REDES- Revista hispana para el análisis de redes sociales
Vol. 21, #10, Diciembre 2011
http://revista-redes.rediris.es

Le réseau des commissions extra-parlementaires (1910-2000) : essor et déclin d’une expression institutionnelle du néocorporatisme helvétique

 

Frédéric Rebmann- Université de Lausanne, Suisse[1]

Résumé

Les commissions extra-parlementaires sont des organes administratifs chargés de tâches consultatives ou exécutives pour le compte du gouvernement, mais essentiellement composés par des personnes externes à l’administration fédérale. Ces commissions sont à ce titre traversées d’une tension entre une logique d’expertise et une logique de représentation. A partir d’une analyse structurale de réseaux, nous avons distingué ces deux logiques en mettant plus particulièrement en lumière les spécificités de la deuxième : nous avons ainsi analysé, selon une approche diachronique portant sur cinq dates du 20e siècle (1910, 1937, 1957, 1980 et 2000), l’évolution de la morphologie des liens entre commissions et entre acteurs à partir desquels s’opèrent des processus de coordination, de concession et de marchandage politique. Nos recherches ont montré que ces liens de « concordance » se densifient continuellement entre 1910 et 1980, avec une accélération marquée à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces liens sont essentiellement développés par les différentes associations d’intérêts et portent presque exclusivement sur les politiques économiques et sociales. Les CEP apparaissent ainsi à cette date comme une des principales institutions néocorporatistes de concordance. Cette évolution s’inverse toutefois largement entre 1980 et 2000 avec une diminution importante de ce type de liens, ce qui remet en cause la logique de coordination des commissions. Trois facteurs en sont principalement à l’origine : le processus de réforme du système commissionnaliste qui commence dans les années 1970, le processus d’internationalisation qui touche la Suisse depuis les années 1980 et finalement un changement de préférences et de répertoire d’action d’un certain nombre d’associations économiques et sociales, qui se détournent progressivement des mécanismes de coopération transversale caractéristiques des régimes néocorporatistes. Toutefois, malgré cette évolution, un noyau de concordance persiste sur une base plus limitée entre les associations d’intérêts « traditionnelles » au sujet de certaines politiques économiques et sociales.

Mots-clés: Suisse – Commissions extraparlementaires – Associations d’intérêts – Expertise – Représentation.

Abstract

Extra-parliamentary commissions (EPC) are organs that assume consultative or executive tasks on behalf of the government and the administration but are essentially composed of persons who are not civil servants. As a consequence, they express the tension between the logic of expertise and the logic of representation. Thanks to a structural network analysis, we distinguished these two logics and highlighted the specificities of the second: according to a diachronic approach based on five years of the 20th century (1910, 1937, 1957, 1980, and 2000), we analysed the specific evolution of the ties between commissions and between members that are parts of a log-rolling and bargaining process. Our research showed that these kinds of ties became denser from 1910 to 1980, with acceleration beginning with the Second World War. These coordinative ties linked social and economic policies together and were developed, essentially, by the interests associations. As a consequence, the EPCs largely appear to be one of the main neocorporatist institutions during this period. However, this evolution was reversed between 1980 and 2000 with the important diminution of these coordinative ties, which called into question the neocorporatist role of the EPCs. Three main factors can be discussed to explain this evolution: the process reform of the EPC system that started in the 1970s, the globalization process that began in the 1980s, and, finally, a change in the strategies of the interest associations that progressively neglected cooperatives and neocorporatist mechanisms. However, despite this general evolution, a coordinative core persisted between some “traditional” interest associations.

Key words: Switzerland – Extraparliamentary commissions – Interests Associations – Expertise - Representation.

 

1. Introduction

Les commissions extra-parlementaires (CEP) sont des instances administratives chargées de tâches consultatives ou exécutives pour le compte du gouvernement et composées essentiellement de personnes extérieures à l’administration fédérale. À ce titre, elles sont généralement classées parmi les instances administratives « para-étatiques » ou « de milice » et sont ainsi à la croisée des logiques d’expertise et de représentation : en tant que comités d’experts, les CEP représentent en effet pour les autorités fédérales, dont l’appareil administratif est faiblement doté, un vecteur d’acquisition de compétences et de capacités d’analyse à moindre coût. Toutefois, en étant partiellement composées de représentants d’organisations privées, les CEP incarnent également une des principales instances néocorporatistes du système politique suisse, car elles permettent aux principaux groupes d’intérêts d’être représentés au sein de la sphère administrative et de faire valoir leurs intérêts au sein de la phase pré-parlementaire du processus de décision (Germann et Frutiger 1978 ; Germann 1981 : 190-191 ; Germann 1987 ; Rüegg 1992 : 112 ; Sägesser 2007 : 514).

Analyser le rôle et la fonction des CEP au sein du système politique suisse implique, en conséquence, de placer cette tension entre logiques d’expertise et de représentation au centre de notre analyse – comme l'ont fait Chatriot et Lemercier pour la France (cf. notamment Chatriot 2002 ; Chatriot et Lemercier 2002 et 2008) – et de problématiser leur impact respectif sur le système démocratique. Les CEP représentent-elles davantage des instances de conseil politique subordonnées aux autorités démocratiquement élues ou agissent-elles au contraire sur la volonté politique en préjugeant des options démocratiques fondamentales ? En d’autres termes, en nous focalisant essentiellement sur la deuxième logique, au-delà des institutions usuelles de la démocratie parlementaire ou semi-directe qui caractérisent le système suisse, dans quelle mesure le système commissionnaliste représente-il une institution de « démocratie sociale » (Chatriot 2002 : 3) permettant à différentes légitimités associatives – patronales et syndicales en premier lieu – de peser sur la définition des politiques publiques ?

Si la nature néocorporatiste des CEP a souvent été pressentie et mise en avant – en insistant sur le fait que des compromis politiques précoces s’y établissent entre les principales associations d’intérêts, selon des mécanismes de « concordance » (pour une définition du terme, voir Morandi 2005) où la recherche d’accords à l’amiable prend le pas sur un principe de majorité (Rüegg 1992) – elle n’a cependant jamais été démontrée à l’échelle de l’ensemble du système. Au-delà de quelques éclairages ponctuels limités à certaines commissions (notamment Pavillon 2001), nous ne savons ainsi que peu de chose de la structure et de l’envergure globale des mécanismes néocorporatistes de concordance au sein du système commissionnaliste et de leur évolution dans le courant du 20e siècle. Les acteurs à l’origine de ces pratiques et les politiques publiques concernées restent également peu délimités. De manière plus générale, l’historiographie relative aux commissions extra-parlementaires reste largement lacunaire, malgré quelques études portant sur les années 1970 (notamment Germann 1981, Frutiger 1983 et Germann et al. 1985).

Via un recours original à une analyse structurale de réseau, l’objectif de la présente contribution est de combler ces nombreuses lacunes en délimitant plus particulièrement les zones ou les noyaux au sein desquels s’établissent les mécanismes de concordance. Nous entendons en effet centrer notre analyse sur les liens qui s’établissent au sein du système commissionnaliste, entre les commissions, mais également entre leurs membres, et qui forment la structure d’échange au sein de laquelle ces mécanismes prennent forme. En nous focalisant sur cinq coupes chronologiques (en 1910, 1937, 1957, 1980 et 2000), nous menons par ailleurs notre analyse sur une base diachronique en retraçant l’évolution du réseau au cours du 20e siècle. Il s’agit ainsi de dépasser les approches strictement synchroniques ou les études de cas sectorielles qui caractérisent le traitement de ce sujet, en développant une analyse systématique du réseau des commissions extra-parlementaires dans sa globalité. Comme le mentionnent en effet Knoke et Kuklinski (1993 : 9-10),

« Network analysis, by emphasizing relations that connect the social positions within a system, offers a powerful brush for painting a systematic picture of global social structures and their components ».

L’analyse de réseau doit ainsi nous permettre de définir la forme et le développement des structures de concordance, les commissions concernées par ces pratiques et les acteurs qui y prennent part.

1.1. L’importance des commissions extra-parlementaires au sein du processus décisionnel : un état de la question

Les CEP représentent pendant l’essentiel du 20e siècle une institution opaque et très mal connue du système politique suisse. Comme le mentionnent Germann et al. (1985 : 2),

« L’administration de milice, si importante qu’elle soit, a été longtemps entourée d’une auréole de mystère, ne suscitant ni débat public, ni investigations systématiques ».

En effet, jusqu’aux années 1970, la création d’une commission est souvent laissée à la discrétion des différentes unités administratives (Départements, Offices, etc.), sans que les autorités politiques en soient forcément tenues informées (OPCA 1994 : 6, 35). En conséquence, le nombre total de commissions ainsi que leur composition ne sont pas connus avec précision : seule une liste partielle des commissions est publiée au sein de l’Annuaire fédéral officiel. Par ailleurs, leur statut et leurs prérogatives sont largement opaques et informels, à l’image des activités de la Délégation économique permanente, organe de négociation économique créé en 1939 par le Conseil fédéral et composé, outre des fonctionnaires fédéraux préposés aux négociations économiques, de représentants des principales associations d’intérêts helvétiques. Cet organe consultatif sans assise légale, institué sur la base d’une décision non publiée du Gouvernement et travaillant sans que ses séances ne fassent l’objet de procès-verbaux, pèse pourtant d'un poids très important dans les processus de décision relatifs aux relations économiques extérieures de la Suisse dans cette période (OPCA 1994). Hug (1998: 222) parle ainsi d'une délégation informelle, flexible et oligarchique ayant un caractère clandestin.

