REDES- Revista hispana para el análisis de redes sociales
Vol. 21 #9, Diciembre 2011
http://revista-redes.rediris.es

Les entreprises familiales dans le réseau interfirmes : le cas de l’industrie suisse des machines et métaux au 20e siècle

Stéphanie Ginalski[1]–Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique[2], Suisse.

Résumé

Cette contribution a pour but d’intégrer à l’analyse des interconnexions entre conseils d’administration (interlocks), méthode fréquemment employée pour étudier les liens entre les firmes, un angle d’approche centré sur la question des entreprises familiales, généralement peu prise en compte dans ce type d’études. Pour ce faire, cette recherche se focalise sur 22 grandes firmes de l’industrie suisse des machines, de l’électrotechnique et de la métallurgie (MEM), dont les membres des conseils d’administration et les directeurs généraux ont été recensés pour 5 dates couvrant le siècle (1910, 1937, 1957, 1980 et 2000). L’analyse de réseau vise à retracer l’évolution des liens entretenus par ces 22 sociétés au sein des 110 plus grandes firmes helvétiques. Nos résultats montrent que jusqu’aux années 1980, les interlocks deviennent de plus en plus denses et représentent un mécanisme de coordination pour les élites économiques, les entreprises familiales et les dirigeants familiaux se trouvant, avec les banques, au cœur de ce système. Les deux dernières décennies du siècle sont cependant marquées par l’érosion relative du capitalisme familial, le retrait du secteur bancaire dans le réseau interfirmes et le déclin significatif des interlocks.

Mots-clés : réseau interentreprises, capitalisme familial, machines, métallurgie, Suisse, 20e siècle.

Resumen

Esta contribución tiene como objetivo integrar el análisis de las interconexiones entre los consejos de administración, un método frecuentemente utilizado para estudiar los vínculos entre las empresas, para en este caso centrarnos en el tema de las empresas familiares, un ángulo generalmente no tenido en cuenta en estos estudios. Para ello, esta investigación se centra en 22 grandes empresas de la industria suiza de la maquinaria, la ingeniería eléctrica y la metalurgia (MEM), los miembros de los Consejos de Administración y gerentes generales han sido identificados en cinco momentos que cubren el siglo (1910, 1937, 1957, 1980 y 2000). El análisis de redes consiste en seguir la evolución de los vínculos mantenidos por estas 22 empresas del conjunto de las 110 empresas más grandes de Suiza. Nuestros resultados muestran que hasta la década de 1980, los interlocks son cada vez más densos y representan un mecanismo de coordinación de las élites económicas, las empresas familiares y las familias que son líderes, con los bancos, del corazón de este sistema. Las dos últimas décadas del siglo, sin embargo, se caracterizan por la erosión relativa del capitalismo familiar, la retirada del sector bancario en la red entre empresas y la disminución significativa de los interlocks.

Palabras clave : redes empresariales, capitalismo familiar, maquinaria, metalurgia, Suiza, Siglo XX.

Introduction

L’analyse des interconnexions entre conseils d’administration (interlocks), formées par les membres communs entre les firmes, est une méthode fréquemment employée pour étudier les relations entre les grandes entreprises. Dans une contribution faisant la synthèse sur la question, Mizruchi montre de manière convaincante que, « although they are not the answer to all questions about interorganizational relations, interlocks remain a powerful indicator of network ties between firms » (1996 : 272). Dans cette perspective, de nombreuses recherches se sont intéressées, par exemple, aux liens entre les entreprises industrielles et les banques ; d’autres ont encore mis en évidence le rôle des interlocks dans le processus de cartellisation. Cette contribution se propose, pour sa part, d’aborder la question des réseaux d’interconnexions entre entreprises sous l’angle du capitalisme familial. En effet, plusieurs recherches récentes ont mis en évidence la forte survivance du capitalisme familial, historiquement lié à la première révolution industrielle, aux capitalismes managérial et financier qui lui ont succédé dans la plupart des pays dits développés (voir notamment Colli 2003, Daumas 2003, James 2006 et Colli & Rose 2008). Or, cet aspect a généralement été peu pris en compte dans les recherches ayant recours à l’analyse de réseau pour étudier les relations entre les entreprises et, dans certains cas, ces réseaux ont même été appréhendés en tant que structures ayant remplacé les liens familiaux : « As a means to coordinate business transactions, the corporate network spread throughout the entrepreneurial world, thereby supplanting family ties » (Windolf 2009 : 443). A l’inverse, « Les études impliquant l’histoire de la famille – que la famille en soit l’objet ou que les relations familiales et les alliances y jouent un rôle explicatif important – ne font que rarement une place à l’utilisation de l’analyse de réseau […] » (Lemercier 2005 : 23). L’analyse de réseaux reste en particulier une méthode peu employée dans les études portant sur le capitalisme familial, qui existent le plus souvent sous la forme de monographies d’entreprises. Pourtant, elle peut s’avérer un outil très utile pour s’extraire de l’étude de cas, dont relève typiquement la monographie d’entreprise, et tenter une interprétation plus large de l’évolution du capitalisme familial. En effet, Colli a récemment rappelé, dans un article intitulé « Business History in Family Business Studies », « the need of moving from the mud of (even if absolutely necessary) individual cases to generalizations » (2011: 14 [1]). Etudier les firmes familiales par le biais d’une analyse de réseau permet en outre de mettre en évidence leur intégration dans un système capitaliste plus large, plutôt que de les observer comme un objet d’étude à part. Dans cette perspective, le cas suisse présente un intérêt particulier. D’une part, on observe une forte persistance du capitalisme familial à la fin du 20e siècle en comparaison d’autres pays occidentaux, y compris dans les grandes sociétés cotées en bourse (La Porta et al. 1999, Ernst & Young 2005) ; le sujet reste néanmoins relativement peu étudié en ce qui concerne la période contemporaine, et la plupart des recherches existent sous la forme de monographies portant sur un individu, une famille ou une entreprise. D’autre part, le pays se caractérise par un « capitalisme coopératif » (Schröter 1999 : 192) pendant la majeure partie du siècle, et fait ainsi clairement partie, au même titre que l’Allemagne par exemple, des économies de marché dites coordonnées caractérisées par des mécanismes de coopération entre acteurs économiques et politiques, par opposition aux économies de marché dites libérales qui fonctionnent essentiellement sur un principe concurrentiel (Hall & Soskice 2001). Les réseaux d’interconnexions entre entreprises peuvent, dans cette perspective, être perçus comme l’une de ces formes de régulation collective, et les liens entre les firmes sont par conséquent généralement plus denses dans une économie de marché coordonnée que dans une économie de marché libérale (Höpner et Krempel 2003, Windolf et Nollert 2001). Plusieurs études ont en effet montré, pour le cas helvétique, l’existence d’un important réseau d’interconnexions entre les grandes entreprises du pays (Schreiner 1984, Rusterholz 1985, Nollert 1998, Schnyder et al. 2005 ; pour le secteur de la métallurgie, voir Widmer 2009). Jusqu’à présent, ces contributions se sont néanmoins essentiellement focalisées sur le rôle et la place des banques, et la question des familles, ou des entreprises familiales, n’a été que rarement évoquée.

Au vu de l’importance du capitalisme familial et des réseaux d’interconnexions en Suisse, il apparaît dès lors pertinent de s’interroger sur la position des firmes familiales et des dirigeants familiaux au sein de ce réseau interentreprises. Dans cette perspective, cette contribution se focalise sur les grandes firmes du secteur des machines, de l’électrotechnique et de la métallurgie (ci-après MEM), qui représente dès l’entre-deux-guerres la principale branche industrielle du pays en termes d’exportations et de main-d’œuvre employée (Billeter 1985) : il constitue ainsi, dans une perspective historique, le secteur industriel le plus important pour le 20e siècle. Etudier les dirigeants de la branche MEM permet en conséquence d’analyser le « sommet » de l’élite économique suisse. Nous partons de l’hypothèse selon laquelle cette élite dirigeante représente un groupe économique fortement organisé, et que cette organisation passe notamment par un réseau d’interconnexions entre les conseils d’administration des entreprises (Widmer 2009), et nous ouvrons une nouvelle piste de recherche en mettant en évidence la place des entreprises familiales au sein de ce système coordonné, et son évolution au cours du 20e siècle. Pour ce faire, cette recherche se focalise sur le sous-réseau constitué par les liens entretenus par 22 grandes sociétés MEM au sein des 110 plus grandes firmes suisses. La première partie de l’analyse montre que ce sous-réseau repose fortement sur les firmes familiales et sur les dirigeants familiaux jusqu’aux années 1980, la fin du siècle étant marquée à la fois par l’érosion relative du capitalisme familial, et par le déclin significatif des interlocks. La seconde partie de la recherche se concentre quant à elle sur les liens multiples entre les firmes, afin d’analyser de manière plus qualitative les mécanismes de coopération au sein du secteur MEM par le biais des interlocks. Elle met en évidence les fortes interconnexions entre les firmes MEM et le secteur bancaire dès le début du siècle et jusqu’aux années 1980, néanmoins progressivement supplantées par l’important développement de liens intrasectoriels qui viennent ainsi confirmer l’hypothèse d’une coordination patronale ancrée au moins en partie dans les réseaux interfirmes. Le maintient relatif, en outre, des liens intrasectoriels à la fin du siècle nous permet de relativiser le déclin plus général des interlocks au cours de cette période.

Réseau d’entreprises et capitalisme familial en Suisse

Réseaux et pouvoir économique

L’analyse des réseaux d’interconnexion entre conseils d’administration est une méthode couramment employée pour étudier les liens entre entreprises (pour une synthèse, voir Mizruchi 1996). On peut emprunter à Scott la définition de base suivante du lien d’interconnexion : « An interlock is simply the social relation that is created between two enterprises when one person is a member of the board of directors in each enterprise. Such a person is termed a multiple director » (Scott 1985 : 1). L’enjeu consiste dès lors à interpréter ce lien et surtout, à lui donner un sens en termes de pouvoir économique. Deux modèles en particulier, parmi ceux proposés par l’auteur, présentent un intérêt pour notre sujet : le « co-ordination and control model » et le « class-cohesion model » (Scott 1985 : 6ff). Le premier, que l’on peut traduire par « modèle de coordination et de contrôle », se concentre sur les liens entre entreprises, et connaît deux variantes : le contrôle par les banques, et le contrôle par les familles. Le modèle de contrôle par les banques signifie que ces dernières représentent les centres de décision au sein du réseau ; il s’applique particulièrement bien aux pays caractérisés par une économie coordonnée, dans lesquels les banques sont traditionnellement fortement impliquées dans les entreprises industrielles par le biais de l’activité de crédit. Dans ces pays, les banques occupent ainsi généralement une place centrale dans le réseau interfirmes (Stokman & Wasseur 1985). Dans le modèle de contrôle familial, « the central positions in the network would be taken by family investment or holding companies, each of which would lie at the centre of a clique or cluster. » Ce modèle postule, en outre, que les liens entre les directeurs multiples sont fortement articulés autour des familles, déconnectées les unes des autres (Scott 1985 : 9). Le second modèle, que l’on peut traduire par « modèle de cohésion de classe », « holds that directors are recruited from an upper class and that the patterns of interlocks express and contribute to the cohesion of this class. […] Interlocks simply map the cohesion of the capitalist class » (Scott 1985 : 11). Dans cette perspective, la cohésion du réseau interentreprises illustre et renforce celle de l’élite dirigeante, et les acteurs qui cumulent plusieurs mandats dans différents conseils d’administration, les big linkers, détiennent un pouvoir accru au sein de la communauté économique. L’influence de ce cercle restreint d’élite, défini par Mills (1969) comme l’« élite du pouvoir », ou comme l’« inner circle » par Useem (1984), ne se limite en outre pas au monde économique, mais s’étend également à la sphère politique.

