REDES- Revista hispana para el análisis de redes sociales
Vol.19,#9, Diciembre 2010
http://revista-redes.rediris.es

Paires et réseaux des laboratoires du Centre National de la Recherche Scientifique et de leurs partenaires

 

Marie Pierre Bès[1], Adrien Defossez et Frédéric Rodriguez

Université de Toulouse II Le Mirail – CERS-LISST-CNRS, France

 

Résumé

L’article suivant éclaire la question de l’organisation « irréversible » des partenariats de recherche, à partir de données longitudinales concernant les contrats passés par des unités de recherche du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) avec des organismes financeurs (entreprises, administrations) entre 1986 et 2005. Les données font apparaitre différents éléments : il existe tout d’abord une certaine volatilité et éphémérité des contrats. De plus, les laboratoires n’ont pas le même comportement que leurs partenaires en matière de collaboration et il est à noter que la répétition des contrats s’accompagne d’une part de « fidélité » à son partenaire. Enfin, L’analyse de ces partenariats à travers le prisme des réseaux sociaux scientifiques a mis en évidence à la fois, la convergence des modes d’appariement des grandes entreprises avec les unités du CNRS et également, l’existence de « petits mondes scientifiques ».

Mots-clés : Réseau, partenariat, contrat, laboratoire

 

Abstract

The paper addresses irreversible cooperation in research partnerships. It analyzes longitudinal data from various contracts signed by research units of the French National Centre for Scientific Research (CNRS), and companies or public organizations. The contracts signed between 1986 and 2005 are short term ones, which conveys an impression of volatility. But collaboration does not take the same form for laboratories and companies. In the case of laboratory matching, loyalty is an issue as far as contract renewal is concerned. Finally, SocialNetwork Analysis helps understanding similarities between the contracts signed by several big companies with research units, and confirms that “small scientific worlds” do exist.

Key words: Network, partnership, contract, laboratory

 


Les contrats de recherche entre laboratoires et partenaires ont déjà été analysés selon deux types d’approche : la première s’intéresse à la genèse et la dynamique des collaborations prises isolément les unes des autres (P.B. Joly, & V. Mangematin, 1996 ; Grossetti & Bès, 2001) et met l’accent sur les questions de confiance et de connaissance interindividuelle ; la seconde présente les formes résiliaires issues de ces partenariats (Cantner, & Graf, 2006 ; Newman, 2001) et montrent le rôle joué par quelques acteurs intermédiaires. Dans les deux cas, il apparait que les contrats de recherche passés entre laboratoires et partenaires financiers présentent des logiques à la fois marchande, institutionnelle et  résiliaire. Comme d’autres chercheurs intéressés par les relations inter-organisationnelles (G. Velez-Cuartas, 2007), cet article vise à analyser des collaborations entre deux entités économiques différentes que sont les laboratoires de recherche et leur « clients » (entreprises, pouvoirs publics).

Aussi, la question de savoir s’il existe des effets de stabilité et d'organisation du « marché de la recherche », qui se renforcent au cours du temps, est pertinente. S’agissant des réseaux scientifiques (Newman, 2001 ; Cantner & Graf, 2006), d’autres auteurs ont déjà montré que les acteurs publics et privés ont tendance à préférer l’insertion dans des réseaux de recherche souples et flexibles plutôt que la passation d’accords de recherche bilatéraux plus rigides. Aussi, les analyses des contrats pris deux à deux doivent être complétées par des  ou bien si cette « impression » est due à l’utilisation abusive et trompeuse des approches par les réseaux sociaux Autrement dit, en ce qui concerne les coopérations de recherche, observe-t-on un renforcement progressif des partenariats bilatéraux ou multilatéraux isolés - c’est-à-dire le maintien de cliques déconnectées – ou bien l’apparition d’un réseau stable et connecté autrement appelé « petit monde » (Watts & Strogatz, 1998) ?

Pour d'autres marchés,  Lucien Karpik (2007) a montré que la confiance et la qualité deviennent des critères majeurs de choix des partenaires. A propos des comédiens, Olivier Pilmis (2007) montre qu’au fur et à mesure que la relation de travail s'installe dans le temps avec un employeur et se prolonge, l'individu a de moins en moins de chances d'être confronté à la concurrence et que le couple comédien-employeur tend à s’installer durablement.

L’article[2] suivant éclaire cette question de l’organisation « irréversible » des partenariats de recherche, à partir de données longitudinales concernant les contrats des unités de recherche du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) avec des organismes financeurs (entreprises, administrations) entre 1986 et 2005. Il s’agit d’un effort portant sur le traitement de données longitudinales visant à présenter les principales caractéristiques organisationnelles de ces partenariats. Deux principales questions ont jalonné cette recherche : d’une part, quelles sont les formes typiques d’association qui émergent des contrats entre les laboratoires et leurs partenaires ? Que donne l’analyse longitudinale des collaborations ? Existe-t-il une certaine irréversibilité dans les partenariats qui tendrait à engager les participants dès le premier contrat, en les enfermant dans le premier partenariat passé, comme le laisse penser nos premiers travaux sur les collaborations science-industrie (Grossetti & Bès, 2001) ? Et d’autre part, qu’apprend-on des coopérations de recherche et des stratégies des acteurs en replaçant chaque contrat dans les réseaux de contact des participants ?

La première partie de l’article se présente sous la forme d’une statistique descriptive des données des contrats du CNRS, conduite dans l’optique de faire émerger plus loin les principales combinaisons partenaire-laboratoire. Il s’agit de présenter les données en insistant surtout sur la répartition du nombre de contrats, la durée, le type de partenaire. Dans la deuxième partie, les contrats entre mêmes participants seront entendus comme une série d’engagements s’inscrivant dans une seule collaboration. De la sorte, nous aborderons la question de la « fidélité » entre les partenaires associée à celle de la continuité des engagements contractuels. L’objectif analytique étant de faire émerger les figures idéal-typiques de couples et de paires[3] associant les laboratoires et leurs partenaires. La troisième et dernière partie resitue ces « paires » dans les réseaux des contractants et les illustre par des réseaux complets, élaborés à l’aide de méthodes quantitatives (Logiciel UCINET). Les caractéristiques structurelles de ces réseaux d’information seront alors mises en évidence.