Quand bien même l’ensemble des commissions ne partagent pas toutes ces caractéristiques, cette situation contribue, dès les années 1950, à susciter un débat croissant sur le rôle des CEP au sein du processus décisionnel fédéral et sur la place qu’y occupent les associations d’intérêts. Les milieux parlementaires s’inquiètent notamment de la prédominance du travail pré-parlementaire dans l’élaboration des lois et lancent à ce titre plusieurs interpellations, durant les années 1960 et 1970, appelant à une réglementation du système commissionnaliste (OPCA 1994) :

«La première fonction du Parlement est de légiférer. Or, à l'heure actuelle, les membres de cette vénérable institution exercent beaucoup moins d'influence sur le contenu des actes législatifs que les organes ou autorités qui les ont élaborés au cours de la procédure extra-parlementaire, à savoir l'administration, les commissions d'experts, les associations et organisations économiques.» (Feuille fédérale (FF) 1978 II: 1184)[2].

Neidhart (1970 :185ss.) est l’un des premiers scientifiques à discuter du rôle et de la fonction des CEP : selon lui, du fait de la pression référendaire[3] constante qui s’exerce sur le système politique suisse, celles-ci ont rapidement été le lieu d’intégration, dans le cadre des procédures de consultation pré-parlementaire, des principales forces économiques et sociales. Il estime ainsi que deux tiers des sièges des commissions seraient occupés par les associations professionnelles, le tiers restant revenant aux fonctionnaires fédéraux ou cantonaux ou à des représentants des milieux universitaires.

Ces interpellations croissantes sont à l’origine, dès le début des années 1970, du lancement d’un processus de réforme du système commissionnaliste dont les deux principales expressions sont les Directives concernant la procédure préliminaire en matière de législation du 6 mai 1970 et les Directives touchant l'institution et le mode de travail des commissions extra-parlementaires ainsi que la surveillance à exercer sur elles du 3 juillet 1974. Ces deux règlements permettent ainsi, pour la première fois, de normaliser la création, le statut et le fonctionnement des commissions et d’apporter une certaine transparence à l’ensemble du système (OPCA 1994 : 6, 35).

C’est également dans le sillage de ces réformes que Germann et ses collègues entament leurs recherches et analysent le fonctionnement ainsi que la composition des commissions extra-parlementaires, notamment sur la base du registre de l’ensemble des commissions publié pour l’année 1978 (Germann 1981 et Germann et al. 1985). Ils dénombrent, pour cette année-là, plus de 370 commissions extra-parlementaires composées de plus de 3 800 experts pour quelque 5 000 sièges. À titre comparatif, mentionnons que l’administration centrale (sans les PTT et les Chemins de fer fédéraux) ne compte à la même période que 32 000 fonctionnaires fédéraux. Comme ces recherches l’ont montré, plusieurs types de CEP composent le système commissionnaliste. Deux catégories principales sont généralement considérées : les commissions consultatives, qui sont les plus nombreuses et qui sont chargées exclusivement de travaux de préparation ; et les commissions décisionnelles, qui représentent environ 20 % du nombre total de CEP et qui, elles, sont habilitées à prendre des décisions (OPCA 1994 : 30 ; Germann 2005). Ces deux types de commissions assument des tâches multiples portant sur presque tous les domaines de l’activité étatique à l’échelle fédérale. Les commissions consultatives sont généralement chargées de fournir une expertise et des informations à l’administration et participent également régulièrement aux travaux préparatoires d’avant-projets de lois ou d’ordonnances qui seront ensuite soumis au Parlement. Les commissions décisionnelles remplissent quant à elles des tâches de surveillance, de contrôle ou même de mise en œuvre de certaines politiques publiques et disposent, à ce titre, de leur propre secrétariat. Il convient encore de mentionner une dernière catégorie de CEP que sont les commissions d’experts « ad hoc », mises en place de manière ponctuelle et pour une durée limitée sur un objet particulier. Il n’existe toutefois pas de répertoire systématique de ce type de commissions.

Les travaux de Germann permettent, 10 ans après les chiffres avancés par Neidhart (1970), d’ouvrir à nouveau la discussion sur la question de la composition des CEP en apportant cette fois des données systématiques. Germann et ses collègues insistent sur le fait que les intérêts organisés ne sont de loin pas majoritaires au sein du système, la part des mandats qu’ils détiennent étant estimée à moins de 20 % (Germann 1981 : 52ss. ; Frutiger 1983 : 16ss.). Par ailleurs, il apparaît que malgré la dynamique de réforme des années 1970, la composition des commissions est restée peu réglementée. Le principe de cooptation est par exemple largement répandu, les présidents ou certains membres pouvant exercer une influence lorsqu'il s'agit de repourvoir des sièges (Germann 1981 : 194 ; 1996 : 96-97). Les membres des commissions ne sont, qui plus est, individuellement pas tous désignés par les autorités fédérales, certaines personnes siégeant au contraire dans les commissions selon le principe du « mandat institutionnel » (Germann et al. 1985 : 91). Dans de tels cas, l’administration se contente en effet d’inviter une organisation publique ou privée, celle-ci désignant librement la personne chargée de la représenter au sein du système commissionnaliste. Cette manière de faire est largement répandue parmi les principales associations d’intérêts helvétiques et joue, comme nous le verrons, un rôle central dans l’élaboration de réseaux de concordance.

Aucune analyse du système commissionnaliste n’a depuis lors été menée, si bien que nous ne connaissons que peu de chose de son évolution récente (cf. toutefois Rebmann et Mach 2012 pour une présentation succincte de l’évolution de ces 30 dernières années), ainsi que de la période antérieure aux années 1970. De plus, les quelques travaux existants n'ont envisagé la composition des commissions que via un recensement de la part de sièges dévolue à chaque groupe économique ou social. Si cette approche est intéressante et nécessaire, elle n’est toutefois pas suffisante. Elle reste en effet largement statique et ne peut mettre en lumière les logiques de négociation et de concertation transversales, typique des régimes néocorporatistes. En d’autres termes, les mécanismes néocorporatistes de concordance ne naissent pas de la simple présence des représentants des intérêts particuliers, mais dépendent également de l’existence de structures ou de réseaux institutionnels de coordination. Ce réseau naît essentiellement d’un phénomène de cumul de mandats par un nombre limité d’acteurs, appelés les pluriexperts ou les cumulards, qui sont communément considérés comme occupant une position stratégique au sein du système (Germann 1981 : 104ss.) et qui disposent d’un pouvoir s’apparentant à celui du « marginal-sécant » tel que défini par Crozier et Friedberg (1977 : 73). Ces derniers, qui cumulent parfois plusieurs dizaines de mandats dans diverses commissions, assurent en effet des fonctions de direction, de contrôle, de coordination et d’intermédiarité et sont ainsi au centre des processus de log-rolling et de bargaining d’une thématique à l’autre, les concessions accordées dans une commission étant compensées par des avantages obtenus dans une autre (Germann et Frutiger 1978 : 107). Il s’agit là de mécanismes se situant au cœur d’un fonctionnement néocorporatiste de concordance et assumés essentiellement par les principales associations faîtières. L’analyse de réseau représente à ce titre un instrument particulièrement adapté pour comprendre quelles sont les spécificités de ce réseau de coordination et comment il évolue durant le 20e siècle.

1.2. Données et méthode

Afin d’analyser l’évolution du réseau des CEP, nous avons retenu cinq coupes chronologiques réparties sur le 20e siècle (1910, 1937, 1957, 1980 et 2000) en compilant l’ensemble des commissions permanentes pour ces dates[4]. Le choix de ne retenir que les commissions permanentes résulte du fait qu’il n’existe pas de répertoire systématique des commissions ad hoc et que les commissions permanentes sont des CEP actives sur la longue durée, se prêtant mieux à une analyse diachronique. Comme indiqué dans le tableau 1, les commissions extra-parlementaires sont rattachées à l’un des sept Départements fédéraux[5]. Nous avons également inclus dans nos données les commissions de la Banque nationale suisse (BNS), le conseil de banque, la commission de contrôle et le comité de banque, qui, quand bien même elles ne font pas formellement partie des commissions extra-parlementaires, n’en sont pas moins des organes « de milice » composés de personnes externes à l’administration. Une analyse des réseaux de coordination néocorporatistes doit prendre en compte la politique monétaire, dont on connaît l’importance macroéconomique (Mach 2006b : 236).

Tableau 1. Nombre de commissions par année et par Département (en % du total), nombre de personnes, nombre de mandats[6]. Sources : Base de données ElitesSuisse

 

Comme nous pouvons le constater à partir du tableau 1, le système commissionnaliste est en expansion durant l’essentiel du 20e siècle. Ce n’est qu’entre 1980 et 2000 que les effectifs baissent. Par ailleurs, il connaît une évolution de son centre de gravité entre 1910 et 2000. Sur l’ensemble de la période considérée, trois Départements concentrent plus des deux tiers des commissions : il s’agit du Département des transports et de l’énergie, qui accueille aussi généralement les commissions sur l’environnement et la communication ; du Département de l’intérieur, généralement responsable de la politique scientifique, culturelle et des assurances sociales depuis les années 1950[7] ; et pour finir du Département de l’économie, chargé de toutes les questions relatives à la politique économique intérieure, à la politique commerciale, à la politique du travail, et à la politique agricole. Or, un transfert d’effectif allant du premier Département vers les deux autres se produit entre 1937 et 1957, les Département de l’économie et de l’intérieur concentrant depuis lors plus de la moitié de l’ensemble des commissions. Les questions économiques et les questions d’assurances sociales sont les principales thématiques à l’origine de l’augmentation du nombre de CEP, et sont au cœur des mécanismes de log-rolling.