La place centrale des banques dans le réseau des entreprises suisses

Quelques études ont déjà mis en évidence les principales caractéristiques du réseau d’interconnexions entre les conseils d’administration des grandes firmes suisses. La première recherche ayant eu recours à une analyse systématique des liens entre conseils d’administration est celle de Schreiner (1984) portant sur 36 grandes entreprises issues des secteurs bancaire, assurantiel et industriel pour l’année 1980. Cette contribution a mis en évidence d’une part la forte imbrication existant entre les sociétés financières et les entreprises industrielles, et d’autre part la position centrale occupée par les banques et les compagnies d’assurance dans le réseau. L’auteur relativise néanmoins l’hypothèse d’un capitalisme dominé par les banques, en montrant que ce réseau constitue « une structure centralisée mais non exclusive qui serait une preuve de la capacité des grandes sociétés suisses à établir un mode de prise de décisions stratégique coordonnée, excluant au maximum les conflits entre les différentes composantes du réseau » (91). Il conclut en outre: « Il existe (…) certaines présomptions qui nous font plutôt pencher vers un mode de structuration du capital financier helvétique sous une forme oligarchique à cause de l’influence de la propriété familiale dans la plupart des grandes sociétés » (Schreiner 1984 : 93). Le constat reste cependant à l’état de « présomptions », puisque la question de la propriété familiale est plus évoquée ponctuellement qu’intégrée de manière systématique dans l’analyse des liens d’interconnexion entre les entreprises. Il en va de même de la question du « jeu des solidarités familiales » mentionné par l’auteur et faisant référence, de manière un peu confuse, à la fois à la présence de la dynastie fondatrice dans l’entreprise familiale, et à son rayonnement dans d’autres sociétés (91). Malgré ces limites, cette étude a le mérite d’ouvrir deux pistes de recherches intéressantes : celle des liens banque-industrie, et celle de la place du capitalisme familial. C’est surtout la première dimension qui jusqu’à présent a fait l’objet des recherches ultérieures. Ainsi, l’étude de Rusterholz (1985), basée sur les 250 plus grandes entreprises pour l’année 1976, montre que le réseau possède à cette époque une structure assez dense et fortement centralisée autour des trois plus grandes banques du pays – la Société des Banques Suisses (SBS), l’Union des Banques Suisses (UBS) et le Crédit Suisse (CS) – et de la Banque Nationale Suisse (BNS). Dans son analyse portant sur les 300 plus grandes entreprises helvétiques pour l’année 1995, Nollert confirme la place centrale des banques dans le réseau : « Hence, the network structure has changed little over two decades. […] the findings largely support the bank hegemony model » (Nollert 1998 : 45). Il met en outre en évidence l’existence d’un réseau de big linkers fortement cohésif, confirmant, pour le cas suisse, l’existence d’un « inner circle » (Nollert 1998 : 49). Quant à l’étude de Schnyder et al. (2005), elle intègre pour la première fois une perspective diachronique à l’analyse du réseau interentreprises, en s’intéressant à l’évolution des liens entre les 110 plus grandes firmes helvétiques au cours du 20e siècle. Les auteurs distinguent ainsi trois phases : l’émergence et la formation des liens pendant le premier tiers du siècle, leur consolidation jusqu’aux années 1980, et leur fort déclin durant les deux dernières décennies. Si leurs résultats confirment le rôle central joué par les banques dans ce réseau pendant la majeure partie du siècle, les auteurs relativisent néanmoins l’hypothèse d’un contrôle formel des banques sur les entreprises (bank control model), en démontrant que les liens sont en fait souvent de nature réciproque : si les banquiers siègent dans les conseils des grandes industries, les industriels siègent également dans les conseils des banques auxquelles celles-ci sont liées (Schnyder et al. 2005 : 53 ; sur ce point, voir également Nollert 1998 : 53-54). En outre, leur étude fait apparaître une rupture majeure au cours de la dernière décennie, liée au désengagement progressif des banques par rapport au secteur industriel, qui explique pour une grande part le fort déclin des liens au sein du réseau. Enfin, Widmer (2009) a montré dans sa thèse, portant sur la coordination des dirigeants MEM pour la période 1970-2008, que les dirigeants de ce secteur représentent un groupe économique fortement organisé par le biais d’organisations patronales d’une part, et à travers un réseau dense d’interconnexions entre les conseils d’administration des principales entreprises d’autre part, bien qu’il constate également un déclin des liens à la fin de la période considérée.

La forte persistance du capitalisme familial en Suisse

Jusqu’à présent, les études sur les grandes entreprises suisses ayant eu recours à une analyse de réseaux se sont donc principalement focalisées sur le rôle et la place des banques, et la question des entreprises familiales a été laissée de côté. Au vu de la forte persistance du capitalisme familial en Suisse pendant le 20e siècle, le but de cette contribution est d’explorer cette nouvelle piste de recherche. On distingue généralement trois modes successifs de gouvernance de l’entreprise, liés à trois formes de capitalisme: le capitalisme familial, managérial et financier (pour une synthèse, voir par exemple Batsch 2002). Le capitalisme familial recouvre, historiquement, le premier de ces modes. Il est traditionnellement associé à la première révolution industrielle, pendant laquelle les entreprises naissantes sont possédées et dirigées par des familles. Avec la deuxième révolution industrielle apparaît l’entreprise managériale, plus intensive en capital, et plusieurs auteurs ont vu dans le capitalisme familial une forme de gouvernance vouée à disparaître, conséquence de l’ouverture au public du capital des sociétés. Pour Berle & Means (1932), la multiplication du nombre de propriétaires aboutit en effet à la séparation des fonctions entre propriété et contrôle et, partant, à la perte de pouvoir des actionnaires au profit des managers. Cette hypothèse trouve un large écho durant plusieurs décennies, en particulier auprès des chercheurs américains. Pour Chandler, la complexité croissante de l’entreprise moderne aurait appelé une professionnalisation accrue des managers, les compétences techniques remplaçant au final les liens familiaux pour accéder aux fonctions dirigeantes de l’entreprise (Chandler 1977). Selon cet auteur, c’est le maintien d’un capitalisme familial ou « personnel » en Grande-Bretagne qui aurait empêché cette dernière de rester compétitive face à ses concurrents au cours de la seconde révolution industrielle (Chandler 1990). Si le capitalisme managérial est supposé avoir supplanté le capitalisme familial, on assisterait, à partir de la fin des années 1970 et aux Etats-Unis en premier lieu, à l’émergence d’une nouvelle forme de capitalisme qualifié d’« actionnarial » ou de « financier », dominé par les fonds d’investissement et caractérisé par une réorientation des stratégies des firmes en faveur de la création de la « valeur actionnariale », visant une meilleure rétribution de l’actionnaire (voir notamment Useem 1996 ; Lazonick & O’Sullivan 2000 ; Lordon 2000 ; Rebérioux 2005).

De nombreux auteurs ont cependant montré que le capitalisme familial a su, en partie tout du moins, « survivre » aux capitalismes managérial et financier qui lui ont succédé dans la plupart des pays dit développés (voir notamment Colli 2003, Daumas 2003, James 2006 et Colli & Rose 2008). Ce constat s’applique également au cas suisse. En effet, l’étude de La porta et al. (1999), qui compare la place des entreprises familiales parmi les 20 plus grandes sociétés cotées en bourse pour 27 pays à différents niveaux de développement, montre qu’au milieu des années 1990, 30% des grandes firmes helvétiques cotées en bourse peuvent être considérées comme des entreprises familiales. Ces données se limitent cependant aux 20 plus grandes sociétés cotées : en fait, au début des années 2000, la part des entreprises familiales parmi les sociétés helvétiques est globalement estimée à 88,4%, « un taux élevé comparé au reste du monde » (Ernst & Young 2005 : 6). Ce pourcentage s’élève à 70% en ce qui concerne les grandes entreprises (c’est–à–dire avec plus de 250 employés), et à 37% en ce qui concerne les sociétés cotées en bourse (Ernst & Young 2005 : 4 et 11).

Le cadre législatif relativement permissif en matière de gouvernance d’entreprise, jusqu’à l’introduction de réformes récentes (révision du droit des SA de 1992 et nouvelle loi fédérale sur la bourse de 1995), a laissé une grande place à l’autorégulation des acteurs économiques et représente, à notre avis, le principal facteur qui permet d’expliquer cette survivance du capitalisme familial pour le cas de la Suisse. L’existence de certains instruments, comme la possibilité d’émettre différentes catégories d’actions permettant aux propriétaires de détenir la majorité des droits de vote sans forcément détenir la majorité des actions, ou celle de limiter la transférabilité des actions nominatives en les « liant » à son propriétaire et en imposant certaines conditions aux nouveaux acquéreurs (Vinkulierung), ont notamment permis à certaines familles de garder l’entreprise en leur possession, malgré son ouverture au public (Schnyder 2007 et David et al. 2012 à paraître). Beaucoup de grandes firmes sont ainsi restées au cours du 20e siècle sous la domination d’un gros actionnaire, ou d’un petit groupe d’actionnaires, cette dimension étant renforcée par la faible participation des employés dans l’entreprise et la marginalisation des actionnaires minoritaires (David et al. 2012 à paraître). En conséquence, le capitalisme helvétique se distingue par une forte concentration du pouvoir et de la propriété, liée à l’importance de la propriété familiale et individuelle (Windolf et Nollert 2001).

Plusieurs auteurs se sont ainsi intéressés au poids des familles dans les sphères économique et politique suisses au 20e siècle (voir notamment Giovanoli 1939, Pollux 1945, Holliger 1974 et Höpflinger 1978). Ces études sont cependant relativement anciennes ; en outre, elles n’ont jamais eu recours à une analyse de réseau, malgré quelques pistes prometteuses soulevées par certaines recherches. Par exemple, la thèse récente d’Alain Cortat sur le cartel suisse des câbles a bien montré, sans avoir recours à une analyse de réseau à proprement parler, comment non seulement des liens entre conseils d’administration, mais également des liens familiaux sont dans ce cas « à l’origine d’accords qui coordonnent des aspects de l’économie et notamment des accords de cartels et de contrôle de prix » (Cortat 2009 : 23). Dans le cadre de cette contribution, nous nous intéressons au rôle de la famille spécifiquement sous l’angle des entreprises familiales, dont la définition, loin d’être simple et standardisée, est discutée dans le chapitre suivant.