 


Présentation des données sur les contrats

Le CNRS a mis à notre disposition depuis 1999[4], une partie de sa base de données des contrats de ses unités, enrichie depuis par les compléments de données pour la période (1999-2005), en contrepartie d’un engagement de confidentialité portant sur les noms des entreprises et des laboratoires. Seuls les traitements statistiques globaux sont autorisés et les informations sur les montants financiers ne sont pas disponibles. Plusieurs opérations de classification, nettoyage, mise en cohérence, compilation des données ont permis d’aboutir à une base exploitable sur les contrats passés entre laboratoires du CNRS et partenaires (public, industrie, tertiaire) renseignés pour 8 variables : le nom de l’unité de recherche, sa localisation, le nom du responsable du contrat, le domaine scientifique (classé en 8 items), le nom de l’entreprise, sa localisation, la date de signature du contrat, la durée en nombre de mois et le secteur d’activité (codé par nos soins). Elle est enregistrée à la fois, dans un tableur sous forme d’un fichier Excel qui permet des extractions rapides et des traitements allégés et dans un outil de gestion de base de données (Access) qui facilite différentes requêtes.

La base de données[5] se présente comme une liste dont chaque ligne représente un contrat entre deux organismes (une unité de recherche affiliée au CNRS et un partenaire financier), et renseigné à l’aide d’une dizaine de variables de type sujet, durées, date, nom du laboratoire, localisation, nom du partenaire, localisation, etc.

 

N° contrat

Sujet contrat

date début et date de fin

Intitulé du  laboratoire

Nom du partenaire

1

tri##

01/1998-02/2000

laboratoire 1

entreprise 1

2

tri##

01/1998-02/2000

laboratoire 1

partenaire public

3

tri##

01/1998-02/2001

laboratoire 2

entreprise 2

4

tri ##

01/1998-02/2001

laboratoire 2

partenaire public

 

Tableau 1. Type d’informations disponibles dans la base de données du CNRS

 

De la sorte, les données disponibles individualisent chaque contrat et ne permettent pas d’analyser directement l’ensemble des contrats. En reprenant le tableau précédent comme exemple, il s’agit de remarquer que ces 4 contrats qui concernent 2 laboratoires, un partenaire public et 2 entreprises peuvent être en réalité, des arrangements financiers destinés à un seul projet de recherche (mêmes individus engagés, même sujet traité, mêmes périodes).

Le tableau 2 présente les principales statistiques descriptives de la base de données. Celles-ci sont longitudinales et portent sur la période (1986-2005) pendant laquelle des partenaires et des laboratoires sont apparus tandis que d’autres ont disparu, ce qui rend les comptages de récurrence un peu plus compliqués.

Le terme « laboratoire » renvoie à l’échelle de l’unité de recherche du CNRS et regroupe donc souvent, plusieurs équipes. En parallèle, le terme « partenaire » renvoie à l’entité financière qui a signé le contrat ; il existe donc un effet « siège social » indéniable pour les entreprises. Un codage supplémentaire effectué sur les partenaires du CNRS permet de distinguer 4 types : les administrations ou secteur public (32%) dont une partie très forte concerne les programmes de recherche de la Communauté Européenne, le secteur tertiaire (31%), l’industrie (35%) ou l’agriculture (1%).

 

Nombre de contrats “renseignés”

47819

Nombre de partenaires

6692

Nombre de laboratories

2218

Nombre moyen de contrats/partenaire

7

Nombre moyen de contrats/laboratoire

21

Durée moyenne

22 mois

Durée médiane

15 mois

Période

1986-2005

 

Tableau 2. Principales caractéristiques de la base de données des contrats

 

Dans sa totalité, la base comporte environ 3 fois plus de partenaires que de laboratoires. Donc la palette des « choix » des laboratoires publics apparait comme plus large que celle des partenaires. Mais cette base ne porte que sur les partenaires des unités du CNRS[6] et donc le nombre de laboratoires est bien plus faible que celui des entreprises. Les durées moyenne et médiane des contrats sont courtes avec des disparités importantes, comme le montre le tableau suivant.

 

 

durée

Nombre de contrats

Pourcentage

[0-1] an

23036

48%

[1-2] ans

8687

18%

[2-3] ans

12603

27%

Plus de 3 ans

3234

7%

TOTAL

47560 contrats

100

 

                           Tableau 3. Répartition des contrats selon la durée

 

On observe en effet, que les contrats courts sont en nombre important (48%) ce sont « des contrats pour voir », des « contrats d’expertise », qui engagent peu de chercheurs et notamment pas de doctorants. Justement, le nombre significatif de contrats de 3 ans (27%) s’explique par la conduite d’une thèse qui dure 3 ans – parfois financée par le dispositif CIFRE – doublée d’un contrat d’accompagnement pour l’encadrement de la thèse par le laboratoire. A l’inverse, les contrats longs sont très rares et se rapportent plus souvent à des partenariats exclusifs dans lesquels il n’y a qu’un partenaire (voir II.4.). Ils concernent les opérations suivantes : accords de secret, convention de mise à disposition de matériel, contrat de coproduction d'œuvres audiovisuelles ou droits d’auteur. On en trouve surtout dans le domaine scientifique des biotechnologies où les questions de propriété intellectuelle sont importantes.

La répartition par années du nombre de contrats laisse apparaître, comme l’avait déjà souligné M. Grossetti et D. Nguyen (2001) sur une première version de la base de données (1986-1997), une augmentation par paliers jusqu’en 2003, où l’on distingue une légère baisse.  De 500 en 1986, les contrats sont passés à plus de 4000 actuellement. Cela présente donc un intérêt d’étudier la série chronologique des contrats, dans la mesure où leur nombre augmente et où l’information à traiter s'accroît au cours du temps.

Modes d’appariement, paires et couples[7]

A ce stade de l’analyse, il s’agit de considérer les contrats comme des relations bilatérales entre les unités de recherche du CNRS et leurs « clients ». Un certain nombre de termes nécessite de préciser les définitions utilisées : d’abord, la notion de couple renvoie seulement à l’association d’un laboratoire et d’un partenaire sans considération de l’ordre des participants (par exemple, {A,B}). Par contre, le terme « paire » fait référence au couple ordonné, c’est-à-dire à l’une des deux combinaisons (A,B) ou (B,A)[8].

Bien sûr, ces couples ne sont pas isolés de l’activité de la communauté scientifique en raison des nombreux échanges existant dans cette sphère d’activité (T. Shinn, 2000) et des configurations complexes existant pour les montages de dossiers de financement de la recherche (Callon, Larédo & Mustar, 1995).

Dans cette partie, il s’agit d’abord de repérer les figures idéal-typiques de paires qui émergent de notre effectif : Combien de paires stables dans notre effectif ? Quelles sont leurs caractéristiques ? Combien de partenaires différents pour un laboratoire ? Combien de laboratoires différents pour un partenaire ? Ensuite, nous considérerons que ces « paires » se situent dans un environnement plus large, dans lequel les contrats se succèdent dans le temps et concernent plusieurs entités (laboratoires et partenaires) à la fois. Cette vision globale des contrats permet d’introduire l’idée d’une diffusion d’informations par des canaux résiliaires et saillants.