Sur la base d’une analyse structurale de réseau (Lemercier 2005) portant sur la population totale des CEP et de leurs membres et réalisée à partir des logiciels Pajek (de Nooy et al. 2005) et Ucinet (Borgatti et al. 2002), notre démarche consiste à analyser la morphologie des liens formés grâce au phénomène de cumul de mandats, c’est-à-dire lorsque deux commissions partagent au moins un membre. La valeur du lien est proportionnelle au nombre de membres que deux commissions ont en commun. Plusieurs auteurs insistent sur le fait que la force ou la densité de ces liens est intimement corrélée à l’établissement de dynamiques sociales comme la collaboration ou la coordination (cf. de Nooy et al. 2005 : 61 pour une description générale, ou Windolf 2005 pour une exemplification au sujet des réseaux d’entreprises). En d’autres termes, c’est au sein des groupes de commissions les plus densément liés que les principes de coordination et de log-rolling sont les plus susceptibles de s’établir.

Toutefois, la délimitation des logiques de log-rolling et de bargaining ne peut bien évidemment pas se faire sur la seule base de l’analyse des liens les plus cohésifs. Les dynamiques de marchandage politique tendent en effet à mettre en relation des acteurs ayant des intérêts divers, voire parfois divergents, et qui peuvent éventuellement être amenés à s’entendre au sujet d’une concession faite sur telle thématique politique en retour d’un avantage ou d’un soutien obtenu sur une autre thématique. Il s’agit donc, dans le cadre de cette contribution, de distinguer deux types de liens entre commissions. D'une part, les liens qui relèvent effectivement de mécanismes de marchandage politique mettant aux prises des intérêts divers sur des politiques différentes se rattachent, d'un point de vue de réseau, à une logique exogamique : il y a des membres communs entre commissions qui traitent de thèmes différents. D'autre part, des liens s’établissant sur des sujets similaires et entre des acteurs semblables : ces liens peuvent être attendus du fait d’un besoin d’échange d’expertise (logique endogamique). Pour distinguer ces deux mécanismes, nous avons regroupé les différentes commissions par secteur d’activité politique et les différents acteurs en fonction du groupe social représenté (cf. annexe 4). Nous avons ensuite effectué un calcul de densité recensant, pour les logiques exogamiques, le nombre de liens constatés entre les commissions de deux thématiques différentes par rapport au nombre de liens possibles (nombre de liens/N²) et pour les logiques endogamiques, le nombre de liens constatés entre les commissions d’une même thématique par rapport aux nombres de liens possibles (nombre de liens/(N*(N-1))).[8].

Cette analyse de densité s’est faite, pour les commissions, sur l’ensemble des liens recensés. Au contraire, pour les liens entre acteurs, nous avons opéré une sélection avant d'effectuer les calculs de densité. Ceux-ci concernent en effet le seul réseau 2m-core (ou 2m-slices), qui ne comprend que les liens de valeur 2 et plus (cf. de Nooy et al. 2005 : 109). En d’autres termes, un lien entre deux acteurs n’est recensé que si ces personnes siègent ensemble dans deux commissions différentes au minimum. Le réseau 2m-core permet en effet de négliger les liens entre deux personnes parce que celles-ci siègent dans la même commission. Ces liens « intracommissions » ne nous intéressent en effet pas dans le cadre de notre analyse qui porte essentiellement sur les liens « intercommissions ».

Les liens exogamiques, qui représentent le principal indice des mécanismes de coordination des différents intérêts sociaux au sujet des politiques publiques, sont donc au centre de notre analyse. Notre propos consiste à distinguer les acteurs à l’origine de ces liens, ainsi que les politiques concernées par ces échanges, en mettant en lumière les continuités et les ruptures qui les traversent. Toutefois,  notre analyse de réseau ne peut pas analyser la nature des liens ainsi tissés. En d’autres termes, si nous pouvons circonscrire les thématiques et les acteurs au cœur des dynamiques de log-rolling, nous ne pouvons toutefois pas présager, sur une base quantitative, de l’orientation du rapport de forces qui lie les acteurs concernés. La morphologie du réseau seul ne parle pas d’elle-même : une analyse quantitative ne peut pas se passer d’une connaissance fine de la source et du terrain des commissions (cf. Lemercier 2005). Les dynamiques de marchandage politique débouchant sur l’élaboration de politiques de concordance ne signifient en effet pas que l’échange de faveur entre les parties en présence soit un jeu à somme nulle. Pour déterminer les raisons qui poussent à choisir la coordination plutôt qu’une autre forme de relation, ainsi que la forme spécifique que prend cette coordination, il faut compléter notre analyse par un développement qualitatif permettant de comprendre de manière plus précise la manière dont se développent ces liens et les rapports de force sociaux en présence.

2. Essor et déclin du réseau des commissions extra-parlementaires : une approche diachronique

Avant de nous focaliser sur les commissions et les acteurs au cœur des dynamiques de log-rolling, nous allons tout d’abord donner un aperçu de l’évolution des caractéristiques du réseau des commissions extra-parlementaires entre 1910 et 2000. Comme l’indiquent les indicateurs du tableau 2 et de l’annexe 1, qui présentent respectivement le niveau d’inclusion et de fragmentation du réseau des CEP ainsi que sa représentation graphique, nous pouvons distinguer deux phases principales : une phase de croissance des interconnexions entre 1910 et 1980, durant laquelle le réseau devient de plus en plus cohésif, puis une phase de déclin des liens entre 1980 et 2000, où le réseau tend à se morceler.

 

Tableau 2. Taille et structure du réseau des commissions extra-parlementaires et de leurs membres

Source : Base de données ElitesSuisse

 

En effet, les quatre indicateurs mobilisés dans le tableau 2 font état d’une progressive mise en relation des CEP entre elles entre 1910 et 1980 : le pourcentage de commissions isolées – c’est-à-dire les commissions qui ne sont liées à aucune autre CEP par un membre commun – baisse continuellement et de manière importante entre 1910 et 1980. À cette date, 95 % des commissions sont au moins liées à une autre CEP. L’indicateur suivant, relatif à la taille de la composante principale, rend compte du même phénomène : un réseau est généralement composé de plusieurs sous-groupes indépendants et non reliés les uns aux autres, que nous appelons composantes, la composante principale représentant, dans notre cas, le sous-réseau de commissions le plus vaste, liant une grande diversité de commissions. Or, celle-ci est de plus en plus inclusive entre 1910 et 1980, passant de 12 % de l’ensemble des commissions en 1910 à 94 % en 1980. Un large réseau d’échange est ainsi susceptible de s’établir au sein d’une composante regroupant la presque totalité des commissions. Le degré moyen, qui correspond au nombre moyen de CEP auxquelles une commission est liée, permet également de mettre en lumière l’importante densification des liens au sein du réseau des commissions entre 1910, où les CEP sont en moyenne connectées à une seule autre commission, et 1980, où ce nombre passe à 10. Mentionnons néanmoins que l’évolution de cet indice peut en partie dépendre de l’évolution de la taille moyenne des CEP. Finalement, la proportion d’acteurs faisant partie du sous-réseau 2m-core augmente continuellement entre 1910 et 1957. Un réseau de plus en plus cohésif tend ainsi à se former entre 1910 et 1980, au sein duquel des processus d’échanges de connaissances ou de coordination peuvent s’engager. Cette dynamique de croissance s’inverse toutefois largement entre 1980 et 2000, puisqu’à cette date 36 % des commissions sont isolées ; elles proviennent de secteurs politiques variés et ancrées indifféremment au sein des huit unités administratives présentées dans le tableau 1. La composante principale ne regroupe à cette période que 61% de l’ensemble des commissions et le degré moyen chute à trois. Ce déclin remet en cause les possibilités d’échange ou de coordination qui caractérisaient le réseau jusqu’à notre coupe de 1980. Les indicateurs présentés ici ne nous permettent cependant pas d’avancer que les liens ici formés sont plutôt l’expression d’une logique néocorporatiste de compensation ou d’un échange d’expertise et de connaissances. Ces deux phases sont donc présentées en détail dans les deux points suivants, dans lesquels nous distinguons précisément entre ces deux logiques grâce à l’analyse distincte des liens exogamiques et endogamiques (cf. annexe 4)[9].

2.1. Les CEP, des instances au cœur des mécanismes de compensation (1910-1980)

Le réseau des commissions en 1910, en plus d’être de petite taille, est également très atomisé et très peu inclusif. Cela explique que les résultats de densité exogamique des commissions et des acteurs ne soient pas significatifs (cf annexe 4), c’est-à-dire ne diffèrent pas significativement de ce qui pourrait se produire au hasard. Signalons néanmoins que le niveau de densité exogamique des CEP – que nous avons classées par thématiques politiques – est très faible, puisque seuls 18% de l’ensemble des « couples » recensés au sein de la matrice présentée dans l’annexe 4 sont liés entre eux (densité supérieure à 0%). En d’autres termes, au début du 20e siècle, les thématiques politiques au sein du système commissionnaliste ne se définissent pas ou très peu selon des dynamiques de coordination avec d’autres politiques.

