenth and twentieth centuries. It shows how much language constellations are determined by political events, but also how they often survive long after this political base has disappeared. Thus, Spanish and Portuguese came to the southern part of the western hemisphere as colonial languages, and so did English and French in North America. And although almost the entire continent became independent of the European mother countries between the end of the eighteenth and the middle of the nineteenth century, the languages of the former colonizers, English, Spanish and Portuguese, still prevail there ».

Dans les chapitres 4 à 7 de cet ouvrage, De Swaan explique le maintien des langues des anciens pays colonisateurs. A travers de nombreux exemples, il montre en quoi la maîtrise de la langue de l’ancien pays colonisateur est importante pour accéder aux sphères du pouvoir dans les anciens pays colonisés. Seule l’Indonésie fait exception pour des raisons diverses (entre autres, le mouvement nationaliste et la faible diffusion du néerlandais, à la fois sur ce territoire et au niveau international). Pour plus de détails sur le cas de l’Indonésie, voir le chapitre 5 de cet ouvrage.

[26] Heilbron (1999) : « Among these peripheral languages then are Chinese, Japanese, Arabic, and Portuguese, each representing a very large number of speakers, yet occupying a peripheral position in the translation system. The size of language groups is clearly not decisive for their degree of centrality (je souligne) in the translation system ».

[27] La densité est calculée ainsi : le nombre de liens observés divisé par le nombre de liens possibles.

[28] En 1979, on dénombre 6516 traductions en espagnol, 6706 traductions à partir du français et 56556 traductions au total. Dans le cas présent, nous aurions dû observer [(6516*6706)/56556=] 772,6 traductions.

[29] Dans le cas où ce ratio est inférieur ou égal à 1, il n’y a pas de préférence particulière.

[30] Les années 1990 et 1991 sont des années de « transition » : pour cette raison nous ne les avons pas incluses. Afin de comparer quatre périodes s’écoulant sur une même durée (cinq ans), les années 1979 et 2002 ont été également exclues.

[31] La légende est également valable pour les trois graphes suivants.

[32] « The Indian language constellation comprises more than India alone ; it also covers Pakistan, Bangladesh, Nepal, Bhutan and Sri Lanka, and other countries (De Swaan, 2001, p.61) ».

[33] « Some eight hundred languages are spoken in India, and the most recent census lists more than 1600 names for them. However, only eighteen are listed in the Eighth Schedule attached to the constitution. With some exceptions, each one of these is the official language in one or more of the constituent states of the Union. According to the 1991 census, more than 96 per cent of all Indians speak one of these scheduled languages as their mother tongue. Six languages, Bengali, Hindi, Marathi, Tamil, Telugu and Urdu, together are spoken by three-quarters of the population as their mother tongue. Hindi is by far the largest, spoken by 337 million people, or 40 per cent of the population, in one variety or another. Bengali, with more than 8 per cent, comes second. Telugu, a Dravidian language, takes third place with almost 8 per cent (De Swaan, 2001, p.61) ».

« Originally the Vita Schedule contained fourteen languages : Assamese, Bengali, Gujarati, Hindi, Kannada, Kashmiri, Marathi, Malayalam, Oriya, Punjabi, Sanskrit, Telugu, Tamil, and Urdu. Sindhi was added later. In 1992, with the seventy-first amendment to the constitution, Konkani, Manipuri and Nepali were added to the list. Cf. Manorama Yearbook, 1996, p.464, cité par De Swaan, 2001, note 2 du chapitre 4, p.202) ».

[34] « In a linguistic perspective, the main division is between the Indo-European, “Indo-Aryan” language family of the north and Dravidian languages of the southern part of the subcontinent. And it is this distinction that also marks a sharp divide of mutual unintelligibility (De Swaan, 2001, p.61-62) ».

« The most important [Dravidian languages] being Telugu, Tamil, Kannada and Malayalam, comprising together some 22 per cent of all Indian mother tongue speakers (De Swaan, 2001, note 5 du chapitre 4, p.203) ».