 

Types de paires laboratoire-partenaire

En calculant le nombre de « paires fixes » associant un même laboratoire à un partenaire identique (voir tableau 4 infra), on met en évidence l’extrême volatilité des partenariats, ou du moins leur caractère éphémère.

 

Effectif des paires (en %)

Effectif cumulé des paires (en %)

Nombre de contrats

65

65

1

17

82

2

7

89

3

4

93

4

2

95

5

1

97

6

1

97

7

1

98

8

 

Tableau 4. Répartition des paires par nombre de contrats

 

Le résultat essentiel est que 65% des paires ne concernent que des contrats ponctuels qui ne se renouvellent pas. 17% des paires laboratoires-partenaires passent deux contrats et seules 11% des paires (100-89) ont passé plus de 3 contrats entre elles. La « fidélité » des partenaires doit donc être étudiée « en creux » compte tenu de l’existence de nombreux contrats ponctuels, tels qu’on peut les trouver dans des marchés très spécifiques (avocat, comédien, artiste, etc.).

En considérant chacun des deux types d’entités concernées par les contrats (laboratoires et partenaires financiers), il est possible de répartir les contrats dans différentes catégories selon le nombre de contrats passés et le nombre de partenaires dans les contrats.

Dans les deux tableaux suivants (tableaux 5 et 6), nous avons utilisé une terminologie nouvelle apte à couvrir les différentes situations d'appariement rencontrées.

Lorsqu'un partenaire n'a passé qu'un seul contrat, c'est-à-dire qu'il participe à un partenariat unique, on parlera d’un « monolien temporaire ». Lorsqu'il passe plusieurs contrats avec un seul partenaire, il s'agira d'un « monolien permanent ». Par contre, si le laboratoire ou le partenaire financier a plusieurs partenaires et qu'il contracte plusieurs fois avec certains de ses partenaires, on parlera de « polyliens parallèles ». La figure des « polyliens séquentiels » correspond à la situation où l'acteur a plusieurs partenaires mais où il ne renouvelle aucun de ses partenariats.

En ce qui concerne les partenaires financeurs, leur répartition en fonction du nombre et de la variété des laboratoires contractants donne les résultats suivants :

Monolien

65%

Dont Monolien temporaire

52%

Dont Monolien permanent

13%

Polyliens

35%

Dont Polyliens parallèles

23%

Dont Polyliens séquentiels

12%

Total des entreprises

100%

 

Tableau 5. Types d’appariement pour les partenaires financeurs

 

52% des partenaires du CNRS ne passent qu’un contrat au cours de la période (1986-2005) : on ne peut donc rien conclure sur leur fidélité : pour les entreprises, cette forte proportion est sûrement expliquée d’une part, par les PME qui ont une durée de vie limitée et n’ont pu avoir recours qu’occasionnellement aux services des laboratoires du CNRS et par les entreprises étrangères, qui sont plus enclines à collaborer avec un laboratoire de leur pays, compte tenu des effets de proximité géographique existant dans la recherche (Grossetti & Bès, 2003). 13% seulement des partenaires de l’effectif ont un comportement de «monoreliés permanents», c’est-à-dire qu’ils réalisent plusieurs partenariats avec le même laboratoire.

Seuls 35% des partenaires sont « polylireliés »: soit, en tissant plusieurs partenariats en parallèle (pendant la même période) tout en restant « fidèles » à au moins l’un d’entre eux (23% des cas) ; soit, en passant plusieurs contrats sans jamais en renouveler un seul (12%). 

 

Des partenaires plutôt monoreliés

Lorsqu’on observe plus précisément le comportement d’appariement des entités qui financent les unités du CNRS, il ressort qu’elles sont en très grande majorité - à 79% - soit « monoreliés », soit « bireliés » comme l’atteste les résultats suivants :

 

Nombre de partenaires

Nombre de laboratoires financés

4317 (65%)

1

963 (14%)

2

380 (5,7%)

3

219 (3,3%)

4

84 (1,2%)

7

T = 6692

 

 

Tableau 6. Répartition des partenaires par nombre de laboratoires financés[9]

 

Mais lorsqu’on s’intéresse aux financeurs les plus « généreux » en termes de nombre de contrats, on peut formuler l’hypothèse selon laquelle ils sont davantage « fidèles ». Pour tester cette hypothèse, il a été élaboré deux tests successifs :

·         le premier[10] est basé sur le calcul d’un indice de fidélité[11] des partenaires financeurs ayant réalisé au moins 100 contrats (N=81), qui donne 0.38, soit un résultat très positif (fidélité totale ≈ 0).

·         Le second a permis de calculer pour les 30 plus « gros financeurs », la proportion moyenne de laboratoires « fidèles », elle est de 55,1%. C’est-à-dire que les plus importants financeurs des unités CNRS gardent plus de la moitié de leurs partenaires scientifiques d’une année sur l’autre. Ces 30 organismes, qui signent 28% des contrats de la base, ont donc un comportement très différent des 64% autres qui ne renouvellent jamais leur contrat.

Notre hypothèse est donc confirmée : plus un organisme (public ou privé) passe des contrats avec des unités de recherche, moins elle change de laboratoire, comme si certains financements de recherche devenaient des crédits récurrents complétant les budgets de fonctionnement.

 

Des laboratoires davantage polyreliés

Du côté des laboratoires, il est possible de proposer le même type de répartition tout en conservant le vocabulaire à l’identique. Par contre, la comparaison des résultats entre les deux tableaux (6 et 7) est à relativiser puisqu’il y a 3 fois plus de d’entreprises que de laboratoires.

Les résultats donnent la répartition suivante :

Monolien

22%

Dont Monolien temporaire

18%

Dont Monolien permanent

4%

Polyliens

78%

Dont Polyliens parallèles

64%

Dont Polyliens séquentiels

14%

Total des laboratoires

100%

 

Tableau 7. Types de partenariat des laboratoires

 

Les laboratoires de la base ont un comportement bien plus « polyreliés » (78%) que celui de leurs partenaires car ils sont moins nombreux mais également parce que leur activité contractuelle est  plus « naturelle » : elle alimente à la fois les moyens financiers et matériels ainsi que les méthodes et thématiques de recherche. Ils ont donc intérêt à multiplier les partenaires plutôt que de se lier avec un seul. Par exemple, nous avons montré que, dans les sciences de l’ingénieur, les contrats avec les industriels participent à l’élaboration de savoirs tacites détenus collectivement par les laboratoires (Bès, 2005).