Cette faiblesse des mécanismes de coordination s’explique par deux éléments principaux : le premier renvoie au statut encore relativement embryonnaire du système commissionnaliste au début du 20e siècle (Arnold 1969 : 2), qui reste cantonné, depuis sa création au milieu du 19e siècle, à des thématiques très spécifiques, à l’image de la politique territoriale, qui concentre plus de la moitié des CEP en activité en 1910. Les thématiques politiques sur lesquelles interviennent les commissions étant limitées, les possibilités de coordination exogamiques entre thématiques différentes restent restreintes. Le deuxième élément est la très faible représentation des associations d’intérêts au sein des CEP. En effet, comme le montre la table de densité relative à l’affiliation des acteurs du réseau 2m-core (annexe 3), celles-ci sont absentes de notre sous-échantillon. Cette absence s’explique en grande partie par le fait que les associations faîtières remplissent souvent directement, depuis la fin du 19e siècle, certaines tâches publiques non prises en charge par l’État, comme la formation professionnelle ou la récolte de données statistique (Mach 2006a). Cette situation tend à limiter la logique de représentation du système commissionnaliste.

Cette réalité connaît une première évolution avec l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Les nouvelles tâches étatiques qu’implique la gestion de ce conflit forcent en effet la faible administration helvétique à se tourner de manière accrue vers les acteurs privés et notamment les associations d’intérêts formant le bloc bourgeois[10], qui jouent dès cette période un rôle de plus en plus important au sein du système commissionnaliste (Baumann et Moser 1999 : 45). Cette évolution peut également être constatée à la même époque en France, notamment, qui connaît un développement important du nombre de « corps intermédiaires », comme les Conseils supérieurs des chemins de fer ou des assurances sociales (Chatriot et Lemercier 2002).

Ce processus suscite, au sein de ces associations, un premier débat sur la forme à donner à l’institution chargée d’accueillir la représentation des intérêts particuliers vis-à-vis de l’État fédéral, débat dont on retrouve à nouveau trace à la même époque en France (Chatriot 2007). Les milieux de l’artisanat appellent en effet à la création et à la formalisation d’une Chambre économique, organe officiel qui serait caractérisé par une représentation paritaire entre les milieux de l’industrie, des arts et métiers, de la paysannerie et des ouvriers. Cette Chambre serait chargée de prendre position sur les questions de politique économique et œuvrerait ainsi en tant qu’instance consultative et d’expertise auprès du gouvernement. Le grand patronat d’exportation, composé essentiellement de l’Union suisse du commerce et de l’industrie (USCI) et de l’Union centrale des associations patronales (UCAPS), ainsi que l’Association suisse des banquiers (ASB) refusent toutefois cette création, craignant notamment que cette Chambre soit instituée selon une composition paritaire entre salariés et employeurs et que ses activités ne fassent l'objet d'une trop grande publicité. Ces craintes préoccupent d’autant plus les cercles patronaux que la fin de la Première Guerre mondiale coïncide avec une période de fortes tensions avec le mouvement ouvrier, qui culmine en 1918 avec la grève générale. Il ne saurait donc être question, pour les représentants des intérêts patronaux, de les intégrer sur une base formelle et indifférenciée au sein d’un appareil amené à jouer un rôle important dans la définition des politiques publiques. Ces intérêts revendiquent ainsi le maintien d’un statu quo institutionnel profitant aux institutions telles que les CEP (Schmid 1983 : 122ss.). La précarité relative qui caractérise le système commissionnaliste à un niveau matériel et à un niveau institutionnel apparaît ici comme une caractéristique dont les intérêts les plus organisés entendent tirer profit. Les CEP, qui ne disposent pas de budget ni de locaux propres, ne sont par ailleurs soumises à aucune réglementation particulière qui serait chargée de régler la représentation des intérêts privés auprès de l’État ou de définir formellement et de manière permanente quels intérêts sont susceptibles d’être associés ou non aux travaux d’une commission. Les caractéristiques du système commissionnaliste permettent donc de décliner la logique de représentation sur un mode autorégulé, articulé autour du rapport de forces social et politique du moment entre les différents intérêts sociaux et économiques organisés. Or, et c'est une constante pendant l’essentiel du 20e siècle, le grand patronat industriel d’exportation est l’association dotée de la plus grande capacité d’influence politique en Suisse (Guex 2003 : 542).

Les années 1920 sont marquées par le développement de cette logique d’intégration informelle au sein des CEP. Afin d’éviter une reproduction des conditions sociales et politiques qui ont provoqué la grève générale de 1918, les élites dirigeantes adoptent vis-à-vis du mouvement ouvrier une tactique de « répression / cooptation », consistant à marginaliser les syndicats à vocation révolutionnaire et à intégrer les courants les plus modérés. Ce deuxième axe a les CEP pour théâtre principal, celles-ci représentant, à maints égards, le lieu au sein duquel s’institutionnalise une conciliation asymétrique d’intérêts divergents, permettant de désamorcer les risques de conflits sociaux. L’intégration des syndicats s’opère en effet sur une base largement minoritaire face aux intérêts du bloc bourgeois (Mach 2006a). Plusieurs commissions engagées sur la thématique des politiques économiques et intégrant, pour la première fois, des représentants ouvriers sont ainsi créées à partir du milieu des années 1920, à l’exemple de la Commission d’étude des prix, de la Commission consultative pour les questions de salaires, de la Commission de statistique sociale ou de la Commission de recherches économique. Comme le mentionne Pavillon (2001 : 110), l’objet de ces commissions est de « créer le cadre favorable à une concertation entre les différents groupes d’intérêts », notamment entre le capital et le travail au sujet d’une réduction des coûts de production et en premier lieu des prix et des salaires.

Nous sommes là, pour la première fois au sein des CEP, au cœur d’une dynamique de concordance mettant en relation, au sein d’un cadre institutionnel peu réglementé, les associations du bloc bourgeois et les syndicats ouvriers, notamment sur des sujets relatifs à la politique économique. Ce développement représente un « tournant idéologique » par rapport à la situation de 1918 (Degen et Kübler 1998 : 131ss.). En effet, l’essentiel des membres de ces commissions représente les milieux d’affaires, alors que les rares représentants du travail se caractérisent par leur fidélité à l’ordre bourgeois (Pavillon 2001). Au milieu des années 1920, l’Union syndicale suisse, la principale association faîtière des syndicats ouvriers, siège ainsi dans presque toutes les commissions du Département de l’économie. Évolution symptomatique s’il en est, cette participation aux instances du pouvoir s’accompagne en 1927 d’un renoncement définitif au principe de la lutte des classes (Degen et Kübler 1998 : 128-129). En parallèle d’une intégration progressive des principaux intérêts économiques et sociaux, la crise des années 1930 contribue à donner aux experts « un rôle décisif dans un contexte échappant d’assez loin au contrôle démocratique » (Pavillon 2001 : 110). Le système commissionnaliste se développe en conséquence et compte 71 commissions permanentes en 1937.

Les prémices d’un réseau exogamiques (1937)

Comme l’indiquent les tables de densité relatives aux acteurs et aux commissions (annexes 2 et 4), ce développement se traduit par une augmentation des liens exogamiques, à partir desquels se développent les logiques de coordination et de compensation. En effet, contrairement à 1910, les présidents ou les secrétaires des principales associations d’intérêts apparaissent au sein de la table de densité des acteurs (annexe 3). Quand bien même nos résultats de densité exogamiques sont à nouveau non significatifs (la coprésence des représentants de différents intérêts présente des motifs qui pourraient être dus au hasard), cette évolution nous invite toutefois à penser que les processus de concertation entre les intérêts patronaux et syndicaux, que nous illustrions avec les exemples des commissions économiques créées dans les années 1920, tendent à se généraliser à l’ensemble du système. La table de densité relative aux thématiques politiques sur lesquelles sont engagées les commissions de 1937 (annexe 4) indique également la portée du changement, nos résultats de densité exogamique étant cette fois significatifs. Le pourcentage de couples de thématiques politiques qui ont développé des liens a en effet augmenté de manière importante et représente cette fois 30% de l’ensemble des couples. On retrouve parmi les politiques ayant la plus forte densité exogamique moyenne (surlignées en jaune) les assurances sociales, la politique douanière, la politique financière, la politique commerciale, les affaires sanitaires et les questions de normes et de poids et mesures. En d’autres termes, ces politiques ont une prédisposition élevée à être définies, au sein du système commissionnaliste, en relation avec d’autres sujets. Les processus de concertation tendent à porter sur plusieurs politiques différentes, mais majoritairement sur les politiques économiques et sociales. À l’inverse (surligné en brun), pour des sujets comme les politiques scientifiques, culturelles, agricoles ou militaires, le niveau de densité exogamique reste faible : ces politiques restent définies de manière relativement autarcique.