[35] Ces langues sont l’arménien, le biélorusse, l’estonien, le géorgien, le letton, le lituanien, le moldave et l’ukrainien. Rappel : les données des pays du bloc communiste sont les données offi­cielles. Elles excluent la littérature interdite.

[36] Dans une correspondance personnelle, Abram De Swaan me faisait remarquer la spécificité du déclin de la langue russe : “The dramatic illustration of the decline of Russian (which somewhat contradicts the point that you quote from my book about the persistence of colonial languages long after colonial domination has disappeared. Cf. la note 25 du présent article : “It shows how much language constellations are determined by political events, but also how they often survive long after this political base has disappeared”) . In this case political and economic decline does appear to have hastened the decline of the language. Like Japanese, apparently it had not been a language imposed by occupation long enough. English and French imperialism after all persisted for a few centuries in Africa and Spanish and English in America so as to permanently undo the language constellations these occupied lands had had before the occupation. Nonetheless, the new language in Eastern Europe is English (much more so than German that had been there long before ‘39-‘45) – an entirely new appearance”.

[37] Le nynorsk (néo-norvégien en français), appelé landsmål avant 1929, est l'une des deux normes de la langue écrite norvégienne. La seconde est le bokmål : c’est le norvégien dans notre étude. Le 12 mai 1885, une loi considère les deux langues comme égales, et en 1980 elles sont toutes deux reconnues comme langues officielles. Le nynorsk est utilisé aujourd’hui par environ 10 à 15% de la population de la Norvège. (Sources : www.wikipedia.org)

[38] Voir De Swaan (2001, p. 46). L’apprentissage de l’anglais permet également de s’ouvrir à d’autres opinions ou d’autres connaissances (De Swaan, 2001, p.42) et de publier directement en anglais (ce phénomène est particulièrement présent chez les chercheurs académiques). Il nous paraît difficile de généraliser la dernière remarque à tous les types de traductions et en particulier les traductions dans le domaine littéraire : il est beaucoup plus facile d’écrire un roman dans sa langue maternelle plutôt qu’en anglais.

[39] Voir De Swaan (2001, p. 46).

[40] « The analysis of this world-system, and the position which various language groups occupy within it, is a precondition for understanding the role of translations in specific local or national contexts. (…) The significance of translations within language groups, for example, is shown to depend primarily on the position of the language within the inter­national sys­tem », Heilbron (1999)

[41] L’idée est proche du terme « périphériques » utilisé dans l’approche d’Heilbron. Cependant, Pascale Casanova apporte une précision : « Pour mesurer le volume propre de ce capital, je propose de transposer à l’univers littéraire les critères utilisés par la sociologie politique, à condition de remplacer les termes opposés « centre/périphérie » - qui n’ont d’autre implication que spatiale ou sim­plement hiérarchique – par l’opposition « dominant/dominé », qui suppose une structure de domination et des rapports de force. Ainsi, on n’opposera pas des langues centrales à des langues périphériques, mais des langues dominantes à des langues dominées, ce qui, loin d‘être un simple changement sémantique, transforme la perspective même de l’analyse et le type d’instruments théoriques mis en œuvre (Casanova, 2002, page 8) »

[42] Heilbron (1999) : « There is obviously no simple and immediate transition from a world-system analysis to the level of a national publishing industry or the understanding of particular trans­lation strategies. The world-system is concerned with the most general set of con­ditions, and for a more complete account, it is necessary to link these general condi­tions to the social dynamics of the publishing business and its different segments ».

[43] Miguel Centeno a rassemblé de nombreuses données utilisant la technique de l’analyse de réseaux sociaux sur toutes sortes de thématiques liées à la mondialisation. Il n'a pas encore établi de synthèse précise, même s'il semblerait que ce que je constate à propos des traductions (la réduction de la diversité des flux) est dans la lignée de ce qu'il a observé.

Pour plus d’information : http://www.princeton.edu/~cenmiga/