Mais il est à noter de façon remarquable, que les laboratoires peuvent avoir un comprtement fidèle à l’égard de l’un ou plusieurs des partenaires. Dans 68% (4+64) des cas, les laboratoires renouvèlent l’un de leurs contrats avec le même partenaire financeur. Ce résultat rejoint également nos travaux antérieurs sur les laboratoires des Sciences de l’Ingénieur, dont une part conserve, pendant de longues années, un partenaire référent (souvent un grand groupe) en parallèle d’autres collaborations plus éphémères (Grossetti & Bès, 2001 ; Bès, 2005).

 

Le contrat type : un contrat unique

Il est intéressant de faire apparaitre dans la base,  les différents types de couples « isolés » c’est-à-dire les cas d’unicité (un seul contrat) et d’exclusivité (un seul partenaire), on obtient les deux tableaux  ci-après. Ceci permet de revenir en creux, sur la question de la fidélité par élimination des situations de non renouvellement des contrats ou des partenaires.

 

Répartition des contractants

par types de couples isolés

PARTENAIRES

FINANCEURS

LABORATOIRES

Monolien temporaire

(1 contrat 1 contractant)

Polyliens séquentiels

(1 contrat plusieurs contractants)

 

CONTRAT UNIQUE

52%

 

+ 12%

 

 

= 64%

18%

 

+ 14%

 

 

= 32%

CONTRAT NON UNIQUE

36%

68%

TOTAL

100%

100%

 

Tableau 8. Caractérisation des couples associés par un seul contrat

 

Le contrat unique est donc une figure très répandue sur ce « marché » de la recherche partagée. Sa forte représentation limite toute analyse plus poussée sur la reproduction des comportements ou des collaborations. Du côté des partenaires, 64% ne signent qu’un seul contrat avec un ou plusieurs laboratoires contre 32% des laboratoires 3 fois moins nombreux. Pourtant, force est de constater que 36% (100% - 64%) des financeurs renouvellent au moins une fois leurs contrats avec un de leurs laboratoires partenaires, ce qui compte tenu des données traitées, n’est pas un résultat négligeable.

 

Répartition des contractants

par types de couples isolés

PARTENAIRES

FINANCEURS

LABORATOIRES

Monolien Permanent

(1 partenaire plusieurs contrats)

Monolien temporaire

(1 partenaire 1 contrat)

 

CONTRAT EXCLUSIF

13 %

 

+ 52 %

 

 

= 65%

 

4%

 

+ 18%

 

 

= 22 %

CONTRAT NON EXCLUSIF

35%

78%

TOTAL

100%

100%

 

Tableau 9. Caractérisation des couples associés à un seul partenaire

 

De même, les contrats exclusifs sont surreprésentés, surtout pour les financeurs : 65% n’ont financé qu’un seul laboratoire du CNRS dont 8.45% ont au moins renouvelé une fois les contrats : dans ce cas, on peut y voir aussi une trace statistique de la fidélité des partenaires à un laboratoire.

Au total, si les contrats uniques et exclusifs sont si nombreux, c’est dû au fait des 52% des  partenaires du CNRS qui n’ont réalisé qu’un contrat au cours de cette période. Au final, il y a pratiquement la même proportion de financeurs qui restent « fidèles » à un seul laboratoire (13%) que ceux qui ne sont « fidèles » à aucun des différents laboratoires qu’ils ont financés (12%).

En résumé sur ces comptages autour des couples laboratoires-partenaires, il ressort que les contrats ponctuels sont la forme dominante de ces relations mais que les deux entités n’ont pas le même comportement d’appariement : les laboratoires sont plus « polyreliés » que leurs partenaires. Parmi ces derniers, seule la minorité des plus « prolixes » endossent un comportement fidèle en renouvelant leur soutien financier auprès des mêmes laboratoires.

 

Réseaux des laboratoires et des partenaires

Si l’on réintroduit la vision réticulaire des contrats de recherche (Bès, Defossez & Rodriguez, 2007) on peut replacer les couples laboratoire-partenaire dans l’ensemble des contrats qui relient les entités de la base de données et se rendre compte des échanges potentiels d’information et de ressources entre eux. Cette approche permet de remettre les contrats bilatéraux dans l’écheveau des montages des dossiers de financement de la recherche. Par exemple, S. Lahlou (1993) a mesuré les effets de réseau, à partir de l’étude statistique de programmes communautaires de recherche dans lesquels étaient engagés plusieurs laboratoires (entre 2 et 29 pour 183 contrats). Il montre non seulement que le programme européen a eu un effet massif sur l’intensité des relations entre laboratoires mais que ce renforcement est dû aux rôles intermédiaires de quelques paires de laboratoires, qui ont permis aux autres de se connecter entre eux. C’est exactement ce type d’effet réseau que nous avons cherché à déceler à partir de nos données sur les contrats des unités du CNRS.

A cet effet, deux investigations différentes ont été conduites : une étude statique des réseaux des partenaires « monoreliés » et une étude dynamique de deux types réseaux de recherche, celui des plus grandes entreprises et celui des laboratoires du domaine de la chimie.

 

Réseaux étendus des laboratoires

Dans notre effectif, 3457 partenaires financeurs sur un total de 6692, soit 52%, ont passé un seul contrat avec un seul laboratoire : ils apparaissent donc comme totalement isolés du reste des acteurs de la recherche, laboratoires ou financeurs. Or, cette représentation des contrats par paires tronque nécessairement les « autres » relations des participants, à savoir leurs autres contrats, concomitants ou succédant à la relation « unique ou exclusive ». Cette partie vise à précisément à réintroduire la réalité des multiples partenariats de recherche des laboratoires.  

En effet, en répartissant les partenaires « monoreliés » des unités de recherche du CNRS en fonction de la taille de leur réseau (ensemble des partenaires), on obtient les résultats suivants : 

 

Taille du réseau du laboratoire (en nombre de partenaires financiers)

effectif des partenaires monoreliés

    En %age

[1, 10]

672

19,44

[10, 20]

660

19,09

[20,30]

433

12,53

[30, 40]

337

9,75

[40, 50]

328

9,49

[50,60]

228

6,6

[60, 70]

175

5,06

[70, 80]

52

1,5

[80,90]

124

3,59

[90, 100]

78

2,25

> 100

370

10,7

TOTAL

3457

100

 

Tableau 10. Répartition des partenaires monoliés en fonction de la taille

du réseau du laboratoire financé[12]

 

Dans ce tableau, on peut lire que, sans tenir compte de la variable « date du contrat », seules 672 partenaires (soit 19,44%) sont dans des « petits réseaux », ceux d’une taille comprise entre 1 et 10 financeurs. Dans l’ensemble, les partenaires « monoreliés » sont à 80% associés à des laboratoires qui ont plus de 10 partenaires alors que près de 10% d’entre eux sont dans de très « gros réseaux » dans lesquels les laboratoires ont contracté avec plus de 100 autres partenaires. Ceci confirme la concentration des contrats au profit de quelques laboratoires.