Si le développement des liens exogamiques est relativement important par rapport à la situation de 1910, plusieurs indices indiquent cependant que le niveau de log-rolling et de bargaining entre les différents intérêts économiques et sociaux organisés et portant sur diverses politiques reste relativement marginal. Ainsi, les représentants des associations d’intérêts n’occupent qu’une position de second plan au sein de la table de densité des acteurs (annexe 3) et ne font que marginalement partie des individus les plus centraux en terme de degree (3 acteurs sur 10, cf. annexe 6) et d'intermédiarité (0 acteur sur 10, cf annexe 7). Par ailleurs, les thématiques politiques dont la densité exogamique est la plus élevée restent, en 1937, relativement diverses. La majorité des politiques économiques ou sociales (cf. annexe 2) ne développent en effet entre elles pratiquement aucun lien exogamique. La valeur des liens unissant les commissions tend également à démontrer une certaine marginalité des dynamiques de log-rolling et de bargaining, puisque toutes les liaisons exogamiques recensées ne le sont que grâce à un seul membre en commun (cf. annexe 5). Ces liens se retrouvent ainsi largement relégués par rapport aux liens endogamiques, certaines commissions travaillant sur des sujets similaires partageant en effet jusqu’à 7 membres en commun, essentiellement sur la problématique des assurances sociales.

Cette situation indique que si les CEP représentent de plus en plus, depuis la Première Guerre mondiale, un lieu d’intégration et de rencontre entre les acteurs patronaux, syndicaux, paysans, politiques et administratifs, elles ne sont pas encore, globalement, une instance où s’opère principalement une conciliation d’intérêts. Plusieurs raisons contribuent à expliquer ces résultats. D’une part, les principales associations patronales disposent souvent de leurs entrées directes auprès du Gouvernement et n’ont, à ce titre, pas besoin de transiter par les CEP ni de mettre en place des mécanismes de log-rolling (Jost 1999 : 33 ; Schmid 1983 : 125ss.).

Par ailleurs, si les représentants du mouvement ouvrier sont progressivement intégrés au système commissionnaliste depuis les années 1920, cette intégration n’est pas encore complète au milieu des années 1930. Deux dates sont généralement retenues pour signifier la pacification et l’institutionnalisation des relations entre patrons et ouvriers et l’intégration plus générale de la gauche au sein du système gouvernemental : la première est 1937 avec l’accord entre syndicats et patronat de la métallurgie et des machines dit de « Paix du travail ». Désignant une résolution des conflits collectifs entre employeurs et salariés par le biais de la négociation, cet accord, qui implique un renoncement explicite aux mesures de lutte comme la grève et le lock-out, marque de son empreinte plus de 60 ans de relations industrielles. La seconde date est 1943, avec l’élection d’Ernst Nobs au Conseil fédéral, premier socialiste à siéger au gouvernement fédéral (Degen et Kübler 1998 : 137 ; Jost 1999 : 219). Or, la fin des années 1930 et le strict après-guerre apparaissent comme une période charnière d’institutionnalisation des relations entre associations du travail et du capital que notre analyse de réseau, qui rend compte d’une réalité institutionnelle établie, ne peut saisir pour l’année 1937. Malgré ce processus d’intégration, les années 1940 sont en effet encore marquées par certaines situations très conflictuelles au niveau des relations industrielles entre patrons et ouvriers (Mach 2006b : 245). Ce n’est véritablement qu’à partir des années 1950 que la dynamique apparaît comme réellement aboutie.

La situation que nous venons de présenter pour l’année 1937 subit un approfondissement important durant les années 1940 et 1950 : la période qui s’ouvre avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale marque en effet une nouvelle accélération de la participation des associations d’intérêts au système gouvernemental, la guerre jouant à ce titre un rôle similaire à la Première en élargissant les fonctions remplies par les associations d’intérêts, mais également en renforçant leur rôle vis-à-vis des autorités (Lanzalaco 2008 : 307-308). En Suisse, c’est en effet tout un système, certes administré par l’État, mais largement pénétré par les intérêts privés, qui est spécialement mis en place, puisque la plupart des collaborateurs des Offices de l’économie de guerre proviennent de l’industrie privée. Les représentants du travail sont également intégrés à cet appareil, mais sur une base largement limitée et subordonnée. La régulation économique s’élabore ainsi dès cette période autour de l’axe formé par l’administration et les associations d’intérêts (Jost 1999 : 204ss. ; Werner 2000 : 41). Élément d’importance, cette pratique est ancrée au sein de la Constitution dès 1947 avec la révision des articles économiques (art. 32), lesquels reconnaissent le rôle des associations d’intérêts au sein du processus législatif et lors de la mise en œuvre des politiques publiques. Cette institutionnalisation contribue largement à favoriser le recadrage des phases de décision des principales thématiques politiques en faveur de la phase pré-parlementaire, notamment au sein des commissions extra-parlementaires (Kocher 1967 : 250ss.).

Les Trente Glorieuses de la coordination (1957)

Notre analyse de réseau pour l’année 1957 permet de saisir la portée du changement par rapport à la situation de 1937 : la table de densité relative à l’affiliation des acteurs du réseau 2-slices (annexe 3), ainsi que le tableau récapitulatif des densités (annexe 2) font cette fois clairement apparaître les trois types d’associations d’intérêts dans le trio de tête des acteurs dont la densité exogamique est la plus élevée. Nos résultats sont par ailleurs significatifs : les liens entre groupes d'intérêts au sein des commissions présentent une forme qui ne peut être due au hasard. Cette évolution est confirmée par les indices de centralité individuelle, puisque respectivement 8 et 7 des 10 acteurs ayant la centralité de degré et d'intermédiarité la plus élevée proviennent de ces associations. Le trio de tête de la centralité de degré est à lui seul symptomatique de la dynamique néocorporatiste à l’œuvre, puisqu'il est composé des dirigeants de trois des principales associations faîtières suisses : en première position, Edmund Wyss, secrétaire de l’Union Syndicale Suisse (USS), qui siège en 1957 dans 12 commissions différentes, essentiellement sur la politique économique, commerciale et douanière. En deuxième position se trouve Leonhard Derron, directeur de l’Union centrale des associations patronales suisses (UCAPS), qui siège dans 9 commissions, toutes liées aux thématiques de politique économique et des assurances sociales. En troisième position, Rudolf Reichling, président de l’Union Suisse des Paysans (USP) et parlementaire fédéral agrarien, siège dans 12 commissions de politique agricole, de politique commerciale et de politique économique. Mentionnons encore, en 7e et 8e positions, Ernst Geyer, secrétaire du Vorort (USCI), qui siège dans 9 commissions de politique agricole et de politique économique, et Manfred Fink, secrétaire de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), qui siège dans 5 commissions sur la politique économique et les assurances sociales. Le profil des représentants des associations d’intérêts diffère sensiblement de la situation de 1937, puisque ce sont dès cette période essentiellement des secrétaires et non plus des membres. Loin d’être anecdotique, cette évolution renvoie à un processus de distorsion du principe de milice et à une dynamique de professionnalisation de la représentation des principales associations économiques et sociales au sein des CEP. Le travail en commission fait en effet partie intégrante du cahier des charges professionnel de ces acteurs, qui sont ainsi en mesure d’optimiser leur influence au sein du système, au contraire de la plupart des autres membres, pour qui cette occupation est annexe.

La forte centralité des représentants des intérêts économiques et sociaux organisés au sein du système commissionnaliste indique que la logique de représentation surpasse en 1957 la logique d’expertise. La table de densité relative aux CEP (annexe 4) indique par ailleurs que cette logique de représentation s’accomagne d’une dynamique de coordination et de marchandage portant sur différentes thématiques politiques. En effet, 66% des couples recensés au sein de la table de densité sont, cette fois, liés entre eux, nos résultats étant significatifs. S’établit ainsi, pour la première fois au sein de nos coupes chronologiques (annexe 4), une dynamique de coordination des politiques macroéconomique liant entre elles la politique agricole, la politique économique, la politique commerciale, la politique financière, la politique monétaire ou encore la politique du travail. Par ailleurs, la valeur des liens unissant les CEP sur une base exogamique est nettement plus élevée qu’en 1937. Mentionnons, parmi les commissions les plus liées sur une base exogamique, la Commission consultative de la politique commerciale et le Comité consultatif pour les questions conjoncturelles. Ces deux commissions, qui font l’objet d’une présentation dans l’encadré n°1, partagent 9 membres, sur un total respectif de 28 et 35 membres, dont 6 proviennent des principales associations d’intérêts. Nous pouvons donc conclure que la politique commerciale et la politique conjoncturelle se définissent sur une base largement coordonnée via des mécanismes de log-rolling entre les principaux intérêts économiques organisés.

 

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Créée en 1949 par les Autorités fédérales, la Commission consultative de la politique commerciale est au cœur des mécanismes de marchandages politiques transversaux. La politique commerciale, qui prend dès le milieu des années 1940 une ampleur économique et sociale importante du fait notamment de la libéralisation des paiements et de l’émergence du marché européen (Gees 1999), cristallise en effet les tensions entre l’économie d’exportation d’une part et l’économie domestique d’autre part. La tension est particulièrement importante entre les représentants du capital et des paysans, ces derniers désirant protéger leur production face aux importations de produits agricoles négociées, dans le cadre de contrats commerciaux bilatéraux, en contrepartie de l’exportation des biens financiers ou industriels helvétiques (Gees 1999 : 158ss.). Face à cette situation critique, les Autorités mettent en place une politique de renforcement interne de leur politique extérieure, en intégrant toutes les forces politiques susceptibles de mettre en place une politique de blocage. La commission consultative de la politique commerciale en est la principale expression : celle-ci permet en effet de canaliser les revendications en matière commerciale de la paysannerie, mais également de certains autres groupes sociaux comme les représentants du travail ou les consommateurs, et d’éviter l’issue incertaine d’un recours référendaire. Cette commission permet ainsi aux principaux groupes d’intérêts de marchander et de décliner, sur une base autorégulée, les principaux axes de la politique commerciale de l’époque, en lien avec d’autres sujets politiques (Dirlewanger et al 2004 : 112ss.). Le principal résultat de ce marchandage est incarné par la loi de 1952 sur l'agriculture, qui met l'ensemble du secteur à l'abri des lois de l'économie de marché (Baumann et Moser 2011). Katzenstein (1985 : 78), pour qualifier le résultat de ce marchandage, parle de « policies of domestic compensation », théorie insistant sur la mise en place de politiques de compensation interne dont l’objectif est de contrebalancer, par des mesures visant la protection du secteur domestique, les mesures d’ouverture économique vers l’étranger favorisant l’industrie d’exportation. Notre analyse de réseau indique que les CEP en sont un des principaux lieux d’élaboration.