Méthode et sources

La principale difficulté d’aborder la question du capitalisme familial réside dans le fait que sa définition ne va pas de soi : « The definition of family firms is in fact highly subjective and far from being standardised » (Colli 2003 : 17). Par exemple, l’étude de la Porta et al. (cf. ci-dessus) définit comme familiale une entreprise contrôlée par une famille ou un actionnaire individuel détenant directement ou indirectement 20% des droits des vote (La Porta et al. 1999 : 476). Cette démarche, par ailleurs couramment adoptée, pose, à notre sens, deux problèmes : premièrement, elle ne prend en compte que la question du contrôle et, deuxièmement, elle inclut dans la définition de la firme familiale les actionnaires individuels. Pour sa part, la définition adoptée dans le cadre de cette contribution reprend, pour commencer, la distinction opérée par plusieurs auteurs entre contrôle et direction[3] (voir notamment Casson 2000, Colli 2003 et Colli & Rose 2008). Dans cette perspective, le contrôle familial renvoie à la situation où la famille détient suffisamment de droits de vote, ou occupe suffisamment de sièges au sein du conseil d’administration pour exercer une influence sur le choix du directeur général ; la direction familiale renvoie quant à elle à la situation où un membre de la famille exerce la fonction de directeur général. La composition de l’actionnariat des entreprises suisses n’étant pas accessible pour la majeure partie de la période qui nous intéresse, nous avons, le cas échéant, retenu la présence de la famille au sein du conseil d’administration comme indicateur d’une entreprise probablement contrôlée par une famille. En ce qui concerne la question de la direction, nous avons estimé qu’elle pouvait être qualifiée de familiale à partir du moment où un membre de la famille occupe une fonction dirigeante décisive dans l’entreprise (président du conseil d’administration, administrateur-délégué ou directeur général). Enfin, nous avons accordé un poids prépondérant à la question de la direction de l’entreprise (voir notamment Colli 2003 : 20), en estimant que la présence de la famille au sein des positions exécutives-clé était significative d’un capitalisme familial « fort », tandis que le contrôle seul relevait d’un capitalisme familial « moyen ».

Notre définition du capitalisme familial intègre en outre comme critère déterminant, à l’instar de Joly, la dimension de la transmission des fonctions de pouvoir au sein d’une même famille : « Comporte une dimension familiale toute entreprise dans laquelle au moins une partie des positions de pouvoir se transmet, en relation ou non avec la propriété du capital, par le biais de l’héritage familial » (2008 : 66). Dans cette perspective, le critère de la présence de deux personnes au moins d'une même famille, qu'elle soit concomitante sur une même date ou successive entre deux dates différentes, au sein d'une même génération ou entre des générations différentes, a été retenu pour attribuer le qualificatif de familial, qu’il s’agisse de la dynastie fondatrice ou d’une nouvelle famille ayant pris le contrôle ou la possession de l’entreprise ultérieurement (sur la question des « néo-fondateurs », voir notamment Joly 2008). Sur la base de cette typologie, nous avons déterminé la présence familiale dans 22 grandes entreprises du secteur MEM en Suisse. Ces entreprises ont été sélectionnées à partir d’une base de données sur les élites suisses, qui recense, entre autre, les membres du conseil d’administration et les directeurs généraux des 110 plus grandes entreprises helvétiques pour cinq dates couvrant le 20e siècle : 1910, 1937, 1957, 1980 et 2000.[4] Toutes les firmes du secteur MEM apparaissant sur au moins une date dans cette base ont été retenues, à condition qu’elles perdurent sur tout le siècle (voir annexe 1) ; les firmes créées après 1910, ou qui disparaissent avant 2000, ont donc été exclues, afin d’avoir un échantillon stable sur le long terme.[5] Les membres des conseils d’administration et les dirigeants exécutifs ont été recensés principalement à partir des rapports annuels des entreprises, et, lorsque ces rapports faisaient défaut, à l’aide de sources complémentaires, telles que les registres du commerce, et de sources secondaires, à savoir principalement des monographies d’entreprise. En ce qui concerne la question de la dimension familiale, nous avons principalement eu recours aux Almanachs généalogiques suisses (Schweizerisches Geschlechterbuch, SGB), composés de 12 volumes publiés entre 1905 et 1965, et aux Almanachs des familles suisses (Schweizerisches Familienbuch, SFB) composés de quatre volumes publiés entre 1945 et 1963, afin d’identifier les liens familiaux entre les membres des entreprises que nous avons retenues. Les premiers ont été conçus à l’origine afin de relever les familles encore existantes de l’ancienne Confédération ayant « tenu une place remarquable dans l’histoire, des familles dites “régnantes” ou dont les titres étaient basés sur le droit public de l’époque » (SGB 1951 : XI). Ils recensent donc essentiellement, jusqu’au volume VIII, les anciennes familles appartenant à la noblesse suisse. Les volumes suivants intègrent pour leur part une nouvelle section faisant figurer les familles dirigeantes les plus importantes du nouvel Etat fédéral, sur le même principe que l’Almanach des familles suisses. Ces données ont, à nouveau, été complétées lorsque nécessaire par des sources secondaires, notamment des monographies d’entreprise et des monographies portant sur les familles qui nous intéressaient. Toutes les personnes descendant de la famille fondatrice ou néo-fondatrice ont, dans la mesure du possible, été identifiées. En outre, les individus ayant intégré la famille par le biais d’une alliance matrimoniale (en l’occurrence les gendres, puisque les femmes sont absentes des positions de pouvoir sur tout le siècle) ont également été pris en compte. A l’instar de Zeitlin et al. (1974), notre recherche tente ainsi de mettre en évidence au sein du réseau interfirmes ce que les auteurs définissent comme un « kincon group » : « The "effective kinship unit" may include close relatives (secondary and tertiary) and other kin outside the immediate family who are nevertheless essential members of the extended and tightly organized network that controls a given corporation » (108) ; le « kincon group » représente ainsi « a complex kinship unit in which economic interests and kinship bonds are inextricably intertwined » (109).

Après avoir distingué, pour chacune des 22 entreprises retenues dans l’échantillon et chaque date, les entreprises contrôlées par une famille, celles dirigées par une famille, et celles pour lesquelles on peut estimer que la firme n’est pas familiale sur la base de la typologie exposée précédemment,[6] l’analyse de réseau porte sur le sous-réseau formé par les liens entretenus par les 22 sociétés MEM au sein des 110 plus grandes firmes suisses : au final, le sous-réseau qui nous intéresse est donc constitué par le cumul des égoréseaux des 22 entreprises MEM. L’analyse est dès lors articulée autour de deux axes principaux, complémentaires. Le premier a pour but de mettre en évidence le rayonnement des familles au sein de ce sous-réseau, en identifiant d’une part les interlocks (membres communs entre les conseils d’administration) créés par les entreprises familiales et, d’autre part, les éventuels liens familiaux supplémentaires qui pourraient être formés par des membres de la famille siégeant uniquement dans d’autres entreprises que celle contrôlée ou dirigée par leur propre famille. Certaines études ayant souligné l’importance des big linkers et, partant, la pertinence du modèle de cohésion de classe (cf. plus haut) dans le réseau interfirmes helvétique, cette partie de la recherche identifie également l’évolution du poids de ces acteurs au cours du siècle, définis dans cette recherche comme les membres des entreprises MEM cumulant au moins trois mandats dans les conseils d’administration ou en tant que directeur général des 110 plus grandes firmes suisses, et la place qu’y occupent les dirigeants familiaux. Afin de ne pas dépasser le cadre de cette contribution, la partie portant sur les big linkers se limite néanmoins à identifier ces acteurs, sans développer la question de leur appartenance de classe ou de leur implication dans la sphère politique, qui représente un objet d’étude en soi. La deuxième partie de l’analyse se concentre quant à elle sur les liens multiples, afin d’investir le modèle de coordination et contrôle (bank-control et family-control) présenté précédemment : « Intuitively, multiple lines between vertices […] indicate more cohesive ties » (de Nooy et al. 2005). Appliquée aux réseaux interentreprises, l’analyse des liens multiples est ainsi mieux à même de rendre compte d’un processus de coopération entre les firmes : « Multiple interlocks between corporations indicate a strong relation between two corporations and may indicate a shared system of co-optation, which gives strong possibilities of policy co-ordination and shared information » (Stokman & Wasseur 1985 : 24). Seules les sociétés partageant au moins deux membres en commun (réseau 2-slices) sont ainsi prises en compte dans cette partie, qui a pour objectif principal d’identifier l’évolution des liens que les sociétés MEM entretiennent au sein de leur propre secteur d’une part, et avec le secteur bancaire d’autre part.

Interlocks et liens familiaux dans le réseau interfirmes MEM

Cette première partie de l’analyse a pour but de mettre en évidence l’intégration des entreprises familiales dans le sous-réseau MEM, en se concentrant sur les liens développés par les membres communs entre les conseils d’administration, et sur les éventuels liens familiaux supplémentaires. Elle montre que jusqu’aux années 1980, les liens se consolident et se densifient, reposant en grande partie sur les entreprises familiales et les dirigeants familiaux. La fin du siècle est cependant marquée à la fois par l’érosion du capitalisme familial et le déclin des liens.

Caractéristiques générales du sous-réseau MEM

Nos résultats montrent que le sous-réseau suit globalement la même évolution que le réseau plus large dans lequel il s’insère : on observe une première phase de formation des liens (1910-1937), suivie d’une période de consolidation (1937-1980), avant un net déclin à la fin du siècle (1980-2000) (cf. Schnyder et al. 2005). En effet, jusqu’aux années 1980, le nombre moyen de liens par entreprise faisant partie du sous-réseau (average degree[7]) augmente de manière constante, de même que le nombre total de firmes connectées aux 22 entreprises MEM ; puis, à la fin du siècle, ces indicateurs déclinent de manière significative, et retombent même en dessous du niveau de 1910 (cf tableau 1). On constate en outre qu’en 1910, en 1937 et, dans une moindre mesure, en 1957, certains membres des familles à la tête des 22 entreprises MEM exercent une fonction uniquement dans une autre firme que celle dirigée ou contrôlée par les membres de leur famille (« liens familiaux »). En tenant compte de ces liens, l’average degree et le nombre d’entreprises connectées aux 22 sociétés MEM augmente légèrement (cf. tableau 1, lignes liens cda et liens familiaux).