La représentation schématique du réseau des partenaires « monoreliés » autour d’un seul laboratoire donne le graphique suivant : 

 

 

Figure 1. Le réseau de partenaires « monoreliés » autour d’un seul laboratoire

 

Chaque entreprise ne passe qu’un contrat avec cet unique laboratoire mais celui-ci est en contact avec de nombreux autres financeurs : si la relation est univoque, il est sûr que les résultats et les savoir-faire transitent vers d’autres canaux et d’autres activités de recherche par l’entremise des laboratoires (Bès, 2005). On considérera donc ces réseaux, comme des réseaux marchands (V. Lemieux, 1999) dans lesquels circulent des connaissances.

Si l’on retrouve le résultat antérieur selon lequel les laboratoires sont plus « polyreliés » que leurs partenaires (compte tenu de l’effectif), il est néanmoins intéressant de replacer les financeurs dans ces configurations plus larges, dans lesquelles de l’information scientifique et technique ou de la connaissance circule entre les membres du réseau.

 

Les réseaux « petit monde » du CNRS[13]

En suivant la littérature sur les réseaux d’innovation et de recherche (Cowan, Jonard & Zimmermann, 2007 ; Newman, 2001 ; Cowan, 2004), il est apparu que les acteurs de la recherche (surtout les chercheurs et les laboratoires) sont placés dans des structures relationnelles particulières qui leur permettent d’obtenir rapidement des ressources informationnelles. Les idées, innovations se diffusent rapidement car les réseaux de recherche sont au mieux des « petits mondes » ou plus fréquemment des réseaux « sans dimension », « scale-free » (Gay & Doucet, 2005 ; Cantner & Graf, 2006). Dans les deux cas, on est face à des structures organisationnelles intermédiaires entre les réseaux réguliers – chaque membre est connecté avec son proche voisin – et des réseaux aléatoires où les connections dépendent du hasard. Dans un réseau de type « petit monde », les membres du réseau peuvent rapidement contacter un autre membre en empruntant des « raccourcis », c'est-à-dire en passant par des intermédiaires, de sorte que la distance moyenne entre deux membres est assez faible. En ce qui concerne l’activité de recherche contractuelle, l’existence de réseaux de type « scale-free » ou « petit monde » tendrait à montrer que, quelque soit la spécialisation des laboratoires publics ou industriels, la série des liens contractuels existant entre ces acteurs les relient entre eux par des chemins relativement courts. Ce monde du partenariat de recherche n’est pas donc constitué de « cliques » isolées, composées d’un ensemble de relations  spécialisées sur des domaines précis (électronique, chimie, par exemple) mais des contrats qui sont assez diversifiés pour concerner finalement des acteurs (laboratoires ou entreprises) appartenant à d’autres cliques (une entreprise du bâtiment va passer des contrats avec un laboratoire du domaine de la physique des matériaux mais également avec un laboratoire de chimie).

Si nos données n’ont pas été élaborées spécifiquement pour faire de l’analyse de réseaux avec des méthodes appropriées à la sociologie des réseaux sociaux (A. de Federico de la Rua, 2002) mais comme des données administratives permettant des comptages et dénombrements classiques de type « fréquence, concentration, représentation, effectifs, répartition par contractants, etc.), il est pertinent de considérer l'existence de chaînes relationnelles entre acteurs liés deux à deux par des contrats. On construit alors un réseau bimodal, composé de deux acteurs différents (laboratoires et financeurs privés et publics) les reliant entre eux par des contrats. 

En effet, notre matériau est composé de trois objets sociaux différents : des laboratoires ou unités du CNRS, des organismes partenaires qui financent la recherche dont des entreprises et des séries discontinues de contrats entre les deux. Les informations fournies par le CNRS comportant l’année de signature du contrat, on peut représenter pour une période donnée, 3 types de « réseaux » différents : 

 

Le réseau bimodal des laboratoires et partenaires

le réseau unimodal des partenaires

le réseau unimodal des laboratoires

 

Figure 2. Trois types de réseaux pour les laboratoires et leurs partenaires

 

Le premier réseau est celui des partenaires et des laboratoires dans lequel chaque lien représente un contrat et à travers lequel se diffusent des connaissances tacites et explicites liées aux instruments, à la thématique, aux savoir-faire, aux méthodes, etc. (Bès, 2005). Il s'agit d'un réseau bimodal tel que décrit par Borgatti et Everret (1997).

Dans le second réseau obtenu après la réduction d'une des dimensions du réseau bimodal, figurent les partenaires engagés dans des contrats avec les mêmes laboratoires appelé réseau des partenaires, pour lequel on va en particulier, observer la position relative de chacun d’entre eux. Le troisième réseau a la même nature que le second (passage à l'unimodal), il s’agit du réseau des laboratoires travaillant pour les mêmes partenaires financiers, appelé réseau des laboratoires.

Même si la transformation de réseaux bimodaux en réseaux unimodaux fait apparaitre certains biais (Billand, Frachisse et Massard, 2008), une analyse des partenariats réseau présente l’intérêt heuristique, comme dans les études sur les co-citations, de positionner chaque type d’acteur (laboratoire, partenaire) les uns par rapport aux autres : est-ce que telle organisation est isolée (au sens de ne pas avoir les mêmes laboratoires partenaires) par rapport à ces concurrentes directes ? Est-ce que telle autre est plus centrale dans le réseau des partenariats ? Par contre, le calcul d’indicateurs sociométriques de type centralité, densité, nombre de clusters, etc. dans le premier type de réseau, c’est-à-dire dans un réseau 2-mode (Borgatti & Everret, 1997) est problématique puisque les acteurs ne sont pas homogènes. Il faut, pour mener une étude sociométrique, choisir de construire des réseaux de partenaires ou de laboratoires. Compte tenu de l’étendue et de l’hétérogénéité des données, deux cas particuliers de ces réseaux ont été sélectionnés : celui des plus grandes entreprises françaises et celui des laboratoires du département Sciences Chimiques du CNRS.

 

Les réseaux de recherche des entreprises du CAC 40

En sélectionnant les entreprises du « CAC 40 »[14] (qui représentent 20% des contrats de notre base), nous avons constitué un panel des plus grandes entreprises françaises, dont nous avons suivi le comportement « contractuel » sur 3 périodes successives. La matrice relationnelle élaborée comporte en ligne, les laboratoires financés et en colonne, les entreprises.   Le logiciel de réseau UCINET donne ensuite les résultats et les graphiques suivants[15] :

 

1988-1990

1993-1995

1998-2000

Effectif : 18 entreprises + 141 laboratoires = 159 nœuds reliés par 92 relations.