La dynamique est similaire au sujet du Comité consultatif pour les questions conjoncturelles créé en avril 1957 par le gouvernement. Instance paritaire employeurs-salariés, ce comité est chargé d’élaborer, au même titre que la commission de recherche économique étudiée par Pavillon (2001), des solutions de concordance entre les milieux du travail et du capital au sujet d’une adaptation des salaires aux nouveaux défis internationaux de l’économie suisse de l’après-guerre (cf. Krügle 1962 : 95ss.). Une dynamique de marchandage mettant aux prises les mêmes secteurs intervient également au sujet de la mise en place et du développement des assurances sociales (Leimgruber 2008 : 116ss.). Les commissions engagées sur les politiques économiques et sociales à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale sont ainsi davantage régies par des logiques de représentation et d’influence que par des logiques d’expertise. Mentionnons néanmoins que ces mécanismes de conciliation entre ces différents intérêts mettent aux prises des intérêts relativement inégaux en termes de moyens et d’organisation, à l’exemple des travaux de la Commission chargée dès 1957 de l’élaboration de la loi sur les cartels : anticipant le lancement du processus législatif, les milieux du bloc bourgeois concilient et aplanissent en effet en interne leurs divergences, dès 1953, au sein d’une Commission des cartels de l’économie privée. Ce travail leur permet, à l’entame des travaux de la commission fédérale, 4 ans plus tard, de former un groupe unitaire et de mettre en minorité les forces anticartel, composées de certains outsiders économiques ou de représentants des consommateurs qui, eux, restent largement dispersés et non coordonnés (Rebmann et Ginalski 2010).

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Encadré n°1: Quelques commissions au cœur des mécanismes de log-rolling

 

Comme l’indiquent les exemples mobilisés dans l’encadré n°1, la nouvelle donne internationale qui s’ouvre à la fin de la Seconde Guerre mondiale joue un rôle important dans le développement des logiques de coordination et de compensation au sein du système commissionnaliste : le processus de libéralisation économique et le début de la phase de croissance économique accroissent en effet les tensions sociales, notamment entre les intérêts paysans, ouvriers et patronaux. Ces tensions portent notamment sur la manière d’administrer cette croissance et d’en répartir les fruits. Les CEP permettent de canaliser et d’institutionnaliser, mais en dehors des institutions politiques officielles, ces revendications et de réduire ainsi les risques de blocage politique. L’absence de réglementation du système commissionnaliste à l’époque permet aux élites dirigeantes d’éviter une politisation aux contours incertains ; elle permet également d’opter pour des processus d’autorégulation où les capacités organisationnelles et d’influence jouent un rôle déterminant, a fortiori dans le cadre d’une démocratie référendaire. Or, il apparaît qu’à ce jeu-là, les intérêts patronaux supplantent souvent largement les milieux syndicaux ou plus encore ceux des consommateurs. En contrepartie, les milieux « intégrés » profitent, quant à eux, des mécanismes de compensation ainsi mis en place, protégeant le marché local pour les milieux agricoles et permettant aux milieux ouvriers de participer à la régulation du marché du travail et des salaires, ce qui est l’une de leurs plus anciennes revendications (Mach 2006b : 245ss.). Le réseau intercommissions constitue ainsi pour ces associations économiques et sociales un axe de « démocratie sociale » concurrençant avantageusement la « démocratie politique ». C'est une institution qu’elles contribuent délibérément à créer et à maintenir, via notamment le principe du « mandat institutionnel » qui leur permet de dépêcher pour le travail commissionnaliste un nombre limité de secrétaires appelés à siéger, parfois, dans plusieurs dizaines de commissions. Comme le mentionnent en effet Germann et Frutiger (1978 : 107),

« les processus de bargaining et de log-rolling exigent que les concessions faites dans une commission puissent être compensées par des avantages obtenus dans une autre, ce qui n’est possible qu’à la condition qu’il existe un nombre relativement restreint d’acteurs principaux »

Si nous ne pouvons pas expressément exclure le fait que le recours à un nombre restreint de secrétaires soit le résultat de moyens limité de la part de certaines associations marginales, les principales associations faîtières, qui sont également celles qui se trouvent au centre des logiques de cumul de mandats, disposent quant à elles de moyens logistiques et financiers souvent très importants. La concentration de mandats entre les mains des secrétaires de ces associations découle donc moins d’un manque de moyens que d’un choix stratégique : les principales associations faîtières orchestrent ainsi, en 1977, une fronde contre une directive fédérale qui entend augmenter la diversité des membres des commissions en limitant à 16 ans au maximum les possibilités de cumul de mandats dans le temps. Présentée comme une mesure de lutte contre la logique de représentation des CEP et contre « l’oligarchie des associations d’intérêts » (Tages Anzeiger, 28 juillet 1977), cette directive ne survit toutefois pas, sous cette forme, à la levée de bouclier des associations d’intérêts. Des mesures d’exception leur sont en effet accordées dans une nouvelle mouture de 1983 (Arbeitgeber-Zeitung, 4 août 1977 ; Rüegg 1992 : 105). Cet exemple indique que les principales associations d’intérêts ne se contentent pas simplement d’établir des réseaux de coordination à des moments précis, mais s’emploient également à les maintenir dans la longue durée, via l’établissement de rapports de confiance durables entre leurs membres. Ces mécanismes sont des caractéristiques centrales des économies de marché coordonnées (Hall et Soskice 2001) dont la Suisse fait partie à cette période.

La période qui s’échelonne entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et les années 1970 représente ainsi l’âge d’or de la logique de représentation et de concordance du système commissionnaliste. S’établissent en effet au sein des CEP des compromis politiques précoces entre les principales associations d’intérêts, que le Parlement n’est par la suite que difficilement en mesure de changer. Relevons cependant que cette logique ne s’applique pas de manière indifférenciée à l’ensemble du système, puisque ce sont essentiellement les politiques économiques et sociales qui sont concernées par ce marchandage (les politiques surlignées en jaune dans l’annexe 4). à l’inverse, des thématiques comme les affaires militaires ou culturelles restent, elles, peu concernées par ce phénomène.

 

La coordination à un tournant entre croissance et crise (1980)

Comme l’indique l’annexe 4, la structure du réseau, articulée autour des politiques de compensation, se maintient largement entre 1957 et 1980, 80 % des couples recensés au sein de la matrice étant liés entre eux à cette date, et le résultat d'ensemble étant significatif. Mentionnons à nouveau, parmi les commissions les plus liées (cf. annexe 5), la Commission consultative de la politique commerciale (35 membres au total), qui partage 8 membres avec la Commission d’experts pour le tarif douanier et la limitation des importations, ainsi que 6 membres avec la Commission pour la lutte contre les crises et la création d’emplois. Si la situation de 1980 est à ce titre très similaire à celle de 1957, deux évolutions significatives méritent toutefois d’être mentionnées : la montée en grade de la politique du travail, qui augmente sa densité exogamique avec l’ensemble des autres politiques économiques et sociales ; et la relégation de la politique agricole, qui connaît l’évolution inverse. L’augmentation de la densité exogamique de la politique du travail est particulièrement intéressante lorsque l’on connaît la nature essentiellement sectorielle de la régulation de ce marché en Suisse. Par ailleurs, cette régulation n’a jamais été partie prenante d’une coordination des politiques macroéconomiques[11] (monétaire, financière et salariale), du moins en termes comparables à ce qui se fait dans d’autres pays, comme l’Autriche ou la Suède (cf. Mach 2006b : 236 ; 256; Scharpf 1991). Nos résultats tendent à indiquer que, contrairement à ce qui est communément considéré, le niveau législatif n’est pas dépourvu de coordination. Cependant, il s’agit là essentiellement d’une réalité conjoncturelle. Les décennies de croissance de l’après-guerre sont en effet marquées par un élargissement important des réglementations fédérales du marché du travail : mentionnons notamment la loi fédérale permettant d’étendre le champ d’application des CCT de 1957, la révision de la loi fédérale sur le travail de 1964, ou la révision du Code des obligations de 1971 (Mach 2006b : 259). Or, ces réglementations fédérales ont, selon toute vraisemblance, été élaborées via des mécanismes de log-rolling avec d’autres thématiques (cf. annexe 4). Par ailleurs, la crise économique des années 1970 semble avoir renforcé la dynamique d’interdépendance de la politique du travail avec les politiques économiques et commerciales, comme l’indique le tableau récapitulatif de l’annexe 2. En parallèle, la thématique agricole recule au sein de notre table de densité, et les associations de paysans sont marginalisées dans la liste des acteurs les plus exogames (annexe 3). Nous avons là affaire aux débuts d’une phase d’affaiblissement important de cette thématique et de ces acteurs au sein des mécanismes de coordination du monde commissionnaliste.