 

1910

1937

1957

1980

2000

Taille moyenne du cda (22 entreprises MEM)

6,0

7,1

7,6

9,0

7,9

Average degree (liens cda seulement)

4,8

6,8

7,4

8,5

4,4

Average degree (liens cda et liens familiaux)

4,9

7,0

7,4

8,5

4,4

Nbre total de firmes liées aux 22 entreprises MEM (liens cda seulement)

48

55

58

62

49

Nbre total de firmes liées aux 22 entreprises MEM (liens cda et liens familiaux)

51

59

60

62

49

(Cda : conseil d’administration)

Tableau 1. Caractéristiques générales du sous-réseau des 22 entreprises MEM

La densification des liens jusqu’aux années 1980 s’explique, d’une part, par la taille croissante des entreprises, qui aboutit à une augmentation progressive de la taille du conseil d’administration jusqu’aux années 1980 (cf. tableau 1), favorisant ainsi potentiellement un plus grand nombre d’interconnexions. Mais, pour que le réseau se densifie, il faut qu’il y ait également, en parallèle, un accroissement du nombre de membres communs entre les firmes : or, la proportion d’administrateurs siégeant dans une seule entreprise diminue effectivement constamment jusqu’aux années 1980, ce qui signifie que les nouveaux membres ont été recrutés en grande partie parmi d’autres conseils d’administration (cf. tableau 2). En ce sens, la densification du réseau relève bien d’un choix stratégique de la part des acteurs. Ce cumul croissant des mandats, qui d’ailleurs ne se limite pas au secteur MEM mais concerne tout le réseau des 110 plus grandes entreprises, a notamment été possible grâce au faible cadre législatif, qui ne limitait par exemple pas le nombre de sièges qu’un administrateur pouvait détenir. En effet, alors que l’Allemagne, par exemple, introduit une limitation du nombre de mandats au début des années 1930, en Suisse, les propositions d’amendement de la gauche allant dans cette direction ont été refusées par la majorité de droite du Parlement lors de la révision du droit des SA de 1936 (David et al. 2012 à paraître : [246]). La diminution du cumul des mandats à la fin du siècle s’explique principalement par une réorientation des stratégies des entreprises en faveur de la valeur actionnariale (voir infra).

 

1910

1937

1957

1980

2000

1 mandat

68,9% (91)

57,4% (81)

49,0% (77)

44,9% (79)

60,0% (72)

2 mandats

12,9 % (17)

14,9% (21)

21,7% (34)

25,0% (44)

20,0% (24)

≥ 3 mandats

18,2% (24)

27,7% (39)

29,3% (46)

30,1% (53)

20,0% (24)

Total interlockers

31,1% (41)

42,6% (60)

51,0% (80)

55,1% (97)

40,0% (48)

Total administrateurs

100% (132)

100% (141)

100% (157)

100% (176)

100% (120)

Tableau 2. Répartition du nombre de mandats détenus dans les 110 plus grandes firmes suisses parmi les membres des 22 entreprises MEM (Entre parenthèses, nombre de personnes)

Densification des liens et persistance du capitalisme familial (1910-1980)

Les figures 1 à 5 qui suivent montrent de quelle manière les liens s’articulent aux cinq dates considérées. Les 22 entreprises MEM sont indiquées en jaune, leur taille ayant été rendue proportionnelle au degré de capitalisme familial selon la typologie présentée plus haut : la plus grande taille indique les sociétés dirigées par un membre de la famille, la taille moyenne désigne celles qui sont seulement contrôlées par cette dernière, tandis que la plus petite taille signifie qu’il ne s’agit pas d’une entreprise familiale (à noter que la dimension familiale n’est représentée que pour ces 22 entreprises MEM). Les liens formés par les membres communs entre les conseils d’administration sont indiqués en bleu, sans tenir compte des liens multiples qui font l’objet de la deuxième partie de l’analyse : ainsi, même si deux firmes partagent plusieurs membres en commun, la relation est indiquée par un lien simple. Les liens formés par un membre de la famille ne siégeant pas dans l’entreprise familiale, mais dans une autre firme du sous-réseau, sont indiqués en noir. Sans décrire de manière exhaustive les interconnexions entre les firmes, nous revenons, pour chaque date, sur les caractéristiques principales du sous-réseau, en insistant sur la dimension familiale.

Au début du siècle, les liens sont encore peu denses, neuf entreprises MEM parmi les 22 étant en outre complètement isolées (cf. figure 1). Trois sociétés familiales occupent une position centrale : Georg Fischer (liée à 22 entreprises) BBC (liée à 12 entreprises) et Von Roll (liée à 9 entreprises). BBC a été créée en 1891 par Charles E. L. Brown et Walter Boveri. Les innovations techniques mises au point par les deux ingénieurs (rotor cylindrique et turbine à vapeur notamment) propulsent rapidement l’entreprise spécialisée en électrotechnique au premier rang de l’industrie suisse des machines : en 1901 déjà, près de la moitié des machines électriques exportées par le pays sont fabriquées par BBC (BBC 1966 : 187). En 1910, plus de la moitié des sièges du conseil d’administration, soit six sur 11, sont occupés par les membres des familles des deux fondateurs ; certains d’entre eux siègent en outre dans plusieurs autres entreprises. Georg Fischer et Von Roll sont quant à elles dirigées par des néo-fondateurs, respectivement Ernst Homberger et Johann Dübi. Le premier a été appelé à diriger la société après que les banques possédant la majorité des actions ont décidé d’écarter la famille fondatrice en 1902. Le second a gravi progressivement les échelons au sein des usines métallurgiques Von Roll pendant 20 ans, avant d’accéder dès 1893 à la direction de la firme, puis à son conseil d’administration en 1920 au sein duquel il siège jusqu’à sa mort en 1934. Ernst Homberger et Johann Dübi peuvent être considérés comme des néo-fondateurs puisqu’on retrouve leurs descendants dans chacune des deux sociétés : Hans Homberger, le fils d’Ernst, siège au conseil d’administration de Georg Fischer dès la mort de son père en 1955 et Ernst Dübi, fils de Johann, entre chez Von Roll en 1914, pour occuper ultérieurement le poste d’administrateur-délégué auquel on le retrouve en 1937.

Si la majeure partie des liens du sous-réseau MEM reposent sur des membres communs entre les conseils d’administration, on peut identifier en outre cinq liens (en noir) purement « familiaux » créés par des personnes ne siégeant pas dans l’entreprise contrôlée ou dirigée par leur famille, mais uniquement dans une ou plusieurs autres des 110 firmes. C’est le cas par exemple de Werner Weber-Honegger, à l’origine des deux liens unissant Metallwaren Zug à MF Honegger d’une part et à Oerlikon-Bührle d’autre part. Metallwaren Zug n’est liée à aucune de ces deux entreprises par un administrateur commun ; elle est cependant contrôlée et dirigée par un membre de la famille de Werner Weber-Honegger, puisque le petit-fils du frère du grand-père de ce dernier, Oskar Weber-Künzli, en est le président et l’administrateur-délégué. Werner Weber-Honegger est quant à lui président du conseil d’administration d’Oerlikon-Bührle, et vice-président du conseil de MF Honegger, entreprise fondée par le père de son beau-père, Caspar Honegger.

MEM_FAM1910.pdf

Figure 1. Le sous-réseau des 22 entreprises MEM en 1910, liens cda et liens familiaux

Pendant les trois décennies suivantes, les 22 entreprises MEM continuent de développer des liens entre elles et avec les 110 plus grandes entreprises suisses, le sous-réseau devenant plus dense et plus cohésif (cf. figure 2). Parmi nos cinq dates retenues, c’est en 1937 que le capitalisme familial est le plus fort au sein des 22 entreprises MEM puisque toutes sont, cette année-là, contrôlées ou dirigées par une famille. BBC (25 liens) et Georg Fischer (22 liens) restent parmi les firmes les plus centrales, avec Sulzer (23 liens), fondée en nom collectif par Johann Jakob Sulzer et ses deux fils Johann Jakob et Salomon en 1834, et transformée en société anonyme en 1914. La forte intégration des firmes familiales dans le réseau repose en partie sur des administrateurs extérieurs siégeant dans ces sociétés, mais également sur les dirigeants familiaux[8] exerçant des mandats extérieurs, qui contribuent ainsi à tisser des liens entre les entreprises (voir également partie sur les big linkers infra). Plusieurs membres des familles à la tête des 22 entreprises exercent en outre une ou plusieurs fonctions uniquement dans d’autres firmes que celle appartenant à leur famille. On retrouve ainsi notamment Emil-Huber-Stockar, fils d’un des fondateurs d’AIAG, aux conseils d’administration de la Zurich Assurance et de Motor-Columbus en 1937. Henri A. Naville-Muralt, fils de Gustave Naville, autre cofondateur d’AIAG, préside quant à lui le conseil d’administration de BBC, et siège à la Bâloise Assurance et à la Société financière italo-suisse (SFIS). Ils sont ensemble à l’origine des liens « familiaux » unissant AIAG à ces cinq entreprises, qui ne possèdent autrement pas d’administrateurs communs avec la société métallurgique.

 

MEM_FAM_1937.pdf

Figure 2. Le sous-réseau des 22 entreprises MEM en 1937, liens cda et liens familiaux

La forte persistance du capitalisme familial d’une part et la consolidation des interconnexions entre les conseils d’administration des grandes entreprises d’autre part au cours de la première moitié du 20e siècle sont bien illustrées par le sous-réseau de 1957 (cf. figure 3). Avec 31 liens, Sulzer occupe la position la plus centrale : son conseil d’administration est composé de 19 personnes, qui exercent en tout 84 mandats dans les 110 plus grandes entreprises cette année-là, soit, en moyenne, 4,4 mandats par personne. Sept administrateurs font partie de la famille fondatrice, dont deux par alliance. A l’opposé, seules Dätwyler et Bucher ne partagent aucun membre avec une des 110 plus grandes entreprises suisses durant toute cette période. La première représente un cas particulièrement intéressant, car relativement atypique en comparaison des autres sociétés MEM. Fondée en 1902 par un groupe d’intérêts allemand, cette manufacture de câbles et de caoutchouc appartient dès le début des années 1910 à la Caisse d’épargne d’Uri. Cette dernière place en 1914 Adolf Dätwyler à la direction de l’entreprise, alors que celle-ci traverse une grave crise financière. Il parvient peu à peu à redresser l’affaire, et à acquérir en 1917 les actions appartenant au canton, garant de la Caisse d’épargne qui est elle-même entrée en faillite. Adolf Dätwyler peut être considéré comme un self-made man : il est sans fortune, son père est agriculteur et tailleur. Sa carrière au sein de l’entreprise qu’il renomme à son nom en 1946 est à l’origine de son ascension sociale et, partant, de celle de sa famille : il épouse en 1924 Selina Gamma, fille de Martin Gamma, qui se trouve être le landammann[9] qui a obtenu un prêt de la Confédération lors de la faillite de la Caisse d’Epargne (Dätwyler 1965). A la mort d’Adolf en 1958, leurs deux fils, Max et Peter, reprennent la direction de l’entreprise, qu’ils développent au niveau international, et qui reste aux mains de la famille jusqu’aux années 1990. Le parcours atypique d’Adolf, qui n’appartient pas à l’origine aux grandes familles helvétiques, constitue une hypothèse pour expliquer l’intégration tardive de sa société dans le réseau : en 1957, le conseil d’administration n’est en effet composé que de membres de la famille Dätwyler. Enfin, seules Metallwaren Zug et MF Honegger sont unies par un lien purement familial cette année-là : Gerold Weber, fils de Werner Weber-Honegger (cf. plus haut), siège en effet au conseil d’administration de la seconde société.