Effectif : 21 entreprises + 269 laboratoires = 290 nœuds reliés par 205 relations

Effectif : 24 entreprises + 331 laboratoires = 355 nœuds reliés par 260 relations

 

Figure 3. Réseaux bimodaux des laboratoires et des firmes du CAC 40

 

Ces réseaux présentent tous un centre identique, qui est une entreprise d’électricité, autour duquel l’ensemble des acteurs s’agglomèrent progressivement. Le nombre de contrats et de laboratoires concernés augmente fortement en 10 ans. Pendant la première période, le réseau est composé de 8 cliques, centrées autour de 1,2 ou 3 entreprises. Quatre secteurs sont très distants du « cœur » du réseau et ont peu de relations avec les autres membres. Le secteur pharmaceutique a une position particulière : éloigné du centre mais avec une intense activité de recherche. Aucun laboratoire n’est relié à plus de 3 entreprises et 75% d’entre eux ne sont reliés qu’à une seule. Au cours de la deuxième période, la densité augmente toujours autour du même centre, qui concentre comme, pendant la première période, 30% des relations. Les laboratoires, dont le nombre a fortement augmenté (de 141 à 269), sont maintenant directement connectés au centre du réseau par des entreprises communes. La proportion de laboratoires « monoreliés » a baissé à 69%. Au cours de la troisième période, l’entreprise d’électricité conserve une position centrale mais elle perd en connectivité puisqu’elle ne représente plus que 20% des liens du réseau. Au cours de cette période, le nombre de laboratoires n’ayant qu’un lien avec les entreprises du CAC 40 diminue encore (67%). Au final, la « densité » de ce réseau a augmenté au cours de la période (1998-2000). Tout se passe comme si la circulation de connaissances au sein de ce groupe d’acteurs de la recherche s’était fluidifiée.

 

 Le « petit monde » de la communauté des chimistes

Un travail analytique spécifique a été effectué sur les laboratoires de chimie du CNRS, afin de tester les hypothèses de « petit monde » que l’on trouve dans de nombreuses spécialités scientifiques, notamment les biotechnologies (Gay & Doucet, 2005). Le choix de cette spécialité est lié aux travaux déjà publiés sur ce domaine scientifique (Amin & Cohendet, 2006) et à la taille raisonnable du nombre d’acteurs dans notre base de données.

L’hypothèse d’existence d’un « petit monde » signifie qu’un individu lambda est relié par une chaine courte d’intermédiaires à n’importe quel autre individu du réseau. La littérature sur ce sujet (Watts & Strogatz, 1998 ; Cowan, 2004) s’accorde à définir les critères suivants, comme conditionnant l’existence d’un « petit monde » :

·         un fort coefficient de clustering (nombre de triplet dans le réseau)

·         une longueur moyenne de chemin courte (distance moyenne du réseau)

·         une densité globale faible (sachant que la densité est comprise entre 0 et 1)

·         la distribution des degrés d’un réseau permettant de distinguer les réseaux « scale free » des réseaux dimensionnés[16].

Pour contourner le problème des valeurs significatives (forte/faible), nous choisissons d’observer également la variation relative de ces critères sur 2 périodes (1988-1990) et (1998-2000) plutôt que seulement leurs valeurs absolues.

Les réseaux unimodaux des laboratoires du domaine de la chimie représentent l’ensemble des liens qui unissent, par l’intermédiaire des partenaires financiers (contrats partagés avec un même partenaire), les laboratoires du Département « chimie » du CNRS entre eux. Afin de faciliter la lecture des graphiques, les réseaux suivants ne concernent que les liens supérieurs à deux, c’est-à-dire qu’au moins trois partenaires ont travaillé avec les laboratoires du secteur chimique.

 

Période 1988-1990

Période 1998-2000

 

Figure 4. Schémas simplifiés des réseaux unimodaux des laboratoires de Chimie

 

Le premier réseau simplifié (25 laboratoires reliés par 84 relations) ne comprend qu’une seule composante et se présente comme un réseau en « étoile » centré autour d’un laboratoire. A la deuxième période, le nombre de laboratoires (62) et de liens (400) a fortement augmenté et la centralité autour d’un seul laboratoire est moins évidente.

Plus précisément, le logiciel de réseau Ucinet calcule un certain nombre de valeurs, en particulier celles sur la structure globale du réseau, afin de vérifier si l’hypothèse de « petit monde » est confirmée. Elles sont présentées dans le tableau ci-après.


 

Indicateurs

1er réseau : 1988-1990

2ème réseau : 1998-2000

Nombre d’acteurs

142

247

Nombre de liens

3164

7568

Coefficient de clustering

1,178

1,162

Distance moyenne

1,978

2,153

Pente de la distribution des degrés

(après lissage par logarithme)

 

- 0,58

 

- 0.54

densité

0,158

0,125

 

Tableau 11. Caractéristiques structurales des réseaux unimodaux de la chimie

 

Ces résultats permettent d’affirmer qu’il y a une distribution hétérogène des degrés avec un nombre élevé de laboratoires faiblement connectés et un petit nombre d’individus fortement connectés, qui sont des intermédiaires communs à plusieurs laboratoires. Ces deux réseaux sont donc des réseaux sans dimension. La faiblesse de la pente de la distribution des degrés (qui devrait approcher -3 pour un réseau parfaitement « scale free ») peut être due à l’effet petit monde, puisque la densité des réseaux est faible, le coefficient de clustering fort et la distance moyenne courte (autour de 2). Ces trois indicateurs confirment l’hypothèse de « petit monde » pour les deux réseaux laboratoires-partenaires dans le domaine de la chimie[17]. Mais ces chiffres ne font pas apparaitre que l’on converge, entre les deux périodes, de manière nette  vers des valeurs plus conformes à celles attendues par la théorie du « petit monde ».