2.2. Les CEP face à l’internationalisation et à la crise du néocorporatisme : un rôle largement redéfini

Comme nous l’avons vu, le réseau des commissions, entre 1980 et 2000, change profondément de morphologie. L’annexe 4, qui présente des résultats significatifs, indique que cette évolution est également perceptible au niveau des liens exogamiques, puisque seuls 51 % de l’ensemble des couples recensés au sein de la table de densité sont connectés. Nous assistons ainsi à une rupture de liens entre plusieurs politiques (cf. annexe 2, surlignés en jaune). Par ailleurs, les couples de commissions les plus liés en termes exogamiques ne partagent, en 2000, qu’au maximum 3 membres, contre 9 vingt ans plus tôt (annexe 5). Cela contribue à remettre en cause les possibilités de log-rolling, puisqu’un mécanisme de marchandage et d’échange de faveur entre deux commissions ne peut faire l’impasse sur des questions de formation de majorités. Or, si 5, 7 ou 9 membres en commun, sur un total d’une vingtaine de membres, sont en mesure de coordonner leur position et d’élaborer une position majoritaire, il n’en est pas de même lorsque ce marchandage s’effectue uniquement entre 2 ou 3 membres.

Ce développement renvoie à une série de changements structurels de fond, sur le plan interne et externe, auxquels le système commissionnaliste fait face depuis les années 1980. Sur le plan externe, le processus d’internationalisation dite « directe » des processus de décision, à savoir l’impact des traités internationaux dans la production de normes au niveau national, tend en effet à restreindre les possibilités de consultation/coordination propres à la phase pré-parlementaire et contribue à rendre le système commissionnaliste moins décisif (Sciarini et al 2002). Les commissions extra-parlementaires n'ont en effet guère participé à la préparation, en 1990-1992, du programme Eurolex, lié aux négociations sur l'Espace économique européen, le rythme très serré des travaux imposés par la Communauté européenne étant jugé trop rapide pour s’inscrire dans le cadre du travail, relativement long, d’une commission (Germann 1996 : 99-100). Cette inadéquation progressive entre ces nouvelles exigences politiques et les spécificités du système commissionnaliste débouche notamment sur une refonte du nombre de commissions et sur la suppression de plusieurs d’entre elles. Nous assistons par ailleurs depuis 2000 à une accélération de ce phénomène, avec une dynamique de remise en cause du caractère de milice et de la logique de représentation des CEP (cf. Rebmann et Mach 2012).

Sur le plan interne, relevons le processus de réforme du système commissionnaliste qui se développe dès les années 1970 et qui se poursuit durant les 30 années suivantes. Plusieurs mesures invitent ainsi les instances chargées de nommer les membres des CEP à améliorer la représentativité de ces dernières et à faire primer l’expertise scientifique sur la défense d’intérêts. C’est le cas de l’ordonnance sur les commissions extra-parlementaires de 1996, qui limite à 12 ans les possibilités de cumul de mandats dans le temps et supprime les mesures d’exception accordées aux associations d’intérêts 13 ans plus tôt (Rebmann et Mach 2012). Par ailleurs, dans le sillage de la remise en cause des mécanismes néocorporatistes à l’échelle internationale (cf. Streeck 2006), nous assistons également à une reconfiguration des rapports de force et des stratégies d’alliance entre les différents intérêts sociaux et économiques organisés. Celle-ci fait en grande partie suite à l’émergence, dès les années 1990, d’une nouvelle génération d’entrepreneurs formés à des principes de management de type anglo-saxon et qui n’accordent la plupart du temps qu’une très faible importance aux principes de conciliation et de coordination. Ces acteurs tendent par ailleurs à délaisser les instances de représentation nationale au profit de lieux de décisions européens ou internationaux (David et al. 2009b). Cette évolution contribue à fragiliser les associations d’intérêts « traditionnelles », qui voient leur rôle de régulateur social être remis en cause du fait du retrait d’une partie non négligeable de leurs membres et de la création d’un certain nombre d’associations « dissidentes » qui ne désirent plus jouer le jeu de la concordance (David et al. 2009a). Les syndicats, eux, redéfinissent largement leur position en adoptant une attitude résolument plus agressive depuis les années 1990, en se définissant davantage comme une force d’opposition et en réhabilitant la grève parmi leur répertoire d’actions (Oesch 2007 : 341ss.). La conjonction de ces différents éléments contribue à mettre fin à l’âge d’or des CEP comme expression institutionnelle du néocorporatisme et de la concordance (Rüegg 1992 : 110 ; Sägesser 2006).

Nos résultats indiquent que ces changements affectent particulièrement la politique agricole, dont les liens avec les autres thématiques économiques et sociales baissent de manière importante (cf. annexe 2). Pour la première fois depuis la coupe chronologique de 1937, celle-ci est en effet isolée de la politique du travail ou encore de la politique financière, ce qui marque la perte d’importance de cette thématique au sein des politiques de compensation. En effet, dans le sillage des négociations de l’Uruguay Round, lançant la libéralisation progressive du commerce des produits agricoles, les intérêts économiques helvétiques les plus internationalisés et une partie de la haute fonction publique remettent en cause des mécanismes protectionnistes au bénéfice des intérêts paysans, via notamment une abolition des subventions à l'exportation et des prix garantis en faveur des produits agricoles (Sciarini et von Holzen 1995 : 63 ; Baumann et Moser 2011).

Cette remise en cause des logiques de coordination au profit d’un rapport plus conflictuel trouve sa principale expression institutionnelle au sein des CEP : en effet, une partie importante des intérêts économiques ou syndicaux abandonne sa représentation au sein du système commissionnaliste, ou se retire du moins des logiques de pluriexpertise. Le cumul de mandats, qui formait jusque-là la colonne vertébrale d’une coordination transversale, représente dès lors, pour les principales associations d’intérêts, davantage une contrainte – matérielle et financière – qu’une ressource qu’il s’agit de maintenir ou de développer.

Si, comme nous venons de le voir, le réseau intercommissions perd largement de sa substance, il convient toutefois de mentionner qu’un noyau de liens exogamiques perdure en 2000. En effet, les associations d’intérêts se maintiennent largement parmi les acteurs les plus exogamiques du réseau (annexe 3) et renforcent par ailleurs mutuellement leurs liens (nos résultats de densité exogamique sont significatifs). Qui plus est, comme l’indique le tableau récapitulatif (annexe 2), les trois densités exogamiques les plus élevées renvoient exclusivement à des liens entre les associations d’intérêts. Cette évolution est également confirmée par les indices de centralité individuels, puisque 9 des 10 personnes les plus centrales en terme de degré et d'intermédiarité sont issues de ces associations (annexe 6).

Comment expliquer cette situation alors que, comme nous venons de le voir, une partie importante de la communauté économique se détache, ou redéfinit du moins sa présence au sein des CEP ? Cette réalité s’explique largement par la dynamique de réorganisation, de coopération croissante, voire de fusion qui prend forme dès la fin des années 1990 entre plusieurs associations « traditionnelles »[12] pour faire face aux difficultés internes et externes précédemment évoquées (cf. David et al. 2009a, Kriesi 2006 ou Oesch 2007). Un noyau de liens persiste donc entre ces associations « traditionnelles » au sein des CEP, contribuant ainsi à compenser cette évolution et à limiter la désagrégation des liens exogamiques.

Comme l’indiquent les annexes 2 et 4, la persistance de ces liens intersectoriels s’opère essentiellement au niveau de la politique douanière, qui est, au centre des préoccupations politiques à la fin des années 1990, avec les négociations relatives aux accords de l’Organisation mondiale du commerce et aux accords bilatéraux de 1999 avec l’Union européenne (UE). Dans ce deuxième cas, les négociations portent sur une ouverture réciproque des marchés au sujet de sept domaines particuliers : la libre circulation des personnes, les obstacles techniques au commerce, les marchés publics, l'agriculture, le transport aérien et les transports terrestres, ainsi qu'une participation de la Suisse aux programmes de recherche de l'UE. Il n’est dès lors pas surprenant que les densités exogamiques les plus élevées de notre table (annexe 2 et annexe 4) concernent précisément les relations que la politique douanière entretient avec ces thématiques. Malgré sa remise en cause, le système commissionnaliste reste donc, en partie du moins, le lieu dans lequel s’opère la coordination de ces différentes thématiques. Dans le cadre de ce processus, la libre circulation des personnes représente le principal point d’achoppement de l’ensemble du projet, mettant notamment aux prises les syndicats avec les associations économiques. Alors que ces dernières considèrent l’ensemble des accords bilatéraux comme une priorité de tout premier ordre, dans le but notamment de stabiliser les relations douanières et commerciales de la Suisse avec l’UE, le référendum lancé par les cercles conservateurs antieuropéens les oblige à rechercher activement l’appui du monde du travail. Les représentants syndicaux conditionnent toutefois leur soutien à la mise en place de mesures de re-régulation du marché du travail, via notamment la lutte conte la sous-enchère salariale et via le renforcement politique des conventions collectives de travail (cf. Oesch 2011, Afonso 2010). Cet exemple indique que, quand bien même les dynamiques de conciliation et de compensation tendent à s’étioler au sein des CEP entre 1980 et 2000, ce processus reste toutefois inachevé : la désagrégation des liens exogamiques s’opère essentiellement depuis la marge du réseau, puisqu’un noyau de coordination et de conciliation persiste, sur une base moins large et selon une moindre intensité toutefois, au sujet des politiques de compensation domestique, articulé autour des principales associations du travail et du capital.