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Figure 3. Le sous-réseau MEM en 1957, liens cda et liens familiaux

Le sous-réseau MEM continue de se densifier et de devenir plus cohésif jusqu’au début des années 1980 qui représentent, parmi les cinq dates retenues, la seule période où toutes les firmes MEM sont connectées au réseau des 110 plus grandes entreprises suisses. Bien qu’on observe une forte persistance du capitalisme familial, huit entreprises sur les 22 ne sont désormais plus contrôlées ou dirigées par une famille. Dans plusieurs cas de figure, les familles dirigeantes ont été évincées par les banques engagées dans ces entreprises lors de périodes de crise. Par exemple, en 1966, les banques impliquées dans la firme BBC, qui détiennent alors la majorité des droits de vote, remettent en question la capacité du fils d’un des fondateurs, Walter E. Boveri, devenu âgé, à gérer la présidence du conseil d’administration qu’il occupe depuis 1938, et soutiennent ainsi activement la nomination d’un membre extérieur à la famille à sa place (Catrina 1991). Les banques procèdent également à de nombreuses restructurations dans la période de crise qui suit le choc pétrolier de 1973, marquée par la surproduction mondiale et, en Suisse, par un franc fort qui contribue à affaiblir les exportations de l’industrie MEM (Widmer 2009 : 274). Dans d’autres cas de figure, la disparition de la famille fondatrice résulte simplement de l’absence de descendants pour reprendre l’affaire : c’est ainsi que la dynastie fondatrice disparaît de l’entreprise Rieter lorsque Benno Rieter, unique représentant de la cinquième génération, meurt sans laisser de descendance. Le capitalisme familial reste néanmoins encore le mode de gouvernance dominant au début des années 1980 : au total, 14 entreprises sur les 22 retenues peuvent être considérées comme une firme familiale en 1980, selon notre définition. En effet, plusieurs familles ont pu adopter certaines stratégies leur permettant de maintenir la possession de leur société entre leurs mains. Les Schindler, par exemple, ont mis en place un contrat d’actionnaires, afin que les actions nominatives restent au sein de la famille, le capital de leur société étant, comme celui de beaucoup de firmes helvétiques pendant la majeure partie du siècle, structuré sur la base de plusieurs catégories d’actions.[10] L’entreprise, fondée en 1874 par Robert Schindler, est ainsi devenue une multinationale leader dans le domaine des ascenseurs électriques et des escaliers mécaniques, tout en restant aux mains de la même dynastie fondatrice : en 1980, elle est classée au 13e rang des plus grandes entreprises industrielles de Suisse selon le critère du chiffre d’affaire (UBS 1980). Elle s’est en outre progressivement intégrée au réseau des 110 plus grandes firmes helvétiques. Jusqu’à la fin des années 1950, la société est restée très fermée : cerce restreint d’administrateurs et peu de liens d’interconnexions avec les autres entreprises. En 1980, le conseil d’administration compte 10 personnes, et la société est liée à 15 autres firmes, par le biais d’administrateurs extérieurs, mais également par l’intermédiaire des membres de la famille fondatrice qui siègent désormais dans d’autres sociétés.

Le sous-réseau MEM de 1980 (cf. figure 4) illustre bien cet état transitoire, caractérisé à la fois par la persistance et l’affaiblissement relatif du capitalisme familial. Pour la première fois, les deux entreprises les plus centrales dans le réseau ne sont pas contrôlées ou possédées par une famille (BBC, 32 liens et Alusuisse, 27 liens) ; elles sont néanmoins suivies par Sulzer, en troisième position (23 liens), qui pour sa part est restée aux mains de la dynastie fondatrice. On observe en outre une diminution des liens purement « familiaux » : seul Urs Bühler, arrière-petit-fils du fondateur de l’entreprise MF Bühler, ne siège pas dans l’entreprise familiale cette année-là (il entre en 1981 au conseil d’administration), mais occupe un mandat à la SBS, venant ainsi renforcer par un lien familial le lien existant par un administrateur commun entre les deux sociétés.

 

MEM_FAM_1980.pdf

Figure 4. Le sous-réseau des 22 entreprises MEM en 1980, liens cda et liens familiaux

Du capitalisme familial au capitalisme financier ?

L’évolution du sous-réseau MEM au cours des deux dernières décennies du siècle est marquée par un déclin brutal des interconnexions entre les firmes, clairement visible  dans la structure du réseau en 2000 (cf. figure 5). Alors qu’en moyenne, chaque entreprise était liée à environ huit autres sociétés en 1957 et en 1980, le nombre moyen de connexions diminue de moitié à la fin du siècle (cf. tableau 1 plus haut). Pour Schnyder et al. (2005), le déclin des interconnexions qui s’observe également à cette période au sein des conseils d’administration des 110 plus grandes entreprises suisses s’explique principalement par une transformation profonde de la gouvernance d’entreprise en Suisse, plus axée désormais sur la valeur actionnariale, dans un contexte de globalisation croissante de l’économie (voir également David et al. 2012 à paraître et Schnyder 2007). En effet, dès la deuxième moitié des années 1980 et sous la pression croissante des marchés financiers et des investisseurs institutionnels, le droit des SA en Suisse connaît plusieurs réformes et, comme dans d’autres pays européens, les firmes helvétiques commencent à mettre en pratique des stratégies répondant mieux aux critères de transparence, et visant à satisfaire les intérêts des actionnaires minoritaires (David et al. 2012 à paraître : [292]). Un certain nombre d’entre elles renoncent ainsi, entre autres exemples, à recourir à la distorsion des droits de vote, ou à l’émission de différentes catégories d’actions. Ces changements ont contribué au déclin du réseau de deux manières. D’une part, les promoteurs de la valeur actionnariale ont réclamé une diminution de la taille du conseil d’administration, jugée plus efficace ; d’autre part, ils se sont mobilisés en faveur d’une professionnalisation de la fonction d’administrateur, rendant par conséquent le cumul des mandats plus difficile (Schnyder et al. 2005 : 48-49). Ces changements ont notamment été promus par une nouvelle catégorie d’acteurs financiers helvétiques, les « raiders », dont le but consiste à acquérir une participation suffisante dans une entreprise pour pouvoir en influencer la stratégie dans le sens d’une meilleure distribution des bénéfices en faveur des actionnaires. Au final, les mécanismes traditionnels de coopération entre les élites suisses ont été fortement remis en question à la fin du siècle. Ces transformations globales ont également touché le secteur de la métallurgie : Widmer (2009) montre en effet qu’à la fin des années 1990, les investisseurs institutionnels (en particulier les fonds d’investissement) prennent d’importantes participations dans les sociétés MEM. Ainsi, on observe effectivement une diminution de la taille moyenne du conseil d’administration des entreprises de notre échantillon, puisqu’elle passe de neuf membres en moyenne en 1980, à 7,9 membres en 2000, et on constate également une diminution du cumul des mandats (cf. tableaux 1 et 2 plus haut). Si ces différents facteurs ont contribué au déclin général des interlocks entre les grandes entreprises à la fin du siècle, le cas des machines et métaux nous amène toutefois à nuancer ce constat : on constate en effet un maintien significatif des liens au sein du secteur MEM lui-même (voir également partie suivante), rendant par conséquent la structure du sous-réseau en 2000 très différente de celle de 1910. Le nombre global moyen de liens est légèrement plus faible à la fin du siècle qu’au début, mais le réseau est malgré tout resté dans l’ensemble relativement cohésif : en particulier, seule une firme est isolée en 2000 (Saurer), contre neuf en 1910.

La figure 5 fait également apparaître l’érosion du capitalisme familial au sein du secteur MEM. Pour Widmer, c’est l’avènement du capitalisme financier qui permet d’expliquer cette évolution : selon lui, « la figure du propriétaire historique, notamment les familles fondatrices bloquant l’accès au contrôle de l’entreprise, a largement disparu de la gouvernance d’entreprise des plus grandes sociétés MEM » avec la montée des investisseurs institutionnels et la croissance de la capitalisation boursière des firmes (2009 : 220). Nos résultats nous amènent néanmoins à nuancer fortement ce constat, puisque au total, neuf des 18 entreprises prises en compte pour l’année 2000 sont encore des firmes familiales. Ces résultats montrent que si le capitalisme familial a bien décliné par rapport à la première moitié du siècle, il reste néanmoins significatif en 2000. Les entreprises familiales qui subsistent sont toujours bien intégrées au réseau par le biais de membres communs entre les conseils d’administration ; on n’observe plus, par contre, de liens purement familiaux.

:::Documents:2000test.pdf

Figure 5. Le sous-réseau des entreprises MEM en 2000, liens cda

Big linkers et cohésion des élites

Le tableau 2 présenté précédemment montre la présence significative, au cours du siècle, de big linkers cumulant au moins trois mandats dans le sous-réseau MEM : entre 18% et 30% selon l’année considérée. Leurs mandats sont essentiellement concentrés dans le secteur de la métallurgie et, jusqu’aux années 1980, dans le secteur bancaire. Pendant plus de la première moitié de la période, les dirigeants familiaux des 22 entreprises MEM de notre échantillon représentent en outre plus du quart des big linkers (cf. tableau 3).

 

 

1910

1937

1957

1980

2000

Nombre de big linkers (BL)

24

39

46

53

24

Mandats dans les 110 plus grandes entreprises suisses

115

164

192

225

93

dont banques

30,0%

28,0%

23,4%

20,4%

11,8%

dont entreprises MEM

32,2%

44,5%

45,8%

44,4%

50,5%

Nombre de BL familiaux

9/24

11/39

13/46

4/53

2/24

Mandats dans les 110 plus grandes entreprises suisses

35

43

53

17

8

dont banques

28,6%

16,3%

20,7%

23,5%

12,5%

dont entreprises MEM

51,8%

60,0%

58,5%

47,0%

50,0%

Tableau 3. Répartition des mandats des big linkers dans les 110 plus grandes entreprises.

Le tableau 4 nous permet en outre de conclure que ces big linkers représentent un groupe d’acteurs particulièrement cohésif, puisqu’ils sont presque tous liés à un composant principal durant toute la période considérée.