Il ressort, de cette partie sur les réseaux de partenaires, un certain nombre d’enseignements sur le comportement des laboratoires et de leurs partenaires : d’une part, en matière de recherche de partenaires financeurs, les grandes entreprises agissent comme si elles s’imitaient entre elles et cherchaient à contracter avec les mêmes laboratoires que leurs concurrents. Bien sûr, ces comportements renforcent la réputation et la sélection de certaines unités de recherche. Par contre, rien ne présage de la conduite de stratégies résiliaires d’accès à des ressources. Sur ce sujet, d’autres travaux (Lhuillery & Pfister, 2009) ont montré au contraire, que les entreprises sont souvent myopes par rapport à l’ensemble du réseau relationnel de recherche dans lequel elles se trouvent. D’autre part, l’effet disciplinaire reste important au sein des laboratoires, qui s’organisent comme des communautés scientifiques dans lesquelles la diffusion d’information est rapide et fluide, parce qu’elle transite par un nombre réduit d’acteurs. En conséquence, il semble que la recherche sous contrat ne perturbe pas l’organisation de la science en communautés disciplinaires, telle qu’elle a été depuis longtemps mise en évidence par la littérature sur les Science Studies (Mullins, 1972).

Conclusion :

Nous avons cherché à explorer les questions de fidélité et de continuité dans les activités de recherche du CNRS financées par des partenaires publics (fonds européens, collectivités locales, appels d’offre nationaux) ou par des entreprises, à partir de données statistiques longitudinales. Cet exercice méthodologique et statistique a permis de mettre en évidence des propriétés intéressantes de la recherche sous contrat :

Premièrement, il existe une certaine volatilité et éphémérité des contrats comme dans d’autres marchés de services très spécifiques : les contrats sont généralement courts et ponctuels. Ainsi, notre base de données ne permet-elle pas de mettre en évidence les « défauts de coordination » des partenaires associés à un projet de recherche et d’innovation, comme c’est le cas dans l’étude de S. Lhuillery & Pfister (2009). Le contrat unique est la figure dominante d’association entre les laboratoires et leurs partenaires financeurs.

Deuxièmement, il apparait clairement que les deux participants à un contrat n’ont pas le même comportement d’appariement : les financeurs ou donneurs d’ordre sont plutôt monoreliés et bireliés (à 80%). Par ailleurs, plus ils passent de contrats, moins ils changent de partenaires. En parallèle, les laboratoires sont plus polyreliés avec une part de fidélité non négligeable à l’égard de l’un de leurs commanditaires.  De ces deux informations, on peut conclure que la répétition des contrats s’accompagne d’une part de fidélité à son partenaire.  Ce qui corrobore d’autres travaux sur la confiance nécessaire des participants à des contrats de recherche de l’INRA (Estadès, 2000).

Enfin, l’analyse de ces partenariats à travers le prisme des réseaux sociaux scientifiques, permet de considérer l’ensemble des échanges d’information et de connaissances entre unités de recherche et partenaires financiers. Même si les données disponibles n’ont pas été construites pour faire de l’analyse de réseaux avec des enquêtes spécifiques recherchant les informations relationnelles (A. de Federico de la Rua, 2002) mais comme des données institutionnelles à des fins de suivi, comptages et dénombrements classiques. Elle a mis en évidence à la fois, la convergence des modes d’appariement des grandes entreprises avec les unités du CNRS et également, l’existence de « petits mondes scientifiques ». Comme dans d’autres études (Cowan, R. & Zimmermann, J.-B., 2007), il est donc démontrer que l’analyse des contrats de recherche ne peut se contenter d’une approche « dyadique » et gagne à adopter une vision résiliaire des partenariats et des arrangements.  

 
Références bibliographiques:

 

Amin Ash y Cohendet Patrick (2004). Review of Architectures of Knowledge: Firms, Capabilities, and Communities. Oxford : Oxford University Press.

Bès Marie-Pierre, Defossez Adrien y Rodriguez Frédéric (2007). “Social Networks in Research Partnerships”. UK Social Network Conference, London, 13-14 July 2007.

Bès Marie-Pierre (2005) « savoir et savoir-faire élaborés dans les relations science-industrie : un nouvel enjeu pour la marchandisation de la science ? ». Sciences de la Société, n°66.

Bès Marie-Pierre (2004). "Connaissances et relations sociales des jeunes chercheurs". Recherches Sociologiques, Vol. XXXV, n°3.

Billand Pascal, Frachisse David y Massard Nadine (2008). “The sixth framework program as an affiliation network : representations and analysis”. 13th coalition theory network workshop, Venise, avril 2008.

Borgatti Stephen y Everett Martin (1997). “Network analysis of 2-mode data”. Social Networks, Vol. 19.

Callon Michel, Larédo Philippe y Mustar Philippe (1995). La gestion stratégique de la recherche et de la technologie. Economica.

Cantner Uwe y Graf Holger (2006). « The network of innovators in Jena : an application of social network analysis ». Research Policy, n°35.

Cowan Robin, Jonard Nicolas y Zimmermann Jean-Benoit (2007). “Bilateral Collaboration and the Emergence of Innovation Networks”. Management Science, Vol. 53, No. 7.

Cowan Robin (2004). “Network models of innovation and knowledge diffusion”, MERIT Research Memoranda, 016.

Defossez Adrien (2007). « Partenariats de recherches CNRS/industrie et réseaux sociaux ». Mémoire de Master Relations Industrielles et Création de Compétences, Université des Sciences Sociales de Toulouse.

Estadès Jacqueline (2000). « Confiance et contrôle dans le partenariat recherche-industrie », en R. Laufer & M. Orillard (dir.), La confiance en question. L’Harmattan, pp. 327-352.

De Federico de la Rúa Ainhoa (2002). «Tendiendo puentes : de Lilnet a Redes. Introducción teórica a las relaciones entre micro y macro. Contribuciones actuales del análisis estructural ». Numéro spécial de REDES. Revista hispana para el análisis de redes sociales. Vol 3.

Gay Brigitte y Dousset Bernard (2005). “Innovation and network structural dynamics: Study of the alliance network of a major sector of the biotechnology industry”. Research Policy, Vol 34.

Gingras Yves (2003). « Idées d'universités ; enseignement, recherche et innovation ». Actes de la Recherche en Sciences Sociales, Vol. 148, n°148.

Grossetti Michel (2009). “¿Qué es una relacion social? Un conjunto de mediaciones diádicas”. REDES. Revista hispana para el análisis de redes sociales, vol 16.

Grossetti Michel y Bès Marie-Pierre (2001). “Encastrements et découplages dans les relations science-industrie”. Revue française de sociologie, Vol. 42, n°2.

Grossetti Michel y Nguyen David (2001). « La structure spatiale des relations science-industrie en France : l’exemple des contrats entre les entreprises et les laboratoires du CNRS ». Revue d’Economie Régionale et Urbaine, vol. II.

Joly Pierre-Benoit y Mangematin Vincent (1996). "Profile of laboratories, industrial partnerships and organization of R&D: the dynamics of relations with industry in a large research organization". Research Policy, Vol 25.

Karpik Lucien (2007). L'économie des singularités. Gallimard.