3. Conclusion

Les liens qui s’établissent, grâce à un mécanisme de cumul de mandats, entre les commissions extra-parlementaires engagées sur des thématiques différentes (liens que nous avons appelés exogamiques) sont à l’origine de logiques de conciliation et de compensation entre les principales associations d’intérêts, via des mécanismes de log-rolling et de bargaining. Ce réseau, qui apparaît comme la base structurelle d’un fonctionnement de type néocorporatiste, a connu une densification continue entre 1910 et 1980, avec une accélération marquée à partir de la Seconde Guerre mondiale. Si la nature néocorporatiste des CEP a souvent été pressentie jusque-là, elle n’avait en revanche jamais été démontrée à l’échelle de l’ensemble du système.

Il convient néanmoins de constater que cette logique néocorporatiste de compensation ne s’établit pas de manière uniforme sur l’ensemble des commissions : elle reste en effet essentiellement développée par les principales associations d’intérêts, sur les thématiques économiques et sociales et notamment sur les problématiques relatives au marché domestique et d’exportation. À l’inverse, les milieux universitaires ou scientifiques sont presque totalement exclus de ces dynamiques néocorporatistes, au même titre que la politique culturelle, qui connaît un des plus bas niveaux de densité exogamique pour nos cinq dates.

Entre 1980 et 2000, la densité du réseau des commissions extra-parlementaires connaît toutefois un déclin marqué, débouchant notamment sur la fin de la plupart des liaisons exogamiques entre différentes politiques. Cette évolution indique une remise en cause importante de la structure de coordination et de compensation qui caractérisait le système commissionnaliste depuis la fin des années 1930. Trois facteurs en sont principalement à l’origine : le processus de réforme du système commissionnaliste qui commence dans les années 1970, et qui vise notamment à limiter sa logique de représentation au profit de sa logique d’expertise, le processus d’internationalisation qui touche la Suisse depuis les années 1980, qui réduit l’importance de la phase pré-parlementaire officielle, et finalement un changement de préférences et de répertoire d’action d’un certain nombre d’associations économiques et sociales, qui se détournent progressivement des mécanismes de coopération transversale caractéristiques des régimes néocorporatistes. Toutefois, malgré cette évolution, un noyau exogamique persiste sur une base plus limitée entre les associations d’intérêts « traditionnelles » au sujet de certaines politiques économiques et sociales.

La similitude de l’évolution présentée dans cette contribution avec celle du réseau interentreprises telle que décrite par Schnyder et al (2005) indique que les changements à l’œuvre au sein de la structure commissionnaliste sont sans doute partie prenante d’un changement plus global du mode d’organisation du capitalisme suisse au cours des 20 dernières années du 20e siècle. En effet, si la Suisse peut être clairement rattachée, jusqu’aux années 1980-1990, à la typologie des économies de marché dites coordonnées ou néocorporatiste (Katzenstein 1985 ; Schröter 1999 ; Hall et Soskice 2001), la dernière décennie du 20e siècle se caractérise par une profonde remise en cause de ce principe, avec notamment un vaste programme de dérégulation et de libéralisation de l’économie suisse (Mach 2006b). La présente étude indique que loin de rester confinée à la sphère économique, cette remise en cause prend également forme au niveau de l’organisation étatique et des relations institutionnelles entre l’État et les groupes d’intérêts.

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Annexe [pdf]


[1] Assistant-diplômé à l’Institut d’histoire économique et sociale de l’Université de Lausanne. Contact: Frederic.Rebmann@unil.ch. L’auteur tient à remercier Claire Lemercier, Thomas David, André Mach et deux commentateurs anonymes pour leurs remarques avisées sur de précédentes versions de cet article.

[2] Au sujet de la réforme du Parlement qui est menée en parallèle, voir Pilotti et al. (2010).

[3] Le référendum facultatif populaire est une procédure constitutionnelle permettant aux citoyens de réclamer qu’une loi votée par le Parlement soit soumise à votation populaire moyennant la récolte de 50 000 signatures. Dans les faits, cet outil, qui requiert la mobilisation de moyens financiers et organisationnels importants, est surtout mis en œuvre par les principales associations d’intérêts ou les partis politiques. Comme le mentionne Degen (2010), « Le référendum est souvent considéré comme un frein, qui contraint au compromis et rend impossible une politique de majorité. Pour l'éviter, il faut que toutes les forces susceptibles de le lancer avec succès soient le plus possible intégrées dans les processus décisionnels […]. La phase préparlementaire du travail législatif devint ainsi prépondérante ».

[4] Une analyse de la dynamique commissionnaliste au 20e siècle portant sur cinq coupes chronologiques relève d’une forme d’arbitraire. Toutefois, ces cinq années séparées par un intervalle de vingt ans permettent de prendre en considération, en termes de périodisation, les grandes étapes économiques, sociales et politiques de l’histoire suisse : une date avant la Première Guerre mondiale, une durant l’entre-deux-guerres, une durant la période de croissance des Trente Glorieuses, une à la sortie de cette période de croissance et une au tournant du 21e siècle. Relevons par ailleurs que la présente étude s’inscrit dans le cadre du projet de recherche intitulé « les élites suisses au 20e siècle. Un processus de différenciation inachevé ? » (cf. www.unil.ch/iepi/page54315.html). Le choix relatif à ces cinq dates dépend donc également d’axes de recherches plus généraux qui ont été définis dans ce projet.

[5] Les Départements fédéraux représentent les ministères du gouvernement. Ils sont au nombre de sept et sont marqués par leur grande stabilité, puisque leur nombre n’a pas évolué depuis la création de l’État fédéral en 1848.

[6] Nous avons utilisé les dénominations les plus courantes pour désigner les différents Départements. Il va toutefois sans dire que le nom des Départements ainsi que leurs attributions ont pu changer entre 1910 et 2000.

Plusieurs sources nous ont permis de recueillir les données relatives à notre analyse : les annuaires fédéraux, qui recensent une partie importante des commissions extra-parlementaires, sont la principale. Toutefois, cette source est très incomplète pour la période entre les années 1940 et 1980 (Arnold 1969). Nous avons ainsi dû recourir à un important travail de dépouillement des fonds d’archives relatifs aux commissions extra-parlementaires au sein des Archives fédérales suisses pour compléter ces sources. Nous pouvons considérer nos données comme étant exhaustives pour nos cinq dates.

[7] Tout d’abord rattaché au Département de l’économie, l’Office fédéral des assurances sociales, qui chapeaute depuis 1913 toutes les commissions chargées de cette thématique, a été transféré au Département de l’intérieur en 1954 (cf. Annuaire fédéral, différentes années).

[8] Cf. Windolf (2005) pour une analyse similaire d'un réseau d'entreprises. Nous avons par ailleurs soumis ces résultats à un test statistique de variance (ANOVA) permettant d’apprécier leur significativité. Ces tests donnent en effet la possibilité d’évaluer dans quelle mesure nos résultats diffèrent d’une distribution au hasard (sur Ucinet, fonction « structural blockmodel » pour les logiques exogamiques et fonction « variable homophily » pour les logiques endogamiques). Le nombre de permutations effectuées pour ces tests est de 5000 (cf. Hanneman et Riddle 2005).

[9] Les tables de densité se lisent de la manière suivante : la densité interne à chaque secteur (liens endogamiques) est donnée au sein de la diagonale, alors que la densité intersectorielle (liens exogamiques) est donnée en dessus et en dessous de la diagonale. Afin de hiérarchiser ces résultats et de faire émerger les secteurs les plus fortement (en haut à gauche) ou les plus faiblement (en bas à droite) exogamiques, les lignes et les colonnes de la matrice ont été permutées sur la base de la moyenne de densité intersectorielle.

[10] Coalition créée au tournant du siècle pour faire face à la montée du mouvement ouvrier et fondée sur l’intégration des milieux paysans aux élites bourgeoises plus traditionnelles. Cette coalition regroupe communément l’Union suisse du commerce et de l’industrie (USCI ou Vorort), l’Union centrale des associations patronales suisses (UCAPS ou UPS), l’Union suisse des arts et métiers (USAM) et l’Union suisse des paysans (USP). Au sujet de la genèse de cette alliance, voir Baumann (1993) et Humair (2004 : 656-734).

[11] Les réglementations du marché du travail sont en effet codifiées à plusieurs niveaux hiérarchiques : dans certaines lois fédérales, dans les conventions collectives de travail (CCT) ou dans les règlements d’entreprises. L’essentiel des normes est toutefois élaboré dans le cadre des CCT.

[12] Mentionnons notamment la fusion, en 2000, de l’Union suisse du commerce et de l’industrie (USCI) et de la Société pour le développement de l'économie suisse (SDES), qui donne naissance à Economiesuisse ou encore, parmi les intérêts du travail, le processus de fusion qui s’engage dès 1998 entre plusieurs syndicats de branches, dont le nombre passe de 20 à 5 en quelques années (cf. Oesch 2007 : 360ss.).