 

1910

1937

1957

1980

2000

BL inclus dans le composant principal

22

38

46

51

22

BL exclus du composant principal

2

1

-

2

2

Tableau 4. Cohésion des big linkers au sein du sous-réseau MEM.

La présence significative de dirigeants familiaux parmi les big linkers montre que les fortes connexions entre les firmes familiales et le reste du réseau ne reposent pas uniquement sur des directeurs externes. Ainsi, par exemple, Hans Sulzer cumule en 1937 sept fonctions dans les 110 plus grandes entreprises suisses dont, notamment, la présidence du conseil d’administration de la société Sulzer fondée par son grand-père et celle du conseil de la Winterthour Assurance, la vice-présidence de la firme métallurgique Maag et un mandat en tant que membre du conseil de l’UBS. En 1980, son fils Georg Sulzer-Schwarzenbach préside les conseils d’administration de Sulzer et de Maag, et siège aux conseils de la Winterthour Assurance et de l’UBS. Ces exemples témoignent de la grande diversité des mandats exercés par les dirigeants familiaux, qui ne se réduisent de loin pas au secteur MEM. Ils montrent en outre que la transmission des fonctions de pouvoir entre membres d’une même dynastie ne se limite pas à l’entreprise familiale, mais s’étend également parfois aux fonctions occupées dans d’autres sociétés. Le rayonnement des liens familiaux dans le réseau interfirmes peut également être identifié par le biais des alliances au sein d’une même génération, comme l’illustre l’exemple de Robert de Pury. Né en 1868 à Neuchâtel, ce dernier est le fils du banquier Edouard de Pury et de Louise Marie Wavre. Il acquiert lui-même une formation dans le secteur bancaire, et épouse en 1893 Suzanne de Coulon, descendante d’une des familles fondatrices de l’entreprise Cortaillod. Dès 1897, soit quatre ans après son mariage, il siège au conseil d’administration de Cortaillod, jusqu’en 1925. En 1910, il occupe en outre un mandat dans les conseils d’administration de deux sociétés financières, Anlagewerte et Metallwerte. Le tableau 3 montre en outre que les dirigeants familiaux occupent un nombre significatif de sièges dans les banques. Autrement dit, les connexions multiples qui lient les entreprises familiales aux banques pendant la majeure partie du siècle (voir partie suivante) ne s’expliquent pas uniquement par le fait que des banquiers siègent dans ces firmes. La présence réciproque des dirigeants familiaux au sein des banques nous permet donc de nuancer l’hypothèse d’un contrôle formel par les banques (bank control model). Enfin, le fait que les big linkers constituent un groupe fortement cohésif (cf. tableau 4 ci-dessus) nous incite également à relativiser l’idée d’un contrôle exercé par la famille (family control model), et à confirmer l’hypothèse d’une coordination entre les élites économiques allant dans le sens du modèle de cohésion de classe.

Coordination et contrôle : le réseau 2-slices

Cette deuxième partie de l’analyse se concentre, à partir des réseaux présentés dans la première partie de la recherche, sur les liens forts entre les firmes, afin d’approfondir la question des mécanismes de coopération. Les figures 6 à 10 présentées ci-après se focalisent ainsi sur les sociétés partageant au moins deux membres en commun (2-slices). De la même manière que dans les figures 1 à 5, les entreprises MEM faisant partie du groupe de 22 de départ sont indiquées en jaune, et leur taille a été rendue proportionnelle au degré de capitalisme familial par le biais d’un vecteur. Les autres sociétés MEM apparaissant dans le sous-réseau parce qu’elles appartiennent à une date ou l’autre aux 110 plus grandes firmes suisses, mais ne faisant pas partie des 22 firmes de départ parce qu’elles n’existent pas sur tout le siècle, sont indiquées en orange. Les banques et les sociétés financières sont signalées en bleu, et les entreprises des autres secteurs (textile, assurance, construction, transports, …) en gris.

Alliances régionales et interconnexions avec le secteur bancaire

En 1910, seules cinq sociétés MEM parmi les 22 qui nous intéressent sont liées entre elles ou à une autre firme appartenant au réseau des 110 plus grandes entreprises suisses par un lien multiple : AIAG, BBC, Georg Fischer, Rieter et SIG. Ces entreprises font toutes déjà partie des 110 plus grandes firmes et disposent en outre d’un conseil d’administration assez large, ce qui explique leur intégration plus précoce et plus forte dans le réseau. A cette époque, les connexions s’établissent, d’une part, essentiellement sur une base régionale, et, d’autre part, avec le secteur bancaire et financier. Au niveau géographique, les liens sont en effet concentrés dans les cantons alémaniques situés au nord du pays, et en particulier autour de trois grandes villes, à savoir Zürich, centre financier et industriel, et Schaffhouse et Winterthour, berceaux de l’industrie des machines. Ainsi, par exemple, la fonderie Georg Fischer, créée par Johann Conrad Fischer à Schaffhouse en 1802, est liée à une filature de la même ville (Spinnerei Schaffhausen) et Rieter, entreprise fondée par Johann Jacob Rieter à Winterthour à la fin du 18e siècle produisant notamment des métiers à filer et à tisser, est connectée à une industrie de la soie également établie à Winterthour (Winterthur Seiden) ; enfin, SIG et Georg Fischer sont encore liées à SLM, également sise à Winterthour.

Au niveau sectoriel, les liens établis par les entreprises MEM au début du siècle reposent surtout sur le secteur bancaire et financier, et en particulier avec des sociétés financières spécialisées : Elektrobank, Motor-Columbus et Metallwerte. Créées pour la plupart à la fin du 19e siècle pour financer les entreprises industrielles et, en particulier, celles du secteur électrique qui nécessite de gros investissements, ces sociétés financières représentent un type particulier de holding : « Unlike investment trusts, these were characterised by their controlling interests in firms that all operated within the same industry » (Paquier 2001 : 164). Ainsi, Elektrobank est fondée en 1895 pour mettre à disposition des crédits aux entreprises d’électricité, comme son nom l’indique. La même année, Motor AG[11] est créée pour financer les installations électriques de BBC, à laquelle elle est très fortement liée en 1910 : les deux sociétés partagent en effet six membres en commun (le conseil d’administration de Motor AG étant composé de 13 personnes, et celui de BBC de 11 administrateurs) et Walter Boveri-Baumann (co-fondateur de BBC) occupe la présidence du conseil d’administration de la société financière.

Si les connexions avec le secteur bancaire prédominent très clairement au début du siècle, les entreprises MEM ont également établi quelques liens avec des entreprises industrielles. Ainsi, les interlocks mentionnés précédemment entre Georg Fischer et Spinnerei Schaffhausen, et Rieter et Winterthour Seiden, s’expliquent d’une part par le facteur géographique, mais d’autre part par le fait que l’industrie des machines s’est développée au 19ème siècle à partir de la mécanisation du secteur textile. En 1910, quelques connexions existent également entre les firmes MEM elles-mêmes, dont les activités sont dans certains cas très proches : SIG est liée par deux membres à SLM – la première fabrique au début du siècle des wagons, tandis que la seconde produit de son côté des locomotives à vapeur et des éléments mécaniques pour locomotives électriques. Autre exemple, la fabrique de matériel électrique Alioth, fondée à Bâle en 1881 par Ludwig Rudolf Alioth et Emil Bürgin : en 1910, trois membres des familles fondatrices de BBC (Walter Boveri-Baumann, Sydney William Brown-Sulzer et Fritz Funk), industrie phare de l’électrotechnique, siègent au conseil d’administration d’Alioth. C’est toutefois durant les décennies suivantes que les liens intrasectoriels se développent de manière significative.

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Figure 6. Le sous-réseau des 22 entreprises MEM en 1910, 2-slices

La situation de 1910 précède la constitution du réseau national. Le nombre d’interlocks entre les firmes est relativement faible par rapport aux décennies suivantes, car les entreprises industrielles et les sociétés financières helvétiques sont encore fortement tournées vers l’extérieur, et en particulier vers l’Allemagne. Mais la Première Guerre mondiale vient transformer durablement la situation : « in the years following the First World War the Swiss economy became more fully integrated internally and at the same time increasingly independent from external influence » (Schnyder et al. 2005 : 26). D’une part, la défaite allemande et le marasme économique qui s’ensuit pour le pays entraine un affaiblissement des liens économiques entre la Suisse et l’Allemagne, même si ceux-ci restent étroits. Mais l’indépendance croissante de la sphère économique suisse relève également, d’autre part, d’une volonté de la part des élites de s’affranchir de l’influence extérieure, comme l’atteste la mesure destinée à limiter le nombre d’administrateurs étrangers intégrée au droit des sociétés de 1919, cette mesure s’insérant dans le contexte plus large de la montée de la xénophobie en Suisse (Lüpold 2008 : 209).

Développement des liens intra-sectoriels

Durant les décennies qui suivent la fin de la Première Guerre, le sous-réseau des liens forts devient plus cohésif et plus large, et le système de coordination entre les entreprises par le biais des interlocks se renforce, intégrant désormais des entreprises de la partie romande du pays : Cossonay (VD), Cortaillod (NE), SIP (GE) et Sécheron (GE). Si le sous-réseau s’étend donc sur une surface géographique plus large, on constate néanmoins une certaine persistance des alliances formées sur une base régionale : ainsi, les entreprises de la partie romande du pays sont directement liées entre elles (Cossonay et Cortaillod d’une part, SIP et Sécheron d’autre part), Georg Fischer est interconnectée à SIG (Schaffhouse), Sulzer à la Winterthur Assurance (Winterthour), et Von Roll à Scintilla (Soleure). Le développement du sous-réseau résulte en grande partie des interconnexions croissantes avec le secteur bancaire et financier : désormais, les trois grandes banques suisses (SBS, UBS et CS) occupent en effet une position centrale dans le réseau, au même titre que les sociétés financières. La figure 7 (cf. infra) montre en outre très clairement que les institutions bancaires et financières jouent alors un fort rôle d’intermédiaires dans le sous-réseau MEM : beaucoup d’entreprises sont en effet reliées entre elles par le biais d’une de ces institutions. On observe cependant, en parallèle, le développement significatif d’interconnexions entre les firmes MEM elles-mêmes, plus fortes et plus nombreuses qu’avec d’autres secteurs industriels. Dans certains cas, ces liens existent entre des sociétés exerçant des activités complémentaires : SIG, par exemple, fabrique des armes dès 1860, tandis que Georg Fischer se lance en 1936 dans la production de munitions ; Von Roll est spécialisée dans la production de fer pour l’industrie automobile, et Scintilla dans celle des moteurs à combustion interne ; Sulzer fabrique, entre autres, des moteurs diesel, tandis que Saurer produit, en plus des machines-outils pour le secteur textile, des camions et des véhicules utilitaires. On peut ainsi supposer que les interlocks entre ces entreprises prennent place dans le cadre d’une relation entre clients et fournisseurs, bien que cette hypothèse doive encore être confirmée par des éléments empiriques.