Lahlou Saadi (1993). « A Method for Measuring Network Effects in Scientific Cooperation ». Bulletin de Méthodologie Sociologique, 40.

Lemieux Vincent (1999). Les réseaux d'acteurs sociaux. Presses Universitaires de France.

Leydesdorff Loet (2006). The Knowledge-Based Economy: Modeled, Measured, Simulated. Boca Raton, Florida : Universal Publishers.

Lhuillery Stéphane (2009). « Les firmes connaissent-elles leurs réseaux de R&D ? », séminaire R.E.P.E.R.E.S., Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Lhuillery Stéphane y Pfister Etienne (2009). "R&D cooperation and failures in innovation projects: Empirical evidence from French CIS data". Research Policy, vol. 38 (1).

Mercklé Pierre (2004). Sociologie des réseaux sociaux. La découverte.

Mullins Nicholas C. (1972). “The development of a scientific speciality : the phage group and the origins of molecular biology”, Minerva, vol 19.

Newman Mark E. J. (2001). “The structure of scientific collaboration networks”, Proceedings of the National Academy of Science, vol. 98, n°2.

Pilmis Olivier (2007). «Des employeurs multiples au noyau dur d'employeurs : relations d'emploi et concurrence sur le marché des comédiens intermittents », Sociologie du travail vol. 49.

Shinn Terry (2000). « Axes thématiques et marches de diffusion, la science en France, 1975-1999 », Sociologies et sociétés, vol. XXXII.1.

Vélez Cuartas Gabriel (2007). « Tendencias del Tercer Sector a partir del análisis de las relaciones de interdependencia ». REDES. Revista hispana para el análisis de redes sociales, Vol.12, n°5.

Watts Duncan J. y Strogatz Steven H. (1998). "Collective dynamics of 'small-world' networks.". Nature, 393.


Annexe 1 : mode de calcul de l’indice de Fidélité[18]

 

Si l’on élimine de l’effectif les entreprises qui ne passent qu’un contrat (N=3457), on peut définir, pour les restantes (N=3235), un indicateur global de fidélité comme suit :

Fi =

 

Avec :

Nlaboratoiresentreprisei = nombre de laboratoires différents qui ont contracté avec l’entreprise i.

Ncontratsentreprise= nombre de contrats de l’entreprise i.

 

Si F ≈ 0, l’entreprise est fidèle puisqu’elle réalise beaucoup de contrats par rapport au nombre de laboratoires

Si F ≈ 1, l’entreprise est infidèle puisqu’elle réalise peu de contrat par rapport au nombre de laboratoires

Sur l’ensemble de l’effectif, le résultat donne en moyenne, F = 0.48 ce qui empêche toute interprétation.

 

 

 

 

 



[1] Envoyez toute correspondance à propos de cet article à Marie-Pierre Bès : bes@univ-tlse2.fr

[2] Nous remercions les évaluateurs anomymes de la revue pour leurs remarques constructives ainsi que les participants au séminaire « savoir et réseaux » du LISST pour leurs suggestions pertinentes.

[3]  Nous reviendrons plus loin sur les définitions utilisées pour les paires, couples et dyades.

[4]  Nous remercions vivement les membres du Service « relations avec les entreprises » de la Direction de la Politique Industrielle du CNRS et notamment Catherine Morel-Chevillet.

[5]  Trois étudiants ont travaillé successivement sur cette base : Audrey Monouchy en 2006, Mathieu Reina en 2008 dans le cadre d’un stage de l’IUP de statistiques de l’Université Paul Sabatier de Toulouse et Adrien Defossez dans le cadre de son Master d’économie (R.I.C.C.) de l’Université des Sciences Sociales de Toulouse  en 2007. Nous remercions en particulier Mathieu Reina, qui a proposé une première approche de la thématique de la fidélité des partenaires de la recherche sous contrat.

[6]  Elle ne renferme pas l’ensemble des entreprises françaises ou européennes effectuant de la recherche en interne, ou en partenariat avec d’autres institutions comme l’INRA, l’INRIA, l’INSERM, etc.

[7]  Cette partie a été présentée au 3ème Congrès de l’Association Française de sociologie (14-17 Avril 2009) sous le titre : « Fidélité et continuité dans les partenariats de recherche entre laboratoires scientifiques et entreprises : le cas des contrats du CNRS ». Nous remercions les participants au groupe thématique « sciences et techniques en société » pour leurs remarques sur la première version.

[8]  La dyade, au sens des sociologues de réseaux, serait l’association de deux individus de même nature, ici 2 laboratoires ou 2 partenaires, ce qui nécessiterait d’avoir des informations sur leurs relations.

[9] Source : rapport de stage de Mathieu Reina, « Etude de la fidélité des entreprises », Université Paul Sabatier, Toulouse, Septembre 2008.

[10]Source : rapport de stage de Mathieu Reina, Septembre 2008, p. 60.

[11]Voir Annexe 1.

[12] Source : rapport de stage de Mathieu Reina, ibid., Septembre 2008

[13]  Cette partie a fait l’objet de deux communications : la première à la « Social Network Conference » à Londres sous le titre « Social Networks in research Partnerships », Queen Mary College, 13 et 14 July 2007, la seconde au Colloque de l’European Association for Evolutionary Political Economy en 2007, sous la référence suivante,  “The French research system : which evolution and which borders?” à Porto (Portugal) les 1-3 novembre 2007. Elle a été préalablement développée par Adrien Defossez dans son mémoire de Master, « Partenariats de recherches CNRS/Industrie et réseaux sociaux », présenté en septembre 2007 à l’Université de sciences sociales de Toulouse, sous la direction de Marie-Pierre Bès et Frédéric Rodriguez.

[14] Les entreprises du CAC 40 sont les 40 premières firmes cotées au marché boursier français (Continous Assisted Quotation). La sélection des entreprises a été faite en Juillet 2007, c’est-à-dire après les grandes fusions industrielles. Ceci permet de suivre cet échantillon sur plusieurs périodes et d’éliminer de fait celles qui ont modifié leurs actionnariats ou qui ont disparu.

[15] Afin de respecter la confidentialité des entreprises, leurs noms ont été remplacés par leur activité principale. Les laboratoires sont en rouge, les entreprises en bleu.

[16]  La pente de la distribution des degrés doit être égale à -3 pour un réseau parfaitement sans dimension (Watts et Strogatz, 1998).

[17]  Les autres domaines scientifiques, excepté le Département Nucléaire et Physique du CNRS, font apparaitre des résultats similaires, avec une densité globale de l’ordre de 0,2, un coefficient de clustering supérieur à 1 et une distance moyenne proche de 2.

[18]  Source : rapport de stage de Mathieu Reina, Septembre 2008, p. 58.