Dans d’autres cas, les liens intra-sectoriels prennent place entre des firmes exerçant des activités similaires, et témoignent alors très clairement d’un processus de coordination entre ces sociétés, pouvant aller de la simple coopération à une forme de contrôle passant par une prise de participation. C’est typiquement le cas entre Cortaillod et Cossonay. Active dans le domaine des câbles électriques, Cortaillod a été créée en 1884 par François Borel, Edouard Berthoud et Robert de Coulon, sous la forme d’une société anonyme. Les Câbleries et Tréfileries de Cossonay ont quant à elles été fondées quelques années plus tard, en 1898, par Jean-Marcel Aubert. Dès 1912, un cartel suisse fonctionne entre ces deux entreprises ainsi qu’une troisième câblerie, Suhner & Cie (qui ne fait pour sa part pas partie des 110 plus grandes entreprises suisses), les trois parties se communiquant toutes les demandes de prix d’une certaine importance et négociant les lots d’une commande ou la fixation des prix, sans signer d’accord formel dans un premier temps (Cortat 2009 : 214). En 1923, Cortaillod acquiert une participation majoritaire dans Cossonay, et on retrouve dès cette année des membres du conseil d’administration de la première, et en particulier des descendants d’une des dynasties fondatrices, la famille de Coulon, dans celui de la seconde (les deux sociétés sont ainsi liées par trois membres communs en 1937 et en 1957, cf. figures 7 et 8). En 1928, afin de pouvoir adhérer au cartel international des câbles nouvellement créé, les trois câbleries signent une convention établissant un contingentement du marché et la fixation des prix, instaurant ainsi un cartel en Suisse (Cortat 2009 : 217).

Plusieurs auteurs ont mis en évidence l’existence d’un lien direct entre cartellisation et réseaux d’interconnexion. Windolf (2009) a par exemple montré que dans le cas de l’Allemagne, le réseau d’entreprises se densifie après la Première Guerre mondiale, en même temps que le degré de cartellisation augmente ; à l’inverse, aux Etats-Unis, le réseau devient moins dense avec le renforcement des lois anti-trusts et le développement d’un capitalisme compétitif (voir également Mizruchi 1996 : 273-274). Bien que cette question s’éloigne du propos qui nous intéresse, et ne puisse faire l’objet d’une analyse approfondie dans le cadre de cette contribution, il est intéressant de rappeler que, comme dans le cas de l’Allemagne, la Suisse a connu un fort processus de cartellisation depuis l’entre-deux-guerres (voir notamment Schröter 1999 et Cortat 2010). L’industrie métallurgique et électrotechnique, entre autre, voit la création de nombreux cartels, et des firmes comme BBC, AIAG et Georg Fischer participent à des cartels nationaux et internationaux (Schröter 1999 : 191-192). Les connaissances sur la question restent cependant à l’heure actuelle très incomplètes – les données relatives au nombre d’ententes créées pendant la deuxième moitié du 20e siècle, en particulier, font encore défaut – et l’hypothèse d’un lien direct entre interlocks et ententes cartellaires pour l’industrie suisse reste à confirmer. Tout du moins peut-on avancer que les liens d’interconnexions entre les firmes et les cartels se sont accrus de manière parallèle, et que les premiers comme les seconds représentent l’une des expressions du capitalisme coopératif qui caractérise l’économie helvétique durant la première moitié du siècle, les entreprises familiales se trouvant, avec les grandes banques, au cœur de ce système, comme l’illustre bien le sous-réseau du secteur MEM en 1937 et en 1957 (cf. figures 7 et 8 ci-dessous).

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Figure 7. Le sous-réseau des 22 entreprises MEM en 1937, 2-slices

La consolidation du sous-réseau MEM prend place dans le contexte du fort développement de ce secteur, qui représente avant le second conflit mondial la principale branche industrielle du pays en termes d’exportations et de main-d’œuvre employée (Billeter 1985). Si les interlocks des entreprises MEM continuent de se développer avec des banques et des sociétés financières jusqu’aux années 1980, le nombre d’interconnexions confinées au sein du secteur MEM prédomine après la fin des années 1930 (cf. tableau 5 infra). Bien qu’il ne soit pas possible d’expliquer de manière systématique la signification de ces liens, on peut néanmoins identifier un certain nombre de cas où ils relèvent d’un mécanisme de coopération entre les firmes. Plusieurs exemples, outre ceux mentionnés précédemment, attestent en effet d’un processus de coopération entre les dirigeants de firmes actives dans des secteurs similaires au cours de cette période. Ainsi, en 1940, les dirigeants de Von Roll, Von Moos, Sulzer et Georg Fischer décident de créer un consortium pour la fusion des minerais de fer suisses, dans le but de promouvoir la production nationale de fer. Or, en 1937, E. Dübi, administrateur-délégué chez Von Roll, dispose d’un siège dans le conseil d’administration de Sulzer, elle-même liée à Georg Fischer par un administrateur commun, Max Staehelin. En 1957, Sulzer est toujours liée à Georg Fischer par deux administrateurs communs (cf. figure 8). A cette période du siècle, le sous-réseau MEM est devenu particulièrement cohésif, puisque plus de la moitié des 22 firmes MEM sont intégrées dans le réseau 2-slices d’une part, et que, d’autre part, ce dernier est constitué d’un composant principal très cohésif, auquel seulement deux composants ne sont pas intégrés (Pars Finanz et Schindler, et Bobst et ACMV).

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Figure 8. Le sous-réseau des 22 entreprises MEM en 1957, 2-slices

Durant les deux décennies suivantes, la cohésion du sous-réseau MEM se renforce : en 1980, 15 firmes entretiennent au moins un lien double avec une autre société et, à part trois exceptions (Von Moos, Zellweger Uster et Landis & Gyr), elle font toutes partie du même composant (cf. figure 9). Les liens sont en outre toujours clairement articulés autour des trois grandes banques, qui continuent d’occuper une place centrale, et contribuent par ailleurs aux interconnexions entre les entreprises MEM elles-mêmes : ainsi, les trois interlocks qui unissent par exemple BBC à Sulzer en 1980 reposent uniquement sur des administrateurs externes aux deux sociétés (Hans Strasser, président de la SBS, Robert Holzach, président de l’UBS et Oswald Aeppli, président du Crédit Suisse). Mais les interlocks entre les firmes MEM sont également significatifs de mécanismes de coordination et de contrôle entre les entreprises. Dans plusieurs cas, ils résultent d’un processus d’acquisition comme, par exemple, l’entreprise Buss, liée au groupe Georg Fischer auquel elle a été intégrée en 1979, ou Zellweger Uster, contrôlée par la famille Bechtler, et intégrée dans les années 1970 à la holding Hesta, également sous contrôle des Bechtler ; quant à Cortaillod et Cossonay, sociétés participant au cartel suisse des câbles, elles possèdent toujours trois membres en commun en 1980, et finissent par fusionner en 1992.

 

 

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Figure 9. Le sous-réseau des 22 entreprises MEM en 1980, 2-slices

Le sous-réseau des 22 entreprises MEM développe ainsi les trois grandes caractéristiques suivantes durant les décennies qui suivent la Première Guerre mondiale jusqu’aux années 1980. Premièrement, il devient de plus en plus cohésif et dense, passant d’un système d’alliances ancrées au niveau régional à une intégration des liens au niveau national. Deuxièmement, les entreprises MEM sont fortement connectées au secteur bancaire et financier, constat qui vient confirmer l’importance de ce secteur dans le système de gouvernance suisse, et qui s’explique par le rôle que les banques ont joué dès la fin du 19e siècle dans le financement des entreprises. Si cette dimension a déjà été mise en évidence par d’autres auteurs (cf. Rusterholz 1985, Nollert 1998, Schnyder et al. 2005), et ne représente, en outre, pas une spécificité du modèle helvétique, nos résultats font cependant émerger une nouvelle propriété du réseau : la forte centralité des entreprises familiales. En revenant au modèle de coordination et de contrôle proposé par Scott, on peut donc en conclure que le cas de la Suisse – en ce qui concerne le secteur MEM tout du moins – combine à la fois la version du contrôle par les banques et celle du contrôle par les familles, bien qu’il faille plutôt mettre en avant la notion de coopération entre les élites dirigeantes puisque les liens, nous l’avons vu, sont souvent de nature réciproque. Enfin, les interlocks intra-sectoriels gagnent dès l’entre-deux-guerres progressivement en importance par rapport aux interconnexions avec le secteur bancaire et financier, venant confirmer l’hypothèse d’une coordination patronale ancrée au moins partiellement dans ce système.

Persistance et dissolution des mécanismes de coordination

Nous avons vu précédemment que le sous-réseau MEM connaît une mutation profonde à la fin du siècle, marquée par un fort déclin des interlocks entre les entreprises et l’érosion significative du capitalisme familial, dont les principaux facteurs explicatifs ont été évoqués. L’évolution différenciée des liens par secteur nous amène toutefois à nuancer et préciser ce constat (cf. tableau 5 infra). Le déclin des interlocks résulte, premièrement, du retrait du secteur bancaire, lié au désengagement progressif des banques dans le secteur industriel qui s’explique principalement par les raisons suivantes : une réorientation stratégique des activités des banques vers les marchés boursiers (mise en bourse, fusions et acquistions, fonds de placement) et la gestion de fortune, au détriment de l’activité traditionnelle de crédit, une extension des activités dans le domaine assuranciel, et une forte expansion sur le marché international (Schnyder et al. 2005 : 41-46). Cette évolution a également été observée dans d’autres pays, notamment en Allemagne (voir par exemple Beyer 2002 et Höpner & Krempel 2003), et a amené les banques à se retirer progressivement des conseils d’administration dans lesquels elles siégeaient. Ainsi, en 2000, plus une seule de nos 22 firmes MEM n’entretient de lien multiple avec une grande banque (cf. figure 10 infra). Si le déclin global des interlocks résulte également, deuxièmement, d’une diminution des liens entre les entreprises industrielles elles-mêmes, on observe cependant un maintien significatif des liens – multiples et simples – au sein du secteur MEM lui-même : en effet, les interconnexions entre les entreprises MEM diminuent moins fortement que celles avec les entreprises appartenant à d’autres branches.

 

 

1910

1937

1957

1980

2000

Average degree : MEM-MEM

1,2

2,5

3,1

3,6

2,5

Average degree : MEM-banques

1,4

2,5

2,7

3,2

1,5

Average degree : MEM-autres secteurs

1,2

2,2

2,6

3,5

2,0

Tableau 5. Average degree des 22 entreprises MEM, par secteur

La persistance des liens intrasectoriels peut être interprétée comme une volonté des élites dirigeantes de renforcer leur secteur face à un marché de plus en plus concurrentiel (Widmer 2009 : 233). Cette hypothèse se voit renforcée par le fait qu’à la fin des années 1990, les deux principales associations de la branche, l’ASM (Arbeitgeberverband schweizerischer Maschinen- und Metallindustrieller) et la VSM (Verein schweizerischer Maschinen-Industrieller) opèrent un rapprochement administratif et juridique de leur structures respectives qui aboutit à la création de Swissmem, organisation qui regroupe les deux associations afin de mieux défendre les intérêts de la branche face aux autres secteurs industriels (voir Widmer 2009 et David et al. 2009). Ainsi, Georg Fischer est en 2000 liée à SIG par quatre membres communs, et à ABB par deux mêmes administrateurs. La position d’Edwin Somm – membre des conseils d’administration des trois firmes, ancien président de l’ASM (1995-1998) et futur président d’ABB – quant au fait de recruter des administrateurs siégeant dans des entreprises du même secteur montre que les interlocks continuent de présenter un intérêt pour une partie des élites MEM : en effet, selon lui, « Le recrutement de dirigeants connaisseurs des produits et du marché permet de concentrer des compétences » (propos rapportés d’un entretien in Widmer 2009 : 149). La figure 10 fait apparaître un autre groupe d’entreprises MEM liées par des administrateurs communs : Rieter est en effet interconnectée à Dätwyler et à Scintilla par un double interlock. Son directeur général, Kurt Feller, occupe notamment un siège dans les conseils des deux autres sociétés, en plus de présider le conseil de Geberit, autre entreprise du secteur MEM. Or, Kurt Feller se distingue par une prise de position ouverte contre une gestion actionnariale de l’entreprise (Widmer 2009 : 256). Ces deux cas de figure montrent que, pour différentes raisons, certains dirigeants du secteur MEM ont activement soutenu le maintien des interlocks intrasectoriels à la fin du siècle.

 

 

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Figure 10. Le sous-réseau de 22 entreprises MEM en 2000, 2-slices

Conclusions

Jusqu’à présent, les études portant sur le réseau des grandes entreprises suisses s’étaient surtout focalisées sur le poids et le rôle des banques. Sans remettre en question la place centrale effectivement occupée par ces institutions, notre analyse nous a permis de mettre en évidence celle significative, et complémentaire, tenue par les entreprises familiales à travers l’exemple des grandes industries du secteur des machines, de l’électrotechnique et de la métallurgie. Premièrement, l’analyse du réseau interfirmes a montré que jusqu’aux années 1980, les entreprises MEM développent des interlocks (et, dans une moindre mesure, des liens purement familiaux) de plus en plus denses entre elles-mêmes et avec le reste des 110 plus grandes sociétés helvétiques : loin de supplanter les liens familiaux, ces interconnexions reposent alors au contraire en grande partie sur les entreprises familiales et sur les dirigeants appartenant aux dynasties fondatrices ou néo-fondatrices. Deuxièmement, ces firmes familiales sont fortement connectées aux banques et aux institutions financières. Le fait que les liens soient fréquemment de nature réciproque nous amène toutefois à relativiser l’hypothèse d’un contrôle formel exercé par l’une ou l’autre fraction (bank / family control model), et à mettre plutôt l’accent sur la dimension de coopération et coordination entre les élites économiques helvétiques. Cette hypothèse se voit renforcée par le fait que les entreprises du secteur MEM développent en outre au cours du siècle de fortes interconnexions intrasectorielles, qui contribuent à réguler la compétition. Celles-ci relèvent essentiellement de deux mécanismes. Elles peuvent résulter, premièrement, d’un processus d’acquisition, débouchant parfois sur une fusion : dans ce cas de figure, les interlocks remplissent une fonction de contrôle. Mais on observe également des liens significatifs d’un mécanisme de coopération entre des firmes indépendantes exerçant des activités similaires ou complémentaires. Enfin, l’existence d’un réseau très cohésif de big linkers, formé à la fois de banquiers et de dirigeants familiaux, nous incite en outre à retenir également l’hypothèse de cohésion de classe, qui ouvre des pistes de recherche ultérieures : celles-ci consisteraient, notamment, à investir de manière systématique l’implication des dirigeants MEM dans les associations patronales et dans la sphère politique, afin de mettre en évidence les autres voies utilisées par cette élite pour mettre en place la coordination patronale.

La cohésion des élites impliquées dans le secteur MEM, ainsi que les mécanismes de coopération mis en place entre elles, sont cependant remis en question durant les deux dernières décennies du siècle. On observe dans un premier temps l’érosion du capitalisme familial, déjà perceptible au début des années 1980. Le fait que dans certains cas de figure, les familles à la tête des sociétés MEM aient été évincées par les banques montre que la cohésion entre les élites suisses peut faire place à des relations conflictuelles, favorisées par les périodes de crise. Dans un deuxième temps, la montée des investisseurs institutionnels, l’avènement du capitalisme financier et la réorientation des stratégies d’entreprise vers la création de valeur actionnariale se sont traduits par un désengagement des banques jusqu’alors fortement impliquées dans les industries, aboutissant au déclin des interlocks au sein du sous-réseau MEM. Ces mutations profondes doivent toutefois être nuancées puisqu’on observe, d’une part, une persistance relative du capitalisme familial en comparaison d’autres pays et, d’autre part, un recentrement des liens au sein du secteur MEM, qui montrent que les mécanismes traditionnels de coordination et de contrôle au sein des élites suisses subsistent en partie.

Au final, l’analyse de réseau nous a permis de mettre en évidence l’intégration et l’évolution des firmes familiales pour le cas de la Suisse dans un système capitaliste plus large, et d’identifier ainsi des tendances générales au-delà de l’étude de cas. En contrepartie, le fait d’étudier un groupe large d’entreprises, et sur le long terme qui plus est, comporte le risque de perdre en analyse qualitative. Cette limite peut néanmoins être surmontée en intégrant à l’analyse de réseau des études de cas approfondies, les deux approches étant en effet parfaitement compatibles. C’est dans cette perspective que cette recherche se développera ultérieurement.

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UBS (1980). Les principales entreprises de Suisse. Zurich : UBS.

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Widmer, Frédéric (2009). La coordination des dirigeants économiques face à la financiarisation. Gouvernance d’entreprise, relations industrielles et élites dirigeantes dans l’industrie suisse des machines, de l’électrotechnique et de la métallurgie (1970-2008). Thèse de doctorat non publiée, Université de Lausanne.

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Windolf, Paul et Michael Nollert (2001). « Institutionen, Interessen, Netzwerke : Unternehmensverflechtung im internationalen Vergleich. » Politische Vierteljahresschrift 42 : 51-78.

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Annexe 1. Liste des 22 entreprises MEM et présence familiale

 

 

1910

1937

1957

1980

2000

Familles fondatrices/ fondateurs

Autres familles

AIAG/Alusuisse

F

F

M

N

N

Naville, Huber

BBC/ABB

F

M

F

N

N

Brown, Boveri

Bobst

F

F

F

F

F

Bobst

Bucher

F

F

F

F

F

Bucher

Cortaillod

F

F

F

F

Borel, Berthoud, de Coulon

Cossonay

M

F

F

M

J. M. Aubert

De coulon

Dätwyler

N

F

F

F

M

Groupe d’intérêts allemand

Dätwyler

Georg Fischer

F

F

M

N

N

Fischer

Homberger

Hasler/Ascom

F

F

N

N

N

Hasler

Landis&Gyr

F

F

F

F

Landis, Gyr

Metallwaren Zug

F

F

F

F

F

Weber

Stöckli

MF Bühler

F

F

F

F

F

Bühler

Oerlikon-Bührle/Unaxis

N

F

F

F

M

Groupe d’industriels suisses

Bührle

Rieter

F

M

M

N

N

Rieter

Corti

Saurer

F

M

M

N

N

Saurer

Schindler

F

F

F

F

F

Schindler

SIG

F

F

F

N

N

Neher

Frey

SIP

F

F

F

F

F

Rive, Thury

Turrettini, Suchet

Sulzer

F

F

F

F

N

Sulzer

Von Moos

F

F

F

F

Von Moos

Von Roll

F

F

M

N

N

Von Roll

Dübi

Zellweger Uster/Luwa

F

M

M

F

F

Jacob Kuhn

Bechtler

F : Capitalisme familial « fort » : la famille occupe une fonction principale dans l’entreprise (président du conseil d’administration, administrateur-délégué ou directeur exécutif)

M : Capitalisme familial « moyen » : la famille siège au conseil d’administration ou est actionnaire majoritaire, mais n’occupe pas de fonction principale

N : L’entreprise n’est pas une entreprise familiale

 



[1] Je remercie Claire Lemercier, Thomas David, André Mach ainsi que trois experts anonymes pour leurs commentaires sur une première version de l’article.

[2] Envoyer la correspondance à : Stéphanie Ginalski Stephanie.Ginalski@unil.ch

[3] Précisions que les auteurs cités recourent aux dénominations anglaises possession et control, qui renvoient chez nous respectivement aux termes contrôle et direction.

[4] Cette base de données a été mise sur pied dans le cadre d’un projet de recherche financé par le Fonds National Suisse pour la Recherche Scientifique (FNRS) sur les élites suisses au 20e siècle. Le projet et la base sont consultables sur le site suivant : http://www.unil.ch/iepi/page54315.html

[5] Exception faite pour Cortaillod, Cossonay, Landis & Gyr et Von Moos, qui disparaissent au cours des années 1990 mais qui ont malgré tout été conservées, au vu de l’importance majeure que ces entreprises ont représenté dans le paysage économique de la Suisse pendant la grande majorité du siècle. L’analyse porte ainsi sur 18 entreprises pour l’année 2000.

[6] Les résultats de cette partie de la recherche ont fait l’objet de contributions précédentes (voir notamment Ginalski 2010) et sont présentés de manière synthétique dans l’annexe 1.

[7] Comme de Nooy et al. (2005 : 64) l’ont mis en évidence, l’average degree « is a better measure of overall cohesion than density because it does not depend on network size ». Etant donné que dans le cas qui nous intéresse, la taille des réseaux varie effectivement d’une année à l’autre, cet indice a été retenu plutôt que celui de la densité.

[8] I.e. les dirigeants membres des familles à la tête d’une entreprise de l’échantillon MEM ; les dirigeants membres de familles à la tête d’autres sociétés ne sont ainsi pas pris en compte ici.

[9] Terme helvétique pour désigner le président du gouvernement de certains cantons campagnards, dont Uri faisait partie.

[10] En 1980, le capital de la société comporte des actions nominatives d’une valeur nominale de 100 CHF et des actions au porteur d’une valeur nominale de 500 CHF : autrement dit, le droit de vote coûte cinq fois plus cher pour un détenteur d’une action au porteur que pour celui en possession d’une action nominative.

[11] Devient Motor-Columbus en 1923, après sa fusion avec Columbus AG